L’ami doit être passé maître dans la divination et dans le silence : tu ne dois pas vouloir tout voir. Ton rêve doit te révéler ce que fait ton ami quand il est éveillé.
Il faut que ta pitié soit une divination : afin que tu saches d’abord si ton ami veut de la pitié. Peut-être aime-t-il en toi le visage fier et le regard de l’éternité.
Il faut que la compassion avec l’ami se cache sous une rude enveloppe, et que tu y laisses une dent. Ainsi ta compassion sera pleine de finesses et de douceurs.
Es-tu pour ton ami air pur et solitude, pain et médicament ? Il y en a qui ne peuvent pas se libérer de leur propre chaîne, et pourtant, pour leurs amis, ils sont des sauveurs.
Si tu es un esclave tu ne peux pas être un ami. Si tu es un tyran tu ne peux pas avoir
d’amis.
Pendant trop longtemps un esclave et un tyran étaient cachés dans la femme. C’est pourquoi la femme n’est pas encore capable d’amitié : elle ne connaît que l’amour.
Dans l’amour de la femme il y a de l’injustice et de l’aveuglement à l’égard de tout ce
qu’elle n’aime pas. Et même dans l’amour conscient de la femme il y a toujours, à côté de
la lumière, la surprise, l’éclair et la nuit.
La femme n’est pas encore capable d’amitié. Des chattes, voilà ce que sont toujours les
femmes, des chattes et des oiseaux. Ou, quand cela va bien, des vaches.
La femme n’est pas encore capable d’amitié. Mais, dites-moi, vous autres hommes, lequel d’entre vous est donc capable d’amitié ?
Malédiction sur votre pauvreté et votre avarice de l’âme, ô hommes ! Ce que vous donnez à vos amis, je veux le donner même à mes ennemis, sans en devenir plus pauvre.
Il y a de la camaraderie : qu’il y ait de l’amitié !
Ainsi parlait Zarathoustra.
Mille et un buts
Zarathoustra a vu beaucoup de contrées et beaucoup de peuples : c’est ainsi qu’il a découvert le bien et le mal de beaucoup de peuples. Zarathoustra n’a pas découvert de plus
grande puissance sur la terre, que le bien et le mal.
Aucun peuple ne pourrait vivre sans évaluer les valeurs ; mais s’il veut se conserver, il
ne doit pas évaluer comme évalue son voisin. Beaucoup de choses qu’un peuple appelait
bonnes, pour un autre peuple étaient honteuses et méprisables : voilà ce que j’ai découvert.
Ici beaucoup de choses étaient appelées mauvaises et là-bas elles étaient revêtues du manteau de pourpre des honneurs.
Jamais un voisin n’a compris l’autre voisin : son âme s’est toujours étonnée de la folie
et de la méchanceté de son voisin.
Une table des biens est suspendue au-dessus de chaque peuple. Or, c’est la table de ce
qu’il a surmonté, c’est la voix de sa volonté de puissance.
Est honorable ce qui lui semble difficile ; ce qui est indispensable et difficile, s’appelle bien. Et ce qui délivre de la plus profonde détresse, cette chose rare et difficile, – est sanctifiée par lui.
Ce qui le fait régner, vaincre et briller, ce qui excite l’horreur et l’envie de son voisin : c’est ce qui occupe pour lui la plus haute et la première place, c’est ce qui est la mesure et le sens de toutes choses.
En vérité, mon frère, lorsque tu auras pris conscience des besoins et des terres d’un peuple, lorsque tu connaîtras son ciel et son voisin : tu devineras aussi la loi qui régit ses victoires sur lui-même, et tu sauras pourquoi c’est sur tel degré qu’il monte à ses espérances.
« Il faut que tu sois toujours le premier et que tu dépasses les autres : ton âme jalouse ne doit aimer personne, si ce n’est l’ami » – ceci fit tremble l’âme d’un Grec et lui fit gravir le sentier de la grandeur.
« Dire la vérité et savoir bien manier l’arc et les flèches » – ceci semblait cher, et difficile en même temps, au peuple d’où vient mon nom – ce nom qui est en même temps
cher et difficile.
« Honorer père et mère, leur être soumis jusqu’aux racines de l’âme » : cette table des
victoires sur soi-même, un autre peuple la suspendit au-dessus de lui et il devint puissant et éternel.
« Être fidèle et, à cause de la fidélité, donner son sang et son honneur, même pour des
choses mauvaises et dangereuses » : par cet enseignement un autre peuple s’est surmonté,
et, en se surmontant ainsi, il devint gros et lourd de grandes espérances.
En vérité, les hommes se donnèrent eux-mêmes leur bien et leur mal. En vérité, ils ne
les prirent point, ils ne les trouvèrent point, ils ne les écoutèrent point comme une voix descendue du ciel.