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  • <a l:href="#_ftnref137">[137]</a> Romance genre troubadour Imogine et Alonzo en dix couplets, dont le premier dit:Il le faut disait un guerrierA la belle et tendre ImogineIl le faut, je suis chevalierEt je pars pour la Palestine. Tu me pleures en ce moment,Que ces pleurs ont pour moi de charmes!Mais il viendra quelque autre amantEt sa main essuiera tes larmesCette chanson n'est pas sans analogie avec une autre romance troubadour devenue hymne du Second Empire, Partant pour la Syrie.

  • <a l:href="#_ftnref138">[138]</a> Hugo avait songé, et sagement renoncé à faire réapparaître le personnage. A la cérémonie de ses noces, une petite fille s'avançait – Cosette – et lui disait: «Papa!» Voir le dossier des Misérables au tome Océan-Chantier.

  • <a l:href="#_ftnref139">[139]</a> Inventé dès la première rédaction, ce nom a peut-être été construit par dérivation sur celui de Mlle Thénard qui tenait un second rôle à la création d'Hernani. Mais voir aussi V, 9 et la note 1.

  • <a l:href="#_ftnref140">[140]</a> Cette Pépita est un souvenir du palais Masserano, en Espagne, évoqué dans le Victor Hugo raconté… (p. 216): «Il se trouvait là une nommée Pépita, encore petite fille […]. Il y eut des idylles, me disait mon mari, dans ces grandes pièces […]». Cette jeune fille réapparaîtra dans Le Dernier Jour d'un condamné (chap. XXXIII) et dans L'Art d'être grand-père (IX, 1, Les Fredaines du grand-père enfant):Et c'était presque une femmeQue Pépita mes amours,L'indolente avait mon âmeSous son coude de velours.

  • <a l:href="#_ftnref141">[141]</a> La Thénardier dévore ce que Hugo enfant savourait chez le libraire Royol – voir III, 5, note 3.

  • <a l:href="#_ftnref141">[142]</a> Jusqu'en 1860, elles s'appelaient Palmyre et Malvina. Plusieurs réminiscences ont pu concourir à l'adoption d'Éponine: le titre d'un livre de Delisle de Sales, Éponine ou la République , un vers des Petites Vieilles de Baudelaire évoquant la déchéance des courtisanes: «Ces monstres disloqués furent jadis des femmes, / Éponine ou Laîs…», l'histoire héroïque de cette gauloise qui – comme le demande Dona Sol – partagea le sort de son mari, Julius Sabinus, traqué par les Romains après l'échec d'une révolte, et que désigne un titre noté, par Hugo en 1860: «Éponine et Sabinus ou la généreuse épouse, roman héroïde». Ajoutons que la rime et le sens apparentent Eponine à Fantine, deux noms qui font écho à celui de Léopoldine.

  • <a l:href="#_ftnref143">[143]</a> Arthur comme Wellington, Alfred comme de Vigny, Alphonse comme Lamartine.

  • <a l:href="#_ftnref144">[144]</a> Ce surnom a peut-être été suggéré à Hugo par le premier nom donné à la fille de Fantine (Marguerite Louet): Anna Louet.

  • Chapitre I Histoire d'un progrès dans les verroteries noires

    Cette mère cependant qui, au dire des gens de Montfermeil, semblait avoir abandonné son enfant, que devenait-elle? où était-elle? que faisait-elle?

    Après avoir laissé sa petite Cosette aux Thénardier, elle avait continué son chemin et était arrivée à Montreuil-sur-mer [145].

    C'était, on se le rappelle, en 1818.

    Fantine avait quitté sa province depuis une dizaine d'années. Montreuil-sur-mer avait changé d'aspect. Tandis que Fantine descendait lentement de misère en misère, sa ville natale avait prospéré.

    Depuis deux ans environ, il s'y était accompli un de ces faits industriels qui sont les grands événements des petits pays.

    Ce détail importe, et nous croyons utile de le développer; nous dirions presque, de le souligner.

