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»

C’étaient les yeux des pères de famille qui disaient cette dernière phrase.

« Tu ne te figures pas comme c’était drôle de la voir faire son manège ou plutôt son métier.

«

Quelquefois elle fermait brusquement la fenêtre et je voyais un monsieur tourner sous la porte. Elle l’avait pris, celui-là, comme un pêcheur à la ligne prend un goujon. Alors je 130

commençais à regarder ma montre. Ils restaient de douze à vingt minutes, jamais plus. Vraiment, elle me passionnait, à la fin, cette araignée. Et puis elle n’était pas laide, cette fille.

« Je me demandais : Comment fait-elle pour se faire comprendre si bien, si vite, complètement. Ajoute-t-elle à son regard un signe de tête ou un mouvement de main ?

« Et je pris ma lunette de théâtre pour me rendre compte de son procédé. Oh ! il était bien simple : un coup d’œil d’abord, puis un sourire, puis un tout petit geste de tête qui voulait dire :

« Montez-vous ? » Mais si léger, si vague, si discret, qu’il fallait vraiment beaucoup de chic pour le réussir comme elle.

« Et je me demandais : Est-ce que je pourrais le faire aussi bien, ce petit coup de bas en haut, hardi et gentil ; car il était très gentil, son geste.

« Et j’allai l’essayer devant la glace. Ma chère, je le faisais mieux qu’elle, beaucoup mieux !

J’étais enchantée ; et je revins me mettre à la fenêtre.

131

« Elle ne prenait plus personne, à présent, la pauvre fille, plus personne. Vraiment elle n’avait pas de chance. Comme ça doit être terrible tout de même de gagner son pain de cette façon-là, terrible et amusant quelquefois, car enfin il y en a qui ne sont pas mal, de ces hommes qu’on rencontre dans la rue.

«

Maintenant ils passaient tous sur mon trottoir et plus un seul sur le sien. Le soleil avait tourné. Ils arrivaient les uns derrière les autres, des jeunes, des vieux, des noirs, des blonds, des gris, des blancs.

« J’en voyais de très gentils, mais très gentils, ma chère, bien mieux que mon mari, et que le tien, ton ancien mari, puisque tu es divorcée.

Maintenant tu peux choisir.

« Je me disais : Si je leur faisais le signe, est-ce qu’ils me comprendraient, moi, moi qui suis une honnête femme ? Et voilà que je suis prise d’une envie folle de le leur faire ce signe, mais d’une envie, d’une envie de femme grosse...

d’une envie épouvantable, tu sais, de ces envies...

auxquelles on ne peut pas résister ! J’en ai 132

quelquefois comme ça, moi. Est-ce bête, dis, ces choses-là ! Je crois que nous avons des âmes de singes, nous autres femmes. On m’a affirmé du reste (c’est un médecin qui m’a dit ça) que le cerveau du singe ressemblait beaucoup au nôtre.

Il faut toujours que nous imitions quelqu’un.

Nous imitons nos maris, quand nous les aimons, dans le premier mois des noces, et puis nos amants ensuite, nos amies, nos confesseurs, quand ils sont bien. Nous prenons leurs manières de penser, leurs manières de dire, leurs mots, leurs gestes, tout. C’est stupide.

« Enfin, moi quand je suis trop tentée de faire une chose, je la fais toujours.

« Je me dis donc : Voyons, je vais essayer sur un, sur un seul, pour voir. Qu’est-ce qui peut m’arriver ? Rien ! Nous échangerons un sourire, et voilà tout, et je ne le reverrai jamais ; et si je le vois il ne me reconnaîtra pas ; et s’il me reconnaît je nierai, parbleu.

« Je commence donc à choisir. J’en voulais un qui fût bien, très bien. Tout à coup je vois venir un grand blond, très joli garçon. J’aime les 133

blonds, tu sais.

« Je le regarde. Il me regarde. Je souris, il sourit ; je fais le geste ; oh ! à peine, à peine, il répond « oui » de la tête et le voilà qui entre, ma chérie ! Il entre par la grande porte de la maison.

« Tu ne te figures pas ce qui s’est passé en moi à ce moment-là ! J’ai cru que j’allais devenir folle ! Oh ! quelle peur ! Songe, il allait parler aux domestiques ! À Joseph qui est tout dévoué à mon mari ! Joseph aurait cru certainement que je connaissais ce monsieur depuis longtemps.

« Que faire ? dis ? Que faire ? Et il allait sonner, tout à l’heure, dans une seconde. Que faire, dis ? J’ai pensé que le mieux était de courir à sa rencontre, de lui dire qu’il se trompait, de le supplier de s’en aller. Il aurait pitié d’une femme, d’une pauvre femme ! Je me précipite donc à la porte et je l’ouvre juste au moment où il posait la main sur le timbre.

« Je balbutiai, tout à fait folle : « Allez-vous-en, monsieur, allez-vous-en, vous vous trompez, je suis une honnête femme, une femme mariée.

C’est une erreur, une affreuse erreur ; je vous ai 134

pris pour un de mes amis à qui vous ressemblez beaucoup. Ayez pitié de moi, monsieur »

« Et voilà qu’il se met à rire, ma chère, et il répond : « Bonjour, ma chatte. Tu sais, je la connais, ton histoire. Tu es mariée, c’est deux louis au lieu d’un. Tu les auras. Allons montre-moi la route. »

« Et il me pousse ; il referme la porte, et comme je demeurais, épouvantée, en face de lui, il m’embrasse, me prend par la taille et me fait rentrer dans le salon qui était resté ouvert.

« Et puis, il se met à regarder tout comme un commissaire-priseur, et il reprend : « Bigre, c’est gentil, chez toi, c’est très chic. Faut que tu sois rudement dans la dèche en ce moment-ci pour faire la fenêtre ! »

« Alors, moi, je recommence à le supplier :

« Oh ! monsieur, allez-vous-en ! allez-vous-en !

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