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: Mélanie entra avec

l’omelette et la posa sur la table. Les deux femmes aussitôt s’assirent devant leurs assiettes et se mirent à manger sans détourner les yeux de moi.

Je dis : « Mon oncle, ce serait une grande joie pour ma mère de vous embrasser. »

Il murmura : « Moi aussi... je voudrais... » Il se tut. Je ne trouvais rien à lui proposer, et on n’entendait plus que le bruit des fourchettes sur la porcelaine et ce vague mouvement des bouches qui mâchent.

Or l’abbé, qui écoutait derrière la porte, voyant notre embarras et croyant la partie gagnée, jugea le moment venu d’intervenir, et il se 120

montra.

Mon oncle fut tellement stupéfait de cette apparition qu’il demeura d’abord immobile ; puis il ouvrit la bouche comme s’il voulait avaler le prêtre ; puis il cria d’une voix forte, profonde, furieuse :

– Que venez-vous faire ici ?

L’abbé, accoutumé aux situations difficiles, avançait toujours, murmurant :

– Je viens au nom de votre sœur, monsieur le marquis ; c’est elle qui m’envoie... Elle serait si heureuse, monsieur le marquis...

Mais le marquis n’écoutait pas. Levant une main il indiquait la porte d’un geste tragique et superbe, et il disait exaspéré, haletant :

Sortez d’ici..., sortez d’ici... voleurs d’âmes... Sortez d’ici, violeurs de consciences...

Sortez d’ici, crocheteurs de portes des moribonds !

Et l’abbé reculait, et moi aussi, je reculais vers la porte, battant en retraite avec mon clergé ; et, vengées, les deux petites femmes s’étaient levées, 121

laissant leur omelette à demi mangée, et elles s’étaient placées des deux côtés du fauteuil de mon oncle, posant leurs mains sur ses bras pour le calmer, pour le protéger contre les entreprises criminelles de la Famille et de la Religion.

L’abbé et moi nous rejoignîmes maman dans la cuisine. Et Mélanie de nouveau nous offrit des chaises.

– Je savais bien que ça n’irait pas tout seul, disait-elle. Il faut trouver autre chose, autrement il nous échappera.

Et on recommença à délibérer. Maman avait un avis

; l’abbé en soutenait un autre. J’en apportais un troisième.

Nous discutions à voix basse depuis une demi-heure peut-être quand un grand bruit de meubles remués et des cris poussés par mon oncle, plus véhéments et plus terribles encore que les premiers, nous firent nous dresser tous les quatre.

Nous entendions à travers les portes et les cloisons :

« Dehors...

dehors...

manants...

cuistres... dehors gredins... dehors... dehors... »

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Mélanie se précipita, puis revint aussitôt m’appeler à l’aide. J’accourus. En face de mon oncle soulevé par la colère, presque debout et vociférant, deux hommes, l’un derrière l’autre, semblaient attendre qu’il fût mort de fureur.

À sa longue redingote ridicule, à ses longs souliers anglais, à son air d’instituteur sans place, à son col droit et à sa cravate blanche, à ses cheveux plats, à sa figure humble de faux prêtre d’une religion bâtarde, je reconnus aussitôt le premier pour un pasteur protestant.

Le second était le concierge de la maison qui, appartenant au culte réformé, nous avait suivis, avait vu notre défaite, et avait couru chercher son prêtre à lui, dans l’espoir d’un meilleur sort.

Mon oncle semblait fou de rage ! Si la vue du prêtre catholique, du prêtre de ses ancêtres, avait irrité le marquis de Fumerol devenu libre-penseur, l’aspect du ministre de son portier le mettait tout à fait hors de lui.

Je saisis par les bras les deux hommes et je les jetai dehors si brusquement qu’ils s’embrassèrent avec violence deux fois de suite au passage des 123

deux portes qui conduisaient à l’escalier.

Puis je disparus à mon tour et je rentrai dans la cuisine, notre quartier général, afin de prendre conseil de ma mère et de l’abbé.

Mais Mélanie, effarée, rentra en gémissant :

« Il meurt... il meurt... venez vite... il meurt... »

Ma mère s’élança. Mon oncle était tombé par terre, tout au long sur le parquet, et il ne remuait plus. Je crois bien qu’il était mort.

Maman fut superbe à cet instant-là. Elle marcha droit sur les deux filles agenouillées auprès du corps et qui cherchaient à le soulever.

Et leur montrant la porte avec une autorité, une dignité, une majesté irrésistibles, elle prononça :

– C’est à vous de sortir, maintenant.

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