Le voir me rendait heureuse, câĂ©tait une Ă©vidence.
â Personne ne mâattend.
â Câest vrai ?
â Si je te le dis !
Nous remontĂąmes toute la rue Vieille-du-Temple pour rejoindre la rue de Bretagne. Rapidement, nous trouvĂąmes une place en terrasse. Olivier me posa beaucoup de questions sur Les Gens, je restai Ă©vasive sur les origines du cafĂ©. Il chercha aussi Ă savoir qui Ă©tait FĂ©lix, et ce quâil reprĂ©sentait pour moi. Ă son expression, je compris que lâhomosexualitĂ© de mon complice le rassurait beaucoup.
Jâappris quâil avait trente-sept ans, quâil avait longtemps exercĂ© en Belgique oĂč il avait fait ses Ă©tudes, avant de revenir Ă Paris un peu plus de cinq ans auparavant. « Lâappel des racines », mâexpliqua-t-il.
Je voyais approcher le moment oĂč jâallais devoir lui parler de moi plus en profondeur. Câest lĂ que je dĂ©cidai dâabrĂ©ger notre soirĂ©e : je nâĂ©tais pas sĂ»re quâil soit prĂȘt Ă entendre qui jâĂ©tais rĂ©ellement et ce que jâavais vĂ©cu. Je me sentais bien avec lui, et je paniquai Ă lâidĂ©e de le faire fuir avec mes casseroles.
Pour autant, sâil devait se passer quelque chose entre nous, je ne pouvais pas lui cacher mon passĂ©.
CâĂ©tait inenvisageable. Un vrai casse-tĂȘte chinois.
â Olivier, je te remercie pour le verre, mais je vais rentrer, maintenant. Jâai passĂ© un trĂšs bon moment avec toi.
â Le plaisir Ă©tait plus que partagĂ©. Tu habites oĂč ? Je peux te raccompagner ?
â Je vis au-dessus des Gens, câest gentil, mais tu nâas pas besoin de me ramener Ă bon port, je devrais mâen sortir.
â Tu mâautorises Ă faire un petit bout de trajet avec toi ?
â Si tu y tiensâŠ
Nous prĂźmes le chemin du retour. JâĂ©tais mal Ă lâaise, je nâarrivais plus Ă lui parler, je fuyais son regard.
La gĂȘne sâinstalla. Notre balade dura cinq minutes avant quâOlivier dĂ©cide de sâarrĂȘter.
â Je vais te laisser lĂ âŠ
Je lui fis face. Il trouvait le moyen de me sourire encore, alors que jâĂ©tais mutique depuis plusieurs minutes.
â Je peux toujours venir te voir aux Gens ? me demanda-t-il.
â Quand tu veux⊠à bientĂŽt.
Je fis deux pas en arriĂšre sans le quitter des yeux, avant de lui tourner le dos et de prendre la direction de mon appartement. Au passage piĂ©ton entre la rue Vieille-du-Temple et la rue des Quatre-Fils, je jetai un coup dâĆil par-dessus mon Ă©paule : Olivier nâavait pas bougĂ© et mâenvoya un signe de la main. Je soupirai en souriant et poursuivis mon chemin. Je ne savais plus quoi faire⊠Je me couchai directement en arrivant chez moi. Le sommeil mit longtemps Ă venir.
Sâil la remarqua, FĂ©lix ne releva pas ma nervositĂ© les jours suivants. Je vaquais Ă mes occupations normalement, pourtant, je nâarrĂȘtais pas de ruminer au sujet dâOlivier et dâune future relation amoureuse.
Comment lui parler de ma situation sans le faire fuir ? CâĂ©tait une chose dâavoir envie de vivre une histoire et de me sentir prĂȘte, câen Ă©tait une autre de ne pas faire peur avec mon passĂ©, ma fragilitĂ©, les consĂ©quences sur ma vie de femme.
Samedi soir, calme. Le temps avait Ă©tĂ© radieux toute la journĂ©e, et les clients avaient dĂ©sertĂ© ma salle au profit des terrasses. Je les comprenais, jâaurais fait pareil. On allait fermer tĂŽt. JâĂ©tais derriĂšre le bar, et FĂ©lix gobait la lune sur un tabouret.
â Quâas-tu de prĂ©vu ce soir ? lui demandai-je alors que je nous servais un verre de vin rouge.
â Je nâarrive pas Ă me dĂ©cider, on me rĂ©clame partout et je ne sais pas Ă qui je vais accorder cette faveur.
Heureusement quâil Ă©tait lĂ : il trouvait toujours le moyen de me faire rire.
â Et toi ? poursuivit-il aprĂšs avoir trinquĂ©.
â Oh, jâai rendez-vous avec Le Plus Grand Cabaret.
â Tu nâas pas eu de nouvelles de ton admirateur ?
â Non, jâaurais dĂ» mâen douter. De toute façon, il prendra ses jambes Ă son cou quand il saura pour Colin et Clara⊠et le resteâŠ
â Le reste ? Cette histoire dâenfant ? Câest ridicule, un jour ou lâautre, ça te travaillera.
Rien quâĂ lâidĂ©e, je fus prise de tremblements.
â Non, je ne crois pas.
â Diane, tu vas trop vite en besogne. Personne ne te demande de te remarier ou de fonder une famille pour lâinstant. Tu rencontres quelquâun, tu passes du bon temps avec lui et tu laisses les choses se faire.
â De toute maniĂšre, câest tombĂ© Ă lâeau.
â Pas si sĂ»r, regarde qui arriveâŠ
Je dĂ©couvris Olivier, qui sâapprĂȘtait Ă ouvrir la porte. Mon cĆur battit la chamade.
â Salut, nous dit-il simplement en entrant.
â Salut, Olivier, lança joyeusement FĂ©lix. Installe-toi !