mêmes !
Malheur à moi si je ne pouvais rire de votre étonnement et s’il me fallait avaler tout ce
que vos écuelles contiennent de répugnant !
Mais je vous prends à la légère, puisque j’ai des choses lourdes à porter ; et que m’importe si des mouches se posent sur mon fardeau !
En vérité mon fardeau n’en sera pas plus lourd ! Et ce n’est pas de vous, mes contemporains, que me viendra la grande fatigue. –
Hélas ! où dois-je encore monter avec mon désir ? Je regarde du haut de tous les sommets pour m’enquérir de patries et de terres natales.
Mais je n’en ai trouvé nulle part : je suis errant dans toutes les villes, et, à toutes les portes, je suis sur mon départ.
Les hommes actuels vers qui tout à l’heure mon cœur était poussé sont maintenant pour
moi des étrangers qu’excitent mon rire ; je suis chassé des patries et des terres natales.
Je n’aime donc plus que le pays de mes enfants, la terre inconnue parmi les mers lointaines : c’est elle que ma voile doit chercher sans cesse.
Je veux me racheter auprès de mes enfants d’avoir été le fils de mes pères : je veux racheter de tout l’avenir – ce présent ! –
Ainsi parlait Zarathoustra.
De l’immaculée connaissance
Lorsque hier la lune s’est levée, il me semblait qu’elle voulût mettre au monde un soleil,
tant elle s’étalait à l’horizon, lourde et pleine.
Mais elle mentait avec sa grossesse ; et plutôt encore je croirais à l’homme dans la lune
qu’à la femme.
Il est vrai qu’il est très peu homme lui aussi, ce timide noctambule. En vérité, il passe
sur les toits avec une mauvaise conscience.
Car il est plein de convoitise et de jalousie, ce moine dans la lune ; il convoite la terre et toutes les joies de ceux qui aiment.
Non, je ne l’aime pas, ce chat de gouttières ; ils me dégoûtent, tous ceux qui épient les
fenêtres entr’ouvertes.
Pieux et silencieux, il passe sur des tapis d’étoiles : – mais je déteste tous les hommes
qui marchent sans bruit, et qui ne font pas même sonner leurs éperons.
Les pas d’un homme loyal parlent ; mais le chat marche à pas furtifs. Voyez, la lune s’avance, déloyale comme un chat. –
Je vous donne cette parabole, à vous autres hypocrites sensibles, vous qui cherchez la
« connaissance pure » ! C’est vous que j’appelle – lascifs !
Vous aimez aussi la terre et tout ce qui est terrestre : je vous ai bien devinés ! – mais il y a dans votre amour de la honte et de la mauvaise conscience, – vous ressemblez à la lune.
On a persuadé à votre esprit de mépriser tout ce qui est terrestre, mais on n’a pas persuadé vos entrailles : pourtant elles sont ce qu’il y a de plus fort en vous !
Et maintenant votre esprit a honte d’obéir à vos entrailles et il suit des chemins dérobés
et trompeurs pour échapper à sa propre honte.
« Ce serait pour moi la chose la plus haute – ainsi se parle à lui-même votre esprit mensonger – de regarder la vie sans convoitise et non comme les chiens avec la langue pendante.
« Être heureux dans la contemplation, avec la volonté morte, sans rapacité et sans envie
égoïste – froid et gris sur tout le corps, mais les yeux enivrés de lune.
« Ce serait pour moi la bonne part – ainsi s’éconduit lui-même celui qui a été éconduit –
d’aimer la terre comme l’aime la lune et de ne toucher sa beauté que des yeux.
« Et voici ce que j’appelle l’ immaculée connaissance de toutes choses : ne rien demander aux choses que de pouvoir s’étendre devant elles, ainsi qu’un miroir aux cent regards. » –
Hypocrites sensibles et lascifs ! Il vous manque l’innocence dans le désir : et c’est pourquoi vous calomniez le désir !
En vérité, vous n’aimez pas la terre comme des créateurs, des générateurs, joyeux de créer !
Où y a-t-il de l’innocence ? Là où il y a la volonté d’engendrer. Et celui qui veut créer au-dessus de lui-même, celui-là possède à mes yeux la volonté la plus pure.