    De temps immémorial, Montreuil-sur-mer avait pour industrie spéciale l'imitation des jais anglais et des verroteries noires [146] d'Allemagne. Cette industrie avait toujours végété, à cause de la cherté des matières premières qui réagissait sur la main-d'œuvre. Au moment où Fantine revint à Montreuil-sur-mer, une transformation inouïe s'était opérée dans cette production des «articles noirs». Vers la fin de 1815, un homme, un inconnu, était venu s'établir dans la ville et avait eu l'idée de substituer, dans cette fabrication, la gomme laque à la résine et, pour les bracelets en particulier, les coulants en tôle simplement rapprochée aux coulants en tôle soudée. Ce tout petit changement avait été une révolution.

    Ce tout petit changement en effet avait prodigieusement réduit le prix de la matière première, ce qui avait permis, premièrement, d'élever le prix de la main-d'œuvre, bienfait pour le pays; deuxièmement, d'améliorer la fabrication, avantage pour le consommateur; troisièmement, de vendre à meilleur marché tout en triplant le bénéfice, profit pour le manufacturier.

    Ainsi pour une idée trois résultats.

    En moins de trois ans, l'auteur de ce procédé était devenu riche, ce qui est bien, et avait tout fait riche autour de lui, ce qui est mieux. Il était étranger au département. De son origine, on ne savait rien; de ses commencements, peu de chose.

    On contait qu'il était venu dans la ville avec fort peu d'argent, quelques centaines de francs tout au plus.

    C'est de ce mince capital, mis au service d'une idée ingénieuse, fécondé par l'ordre et par la pensée, qu'il avait tiré sa fortune et la fortune de tout ce pays.

    À son arrivée à Montreuil-sur-mer, il n'avait que les vêtements, la tournure et le langage d'un ouvrier.

    Il paraît que, le jour même où il faisait obscurément son entrée dans la petite ville de Montreuil-sur-mer, à la tombée d'un soir de décembre, le sac au dos et le bâton d'épine à la main, un gros incendie venait d'éclater à la maison commune. Cet homme s'était jeté dans le feu, et avait sauvé, au péril de sa vie, deux enfants qui se trouvaient être ceux du capitaine de gendarmerie; ce qui fait qu'on n'avait pas songé à lui demander son passeport. Depuis lors, on avait su son nom. Il s'appelait le père Madeleine.

    Chapitre II M. Madeleine

    C'était un homme d'environ cinquante ans, qui avait l'air préoccupé et qui était bon. Voilà tout ce qu'on en pouvait dire.

    Grâce aux progrès rapides de cette industrie qu'il avait si admirablement remaniée, Montreuil-sur-mer était devenu un centre d'affaires considérable. L'Espagne, qui consomme beaucoup de jais noir, y commandait chaque année des achats immenses. Montreuil-sur-mer, pour ce commerce, faisait presque concurrence à Londres et à Berlin. Les bénéfices du père Madeleine étaient tels que, dès la deuxième année, il avait pu bâtir une grande fabrique dans laquelle il y avait deux vastes ateliers, l'un pour les hommes, l'autre pour les femmes. Quiconque avait faim pouvait s'y présenter, et était sûr de trouver là de l'emploi et du pain. Le père Madeleine demandait aux hommes de la bonne volonté, aux femmes des mœurs pures, à tous de la probité. Il avait divisé les ateliers afin de séparer les sexes et que les filles et les femmes pussent rester sages. Sur ce point, il était inflexible. C'était le seul où il fût en quelque sorte intolérant. Il était d'autant plus fondé à cette sévérité que, Montreuil-sur-mer étant une ville de garnison, les occasions de corruption abondaient. Du reste sa venue avait été un bienfait, et sa présence était une providence. Avant l'arrivée du père Madeleine, tout languissait dans le pays; maintenant tout y vivait de la vie saine du travail. Une forte circulation échauffait tout et pénétrait partout. Le chômage et la misère étaient inconnus. Il n'y avait pas de poche si obscure où il n'y eût un peu d'argent, pas de logis si pauvre où il n'y eût un peu de joie.

