â Tu vas les voir demain ?
â Comme dâhabâ, lui rĂ©pondis-je en souriant.
â Embrasse-les pour moi.
â Promis. Tu nây vas plus jamais ?
â Non, je nâen Ă©prouve plus le besoin.
â Et dire que je ne voulais pas y mettre les pieds, avant !
CâĂ©tait devenu mon rituel du lundi. Les Gens Ă©taient fermĂ©s, jâallais rendre visite Ă Colin et Clara.
Quâil pleuve, quâil vente ou quâil neige, jâavais rendez-vous avec eux. Jâaimais leur raconter ma semaine, les petites histoires des Gens⊠Depuis que jâavais recommencĂ© Ă sortir, je dĂ©taillais mes rencards foireux Ă Colin, jâavais lâimpression de lâentendre rire, et je riais avec lui, comme si nous complotions.
Clara, câĂ©tait beaucoup plus compliquĂ© de mâadresser Ă elle en confidence. Ma fille, son souvenir, me faisait toujours tomber dans un gouffre de douleur. Machinalement, je portai la main Ă mon cou ; câĂ©tait durant un de ces tĂȘte-Ă -tĂȘte avec Colin que jâavais retirĂ© de ma chaĂźne mon alliance qui y faisait office de pendentif. DĂ©finitivement.
Depuis quelques mois, mon cou Ă©tait nu. Jâavais expliquĂ© Ă Colin que jâavais rĂ©flĂ©chi et que je songeais Ă accepter les propositions de rencontres suggĂ©rĂ©es par FĂ©lix.
â Mon amour⊠tu es là ⊠tu seras toujours là ⊠mais tu es parti⊠tu es loin et tu ne reviendras jamais, je lâai accepté⊠jâai envie dâessayer, tu saisâŠ
Jâavais soupirĂ©, tentĂ© de ravaler mes larmes, et jâavais jouĂ© avec mon alliance du bout des doigts.
â Elle commence Ă peser lourd⊠Je sais que tu ne mâen voudras pas⊠je crois que je suis prĂȘteâŠ
je vais lâenlever⊠je sens que je suis guĂ©rie de toi⊠je tâaimerai toujours, ça ne changera pas, mais câest diffĂ©rent maintenant⊠je sais vivre sans toiâŠ
Jâavais embrassĂ© la tombe et dĂ©crochĂ© ma chaĂźne. Mes yeux avaient dĂ©bordĂ©. Jâavais serrĂ© de toutes mes forces mon alliance dans mon poing. Puis je mâĂ©tais relevĂ©e.
â Ă la semaine prochaine mes amours. Ma Clara⊠maman⊠maman tâaime.
JâĂ©tais partie sans me retourner.
FĂ©lix mâinterrompit dans mes pensĂ©es en me tapotant la cuisse.
â On va marcher, il fait beau.
â Je te suis !
Nous partĂźmes arpenter les quais. Comme chaque dimanche, FĂ©lix exigea de traverser la Seine et de faire un crochet Ă Notre-Dame pour allumer une bougie. « Je dois racheter mes pĂ©chĂ©s », se justifiait-il. Je nâĂ©tais pas dupe : son offrande votive Ă©tait pour Clara et Colin, son moyen de maintenir un lien avec eux.
Pendant quâil se recueillait, je patientai Ă lâextĂ©rieur de la cathĂ©drale, observant les touristes qui se faisaient attaquer par les pigeons. Jâeus le temps de me griller une clope avant dâassister Ă un remake de la mort de la maman dâAmĂ©lie Poulain, interprĂ©tĂ© par un FĂ©lix digne dâun Oscar â surtout le cri ! Ensuite, le merveilleux acteur quâil Ă©tait vint me prendre par les Ă©paules, salua un public en dĂ©lire imaginaire et me fit prendre tranquillement le chemin du retour vers notre Marais chĂ©ri et notre sushi bar du dimanche soir.
FĂ©lix buvait du sakĂ©. « Il faut combattre le mal par le mal », me disait-il. Quant Ă moi, je me contentais dâune Tsingtao. Entre deux makis, il passa Ă lâattaque et exigea son dĂ©brief. Ăâallait ĂȘtre bref !
â Alors celui dâhier, tu lui reproches quoi ?
â Sa camĂ©ra sur le front !
â Waouh ! Câest vachement excitant.
Je lui mis une bonne calotte sur le crĂąne.
â Quand comprendras-tu que nous nâavons pas la mĂȘme sexualitĂ© ?
â Tu es dâun triste, se lamenta-t-il.
â On se rentre ? Le film de TF1 ne va pas nous attendre.
FĂ©lix me raccompagna jusquâĂ la porte de lâimmeuble des Gens, comme toujours. Et me broya contre lui, comme toujours.
â Jâai quelque chose Ă te demander, lui dis-je alors que jâĂ©tais encore dans ses bras.
â Quoi ?
â Sâil te plaĂźt, arrĂȘte de jouer Ă Meetic, je nâen peux plus de ces soirĂ©es ratĂ©es. Câest dĂ©courageant !
Il me repoussa.
â Non, je nâarrĂȘterai pas. Je veux que tu rencontres un type bien, sympa, avec qui tu seras heureuse.
â Tu ne me prĂ©sentes que des guignols, FĂ©lix ! Je vais me dĂ©brouiller toute seule.
Il vrilla ses yeux aux miens.
â Tu penses encore Ă ton Irlandais ?
â ArrĂȘte de dire des conneries ! Ăa fait un an que je suis rentrĂ©e dâIrlande. Tâai-je dĂ©jĂ reparlĂ© dâEdward