Je raccrochai. Pour la première fois depuis mon retour, un peu plus de un mois auparavant, j’avais envie d’être ailleurs. J’aurais voulu veiller Abby.
– Diane ?
– Elle dormait, ça n’a pas l’air d’être la forme.
Je soupirai.
– Je rappellerai demain, j’aurai peut-être plus de chance… Parle-moi des appartements, ça va me distraire !
Le lendemain, en discutant avec Abby, j’eus un mauvais pressentiment. Certes, elle était moins faible que je ne l’imaginais, mais elle consacra un long moment à me faire toutes ses recommandations – « Laisse le temps faire son œuvre, souris, ne pleure pas, écoute ton cœur » –, en me lançant des « ma petite fille »
bourrés de tendresse et d’amour à chaque phrase.
Samedi arriva vite. Le marathon des visites démarra de bonne heure et m’épuisa. Nous vîmes le pire comme le meilleur. Olivier avait pris en charge nos dossiers, je m’étais contentée de lui fournir les différentes pièces pour ma partie. Il s’occupait de nous vendre auprès des propriétaires pendant que je déambulais dans notre futur chez-nous potentiel. Il eut un véritable coup de cœur pour un appartement à Temple, et son entrain faisait plaisir à voir. Je n’avais rien à redire, il était parfait : un deux-pièces avec un microbalcon et une vue dégagée, une petite cuisine séparée et une salle de bains refaite à neuf, avec une douche à l’italienne. Et pour le plus grand bonheur d’Olivier, il était disponible tout de suite. Il me prit par le bras et m’entraîna dans un coin du salon.
– Qu’en penses-tu ?
– Nous serions bien ici.
– Ce n’est pas trop loin des Gens ?
– Je peux marcher dix minutes, quand même !
Le doute se lisait sur son visage. Je lui pris le dossier des mains et le tendis à l’agent immobilier.
– Quand pensez-vous pouvoir nous donner une réponse du propriétaire ?
– La semaine prochaine.
– Très bien, on attend votre appel.
Je pris la main d’Olivier, jetai un dernier regard au séjour, et nous entraînai vers l’ascenseur.
– Tu vois ? C’est fait !
Je l’embrassai avec tout mon cœur, mais aussi pour faire taire une pointe d’angoisse naissante.
Nous rejoignîmes Les Gens tranquillement, main dans la main, en évoquant notre aménagement, comme un couple normal. En arrivant à destination, Olivier reçut un appel d’un ami, et resta sur le trottoir pour répondre. Avant de subir l’interrogatoire de Félix, je me fis couler un café.
– On a déposé un dossier, on devrait savoir rapidement si c’est bon.
– Waouh, j’y crois pas. Tu te lances !
– Ouais !
Il me fixait.
– Tu es contente ?
– Ça fait juste un peu bizarre. Je vais vivre avec un homme qui n’est pas Colin.
– C’est vrai, mais tu l’aimes.
– Exact.
Lorsque Olivier nous rejoignit, un grand sourire aux lèvres, et vint m’embrasser, je me dis qu’il fallait que j’arrête de me torturer avec mille questions : j’étais prête pour lui. J’avais enfin trouvé la paix.
Je me le répétai une fois de plus le soir même. Nous étions invités à dîner chez ses amis – les jeunes parents. Les gazouillis mirent mes nerfs à rude épreuve dès la première seconde. Cette image de parfaite petite famille m’était insupportable, et je savais pourquoi. Cela me renvoyait à ce que nous formions avec Colin et Clara. Ils étaient insouciants, tout à leur bonheur, ne pensant pas une seule seconde que tout pouvait basculer. La vie avait mis sur ma route un homme qui n’était pas travaillé par la paternité et la transmission de son patrimoine génétique. J’avais tout ce qu’il me fallait.
Pourtant, je réalisai que je préférais la compagnie de personnes cabossées par la vie – ça me remuait, ça me donnait un coup de fouet.
Quand le bébé fut couché, je pus me détendre et profiter de la soirée sans ruminer. Au moins, j’étais tombée sur des parents qui ne gardaient pas leur enfant dans les bras en permanence. Oliver se chargea de la grande annonce nous concernant. Ils ne feignirent pas leur joie, et nous trinquâmes à notre appartement.
Puis ils proposèrent de nous aider à porter les cartons. Olivier se fit charrier : deux déménagements en moins de six mois, il abusait ! Je promis une tournée générale en dédommagement. Je commençai à m’agiter, Olivier le remarqua et se pencha vers moi.
– Va fumer, personne ne t’en voudra.
– Merci…
J’attrapai mes clopes et mon téléphone dans mon sac, en m’excusant auprès de tous. Je dus descendre dans la rue pour prendre ma dose de nicotine. Judith avait essayé de m’appeler. Elle décrocha dès la première sonnerie.
– Que fais-tu de ton samedi soir ?
– Je dîne chez des amis d’Olivier. Nous fêtons notre futur appartement !
– Quoi ? Tu vas habiter avec lui ! C’est vraiment sérieux, alors ?
– Ça en a tout l’air… Et toi, qu’as-tu de prévu pour ta soirée ?