    Le père Madeleine employait tout le monde. Il n'exigeait qu'une chose: soyez honnête homme! soyez honnête fille!

    Comme nous l'avons dit, au milieu de cette activité dont il était la cause et le pivot, le père Madeleine faisait sa fortune, mais, chose assez singulière dans un simple homme de commerce, il ne paraissait point que ce fût là son principal souci. Il semblait qu'il songeât beaucoup aux autres et peu à lui. En 1820, on lui connaissait une somme de six cent trente mille francs placée à son nom chez Laffitte; mais avant de se réserver ces six cent trente mille francs, il avait dépensé plus d'un million pour la ville et pour les pauvres.

    L'hôpital était mal doté; il y avait fondé dix lits. Montreuil-sur-mer est divisé en ville haute et ville basse. La ville basse, qu'il habitait, n'avait qu'une école, méchante masure qui tombait en ruine; il en avait construit deux, une pour les filles, l'autre pour les garçons. Il allouait de ses deniers aux deux instituteurs une indemnité double de leur maigre traitement officiel, et un jour, à quelqu'un qui s'en étonnait, il dit: «Les deux premiers fonctionnaires de l'état, c'est la nourrice et le maître d'école.» Il avait créé à ses frais une salle d'asile, chose alors presque inconnue en France, et une caisse de secours pour les ouvriers vieux et infirmes. Sa manufacture étant un centre, un nouveau quartier où il y avait bon nombre de familles indigentes avait rapidement surgi autour de lui; il y avait établi une pharmacie gratuite.

    Dans les premiers temps, quand on le vit commencer, les bonnes âmes dirent: C'est un gaillard qui veut s'enrichir. Quand on le vit enrichir le pays avant de s'enrichir lui-même, les mêmes bonnes âmes dirent: C'est un ambitieux. Cela semblait d'autant plus probable que cet homme était religieux, et même pratiquait dans une certaine mesure, chose fort bien vue à cette époque. Il allait régulièrement entendre une basse messe tous les dimanches. Le député local, qui flairait partout des concurrences, ne tarda pas à s'inquiéter de cette religion. Ce député, qui avait été membre du corps législatif de l'empire, partageait les idées religieuses d'un père de l'oratoire connu sous le nom de Fouché, duc d'Otrante, dont il avait été la créature et l'ami. À huis clos il riait de Dieu doucement. Mais quand il vit le riche manufacturier Madeleine aller à la basse messe de sept heures, il entrevit un candidat possible, et résolut de le dépasser; il prit un confesseur jésuite et alla à la grand'messe et à vêpres. L'ambition en ce temps-là était, dans l'acception directe du mot, une course au clocher. Les pauvres profitèrent de cette terreur comme le bon Dieu, car l'honorable député fonda aussi deux lits à l'hôpital; ce qui fit douze.

    Cependant en 1819 le bruit se répandit un matin dans la ville que, sur la présentation de M. le préfet, et en considération des services rendus au pays, le père Madeleine allait être nommé par le roi maire de Montreuil-sur-mer. Ceux qui avaient déclaré ce nouveau venu «un ambitieux», saisirent avec transport cette occasion que tous les hommes souhaitent de s'écrier: «Là! qu'est-ce que nous avions dit?» Tout Montreuil-sur-mer fut en rumeur. Le bruit était fondé. Quelques jours après, la nomination parut dans le Moniteur. Le lendemain, le père Madeleine refusa.

    Dans cette même année 1819, les produits du nouveau procédé inventé par Madeleine figurèrent à l'exposition de l'industrie [147]; sur le rapport du jury, le roi nomma l'inventeur chevalier de la Légion d'honneur. Nouvelle rumeur dans la petite ville. Eh bien! c'est la croix qu'il voulait! Le père Madeleine refusa la croix.

    Décidément cet homme était une énigme. Les bonnes âmes se tirèrent d'affaire en disant: Après tout, c'est une espèce d'aventurier.

