Cette Nancy Hattaway, peut-être, mais je n’en suis pas sûr : elle dit qu’elle ignorait tout et elle semble sincère. En tout cas, quelqu’un écrivait des lettres anonymes à Harry…
- À propos de Nola ?
- Oui, regardez. Trouvées chez lui, dis-je en lui montrant l’une des lettres que j’avais prise avec moi.
- Chez lui ? Nous avons pourtant mené une perquisition.
- Peu importe. Mais ça veut dire que quelqu’un est au courant depuis toujours.
Il lut le texte à haute voix :
- Je sais ce que vous avez fait à cette gamine de 15 ans. Et bientôt toute la ville saura. Quand Quebert a-t-il reçu ces lettres ?
- Juste après la disparition de Nola.
- A-t-il une idée de qui pourrait en être l’auteur ?
- Aucune, malheureusement.
Je me tournai vers le panneau en liège piqué de photographies et de notes.
- C’est votre enquête, sergent ?
- Absolument. Et reprenons depuis le début, si vous le voulez bien. Nola Kel ergan disparaît le soir du 30 août 1975. Le rapport de la police d’Aurora à l’époque indique qu’il n’est pas possible d’établir si elle a été enlevée ou s’il s’agit d’une fugue qui a mal tourné : aucune trace de lutte, aucun témoin. Néanmoins, aujourd’hui, nous penchons sérieusement pour la piste de l’enlèvement. Notamment parce qu’elle n’avait emporté ni argent, ni bagage.
- Je pense qu’el e a fugué, dis-je.
- Allons bon. Partons de cette hypothèse alors, suggéra Gahalowood. Elle enjambe la fenêtre de sa chambre et elle s’enfuit. Où va-t-el e ?
Il était temps que je révèle ce que je savais.
- Elle al ait rejoindre Harry, répondis-je.
- Vous pensez ?
- Je le sais. Il me l’a dit. Je ne vous en ai pas parlé jusqu’ici parce que je
craignais que ça le compromette, mais je pense qu’il est temps de jouer cartes sur table : le soir de la disparition, Nola devait rejoindre Harry dans un motel de la route 1.
Ils devaient s’enfuir ensemble.
- S’enfuir ? Mais pourquoi ? Comment ? Où ?
- Ça, je l’ignore. Mais je compte bien l’apprendre. En tout cas, ce fameux soir, Harry attendait Nola dans une chambre de ce motel. Elle lui avait laissé une lettre pour lui dire qu’el e l’y rejoindrait. Il l’a attendue toute la nuit. Elle n’est jamais venue.
- Quel motel ? Et où est cette lettre ?
- Le Sea Side Motel. Quelques miles au nord de Side Creek. J’y suis passé, il existe toujours. Quant à la lettre… Je l’ai brûlée. Pour protéger Harry…
- Vous l’avez brûlée ? Mais vous êtes complètement fou, l’écrivain ? Qu’est-ce qui vous a pris ? Vous voulez être condamné pour destruction de preuves ?
- Je n’aurais pas dû. Je regrette, sergent.
Gahalowood, tout en pestant, attrapa une carte de la région d’Aurora et la déroula sur une table. Il me montra le centre-ville, pointa la route 1 qui longeait la côte, Goose Cove, puis la forêt de Side Creek. Il réfléchit à haute voix :
- Si j’étais une gamine qui voulait fuguer sans être vue, je serais al ée sur la plage la plus proche de chez moi et j’aurais longé le bord de mer jusqu’à pouvoir rejoindre la route 1. C’est-à-dire soit vers Goose Cove, soit vers…
- Side Creek, dis-je. Un sentier à travers la forêt relie le bord de mer et le motel.
- Bingo ! s’exclama Gahalowood. Donc on pourrait imaginer sans trop extrapoler que la gamine a foutu le camp de chez elle. Terrace Avenue est là… et la plage la plus proche est… Grand Beach ! Donc elle passe par la plage et marche le long de l’océan jusqu’à la forêt. Mais qu’a-t-il bien pu se passer ensuite dans cette maudite forêt ?
- On pourrait imaginer qu’en traversant la forêt, el e ait fait une mauvaise rencontre. Un détraqué, qui tente d’abuser d’el e, puis attrape une branche solide et l’assassine.
- On pourrait, l’écrivain, mais vous omettez un détail qui pose de sacrées questions : le manuscrit. Et ce mot, écrit à la main. Adieu, Nola chérie. Cela veut dire que celui qui a tué et enterré Nola la connaissait, et qu’il éprouvait des sentiments pour el e. Et à supposer que cette personne ne soit pas Harry, il faudra m’expliquer comment el e s’est retrouvée en possession de son manuscrit ?
- Nola l’avait avec elle. C’est certain. Bien qu’el e s’enfuie, elle ne veut pas emporter de bagages avec elle : cela risquerait d’attirer l’attention, surtout si ses parents la surprennent au moment où el e s’en va. Et puis elle n’a besoin de rien : elle imagine que Harry est riche, qu’ils achèteront tout ce qu’il leur faudra pour leur nouvelle vie. Alors quel est le seul objet qu’elle emporte ? Celui qu’on ne peut pas remplacer : le manuscrit du livre que Harry vient d’écrire et qu’elle avait pris avec el e pour le lire, comme el e le faisait fréquemment. Elle sait que ce manuscrit est important pour Harry.
Elle le met dans son sac et s’enfuit de chez el e.
Gahalowood considéra un instant ma théorie.
- Donc selon vous, me dit-il, le meurtrier enterre le sac et le manuscrit avec elle pour se débarrasser des preuves.
- Exact.
- Mais ceci ne nous explique pas pourquoi il y a ce mot d’amour écrit à même le texte.
- C’est une bonne question, concédai-je. Peut-être la preuve que le meurtrier de Nola l’aimait. Devrait-on envisager la piste d’un crime passionnel ? Un accès de folie qui, une fois passé, pousse le meurtrier à écrire ce mot pour ne pas laisser le tombeau anonyme ? Quelqu’un qui aimait Nola et n’a pas supporté sa relation avec Harry ?