Où a-t-il de la beauté ? Là où il faut que je veuille de toute ma volonté ; où je veux aimer et disparaître, afin qu’une image ne reste pas image seulement.
Aimer et disparaître : ceci s’accorde depuis des éternités. Vouloir aimer, c’est aussi être prêt à la mort. C’est ainsi que je vous parle, poltrons !
Mais votre regard louche et efféminé veut être « contemplatif » ! Et ce que l’on peut approcher avec des yeux pusillanimes doit être appelé « beau » ! Ô vous qui souillez les
noms les plus nobles !
Mais ceci doit être votre malédiction, hommes immaculés qui cherchez la connaissance
pure, que vous n’arriviez jamais à engendrer : quoique vous soyez couchés à l’horizon lourds et pleins.
En vérité, vous remplissez votre bouche de nobles paroles : et vous voudriez nous faire
croire que votre cœur déborde, menteurs ?
Mais mes paroles sont des paroles grossières, méprisées et informes, et j’aime à recueillir ce qui, dans vos festins, tombe sous la table.
Elles me suffisent toujours – pour dire la vérité aux hypocrites ! Oui, mes arêtes, mes
coquilles et mes feuilles de houx doivent – vous chatouiller le nez, hypocrites !
Il y a toujours de l’air vicié autour de vous et autour de vos festins : car vos pensées lascives, vos mensonges et vos dissimulations sont dans l’air !
Ayez donc tout d’abord le courage d’avoir foi en vous-mêmes – en vous-mêmes et en
vos entrailles ! Celui qui n’a pas foi en lui-même ment toujours.
Vous avez mis devant vous le masque d’un dieu, hommes « purs » : votre affreuse larve
rampante s’est cachée sous le masque d’un dieu.
En vérité, vous en faites accroire, « contemplatifs » ! Zarathoustra, lui aussi, a été dupe de vos peaux divines ; il n’a pas deviné quels serpents remplissaient cette peau.
Dans vos jeux, je croyais voir jouer l’âme d’un dieu, hommes qui cherchez la
connaissance pure ! Je ne connaissais pas de meilleur art que vos artifices !
La distance qui me séparait de vous me cachait des immondices de serpent et de mauvaises odeurs : et je ne savais pas que la ruse d’un lézard rôdât par ici, lascive.
Mais je me suis approché de vous : alors le jour m’est venu – et maintenant il vient pour vous, – les amours de la lune sont leur déclin !
Regardez-la donc ! Elle est là-haut, surprise et pâle – devant l’aurore !
Car déjà l’aurore monte, ardente, – son amour pour la terre approche ! Tout amour de soleil est innocence et désir de créateur.
Regardez donc comme l’aurore passe impatiente sur la mer ! Ne sentez-vous pas la soif
et la chaude haleine de son amour ?
Elle veut aspirer la mer, et boire ses profondeurs : et le désir de la mer s’élève avec ses
mille mamelles.
Car la mer veut être baisée et aspirée par le soleil ; elle veut devenir air et hauteur et sentier de lumière, et lumière elle-même !
En vérité, pareil au soleil, j’aime la vie et toutes les mers profondes.
Et ceci est pour moi la connaissance : tout ce qui est profond doit monter – à ma hauteur ! –
Ainsi parlait Zarathoustra.
Des savants
Tandis que j’étais endormi, une brebis s’est mise à brouter la couronne de lierre qui ornait ma tête, – et en mangeant elle disait : « Zarathoustra n’est plus un savant. »
Après quoi, elle s’en alla, dédaigneuse et fière. Voilà ce qu’un enfant m’a raconté.
J’aime à être étendu, là ou jouent les enfants, le long du mur lézardé, sous les chardons
et les rouges pavots.
Je suis encore un savant pour les enfants et aussi pour les chardons et les pavots rouges.
Ils sont innocents, même dans leur méchanceté.
Je ne suis plus un savant pour les brebis : ainsi le veut mon sort. – Qu’il soit béni !
Car ceci est la vérité : je suis sorti de la maison des savants en claquant la porte derrière moi.