    On l'a vu, le pays lui devait beaucoup, les pauvres lui devaient tout; il était si utile qu'il avait bien fallu qu'on finît par l'honorer, et il était si doux qu'il avait bien fallu qu'on finît par l'aimer; ses ouvriers en particulier l'adoraient, et il portait cette adoration avec une sorte de gravité mélancolique. Quand il fut constaté riche, «les personnes de la société» le saluèrent, et on l'appela dans la ville monsieur Madeleine; ses ouvriers et les enfants continuèrent de l'appeler le père Madeleine, et c'était la chose qui le faisait le mieux sourire. À mesure qu'il montait, les invitations pleuvaient sur lui. «La société» le réclamait. Les petits salons guindés de Montreuil-sur-mer qui, bien entendu, se fussent dans les premiers temps fermés à l'artisan, s'ouvrirent à deux battants au millionnaire. On lui fit mille avances. Il refusa.

    Cette fois encore les bonnes âmes ne furent point empêchées.

    – C'est un homme ignorant et de basse éducation. On ne sait d'où cela sort. Il ne saurait pas se tenir dans le monde. Il n'est pas du tout prouvé qu'il sache lire.

    Quand on l'avait vu gagner de l'argent, on avait dit: c'est un marchand. Quand on l'avait vu semer son argent, on avait dit: c'est un ambitieux. Quand on l'avait vu repousser les honneurs, on avait dit: c'est un aventurier. Quand on le vit repousser le monde, on dit: c'est une brute.

    En 1820, cinq ans après son arrivée à Montreuil-sur-mer, les services qu'il avait rendus au pays étaient si éclatants, le vœu de la contrée fut tellement unanime, que le roi le nomma de nouveau maire de la ville. Il refusa encore, mais le préfet résista à son refus, tous les notables vinrent le prier, le peuple en pleine rue le suppliait, l'insistance fut si vive qu'il finit par accepter. On remarqua que ce qui parut surtout le déterminer, ce fut l'apostrophe presque irritée d'une vieille femme du peuple qui lui cria du seuil de sa porte avec humeur: Un bon maire, c'est utile. Est-ce qu'on recule devant du bien qu'on peut faire?

    Ce fut là la troisième phase de son ascension. Le père Madeleine était devenu monsieur Madeleine, monsieur Madeleine devint monsieur le maire.

    Chapitre III Sommes déposées chez Laffitte

    Du reste, il était demeuré aussi simple que le premier jour. Il avait les cheveux gris, l'œil sérieux, le teint hâlé d'un ouvrier, le visage pensif d'un philosophe. Il portait habituellement un chapeau à bords larges et une longue redingote de gros drap, boutonnée jusqu'au menton. Il remplissait ses fonctions de maire, mais hors de là il vivait solitaire. Il parlait à peu de monde. Il se dérobait aux politesses, saluait de côté, s'esquivait vite, souriait pour se dispenser de causer, donnait pour se dispenser de sourire. Les femmes disaient de lui: Quel bon ours! Son plaisir était de se promener dans les champs.

    Il prenait ses repas toujours seul, avec un livre ouvert devant lui où il lisait. Il avait une petite bibliothèque bien faite. Il aimait les livres; les livres sont des amis froids et sûrs. À mesure que le loisir lui venait avec la fortune, il semblait qu'il en profitât pour cultiver son esprit. Depuis qu'il était à Montreuil-sur-mer, on remarquait que d'année en année son langage devenait plus poli, plus choisi et plus doux.

    Il emportait volontiers un fusil dans ses promenades, mais il s'en servait rarement. Quand cela lui arrivait par aventure, il avait un tir infaillible qui effrayait. Jamais il ne tuait un animal inoffensif. Jamais il ne tirait un petit oiseau. Quoiqu'il ne fût plus jeune, on contait qu'il était d'une force prodigieuse. Il offrait un coup de main à qui en avait besoin, relevait un cheval, poussait à une roue embourbée, arrêtait par les cornes un taureau échappé. Il avait toujours ses poches pleines de monnaie en sortant et vides en rentrant. Quand il passait dans un village, les marmots déguenillés couraient joyeusement après lui et l'entouraient comme une nuée de moucherons.

    On croyait deviner qu'il avait dû vivre jadis de la vie des champs, car il avait toutes sortes de secrets utiles qu'il enseignait aux paysans. Il leur apprenait à détruire la teigne des blés en aspergeant le grenier et en inondant les fentes du plancher d'une dissolution de sel commun, et à chasser les charançons en suspendant partout, aux murs et aux toits, dans les héberges et dans les maisons, de l'orviot en fleur. Il avait des "recettes [148]" pour extirper d'un champ la luzette, la nielle, la vesce, la gaverolle, la queue-de-renard, toutes les herbes parasites qui mangent le blé. Il défendait une lapinière contre les rats rien qu'avec l'odeur d'un petit cochon de Barbarie qu'il y mettait. Un jour il voyait des gens du pays très occupés à arracher des orties. Il regarda ce tas de plantes déracinées et déjà desséchées, et dit:

    – C'est mort. Cela serait pourtant bon si l'on savait s'en servir. Quand l'ortie est jeune, la feuille est un légume excellent; quand elle vieillit, elle a des filaments et des fibres comme le chanvre et le lin. La toile d'ortie vaut la toile de chanvre. Hachée, l'ortie est bonne pour la volaille; broyée, elle est bonne pour les bêtes à cornes. La graine de l'ortie mêlée au fourrage donne du luisant au poil des animaux; la racine mêlée au sel produit une belle couleur jaune. C'est du reste un excellent foin qu'on peut faucher deux fois. Et que faut-il à l'ortie? Peu de terre, nul soin, nulle culture. Seulement la graine tombe à mesure qu'elle mûrit, et est difficile à récolter. Voilà tout. Avec quelque peine qu'on prendrait, l'ortie serait utile; on la néglige, elle devient nuisible. Alors on la tue. Que d'hommes ressemblent à l'ortie!

    Il ajouta après un silence:

    – Mes amis, retenez ceci, il n'y a ni mauvaises herbes ni mauvais hommes. Il n'y a que de mauvais cultivateurs.

    Les enfants l'aimaient encore parce qu'il savait faire de charmants petits ouvrages avec de la paille et des noix de coco.

    Quand il voyait la porte d'une église tendue de noir, il entrait; il recherchait un enterrement comme d'autres recherchent un baptême. Le veuvage et le malheur d'autrui l'attiraient à cause de sa grande douceur; il se mêlait aux amis en deuil, aux familles vêtues de noir, aux prêtres gémissant autour d'un cercueil. Il semblait donner volontiers pour texte à ses pensées ces psalmodies funèbres pleines de la vision d'un autre monde. L'œil au ciel, il écoutait, avec une sorte d'aspiration vers tous les mystères de l'infini, ces voix tristes qui chantent sur le bord de l'abîme obscur de la mort.

    Il faisait une foule de bonnes actions en se cachant comme on se cache pour les mauvaises. Il pénétrait à la dérobée, le soir, dans les maisons; il montait furtivement des escaliers. Un pauvre diable, en rentrant dans son galetas, trouvait que sa porte avait été ouverte, quelquefois même forcée, dans son absence. Le pauvre homme se récriait: quelque malfaiteur est venu! Il entrait, et la première chose qu'il voyait, c'était une pièce d'or oubliée sur un meuble. "Le malfaiteur" qui était venu, c'était le père Madeleine.

    Il était affable et triste. Le peuple disait: «Voilà un homme riche qui n'a pas l'air fier. Voilà un homme heureux qui n'a pas l'air content.»

    Quelques-uns prétendaient que c'était un personnage mystérieux, et affirmaient qu'on n'entrait jamais dans sa chambre, laquelle était une vraie cellule d'anachorète meublée de sabliers ailés et enjolivée de tibias en croix et de têtes de mort. Cela se disait beaucoup, si bien que quelques jeunes femmes élégantes et malignes de Montreuil-sur-mer vinrent chez lui un jour, et lui demandèrent:

    – Monsieur le maire, montrez-nous donc votre chambre. On dit que c'est une grotte.

    Are sens