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J’en demande pardon à M. l’avocat impérial,

j’en demande pardon au tribunal, j’interromps ce passage, mais j’ai besoin de dire que c’est l’auteur qui parle, et de vous faire remarquer dans 863

quels termes il s’exprime sur le mystère de la communion ; j’ai besoin, avant de reprendre cette lecture, que le tribunal saisisse la valeur littéraire empruntée à ce tableau ; j’ai besoin d’insister sur ces expressions qui appartiennent à l’auteur :

« Et ce fut en défaillant d’une joie céleste qu’elle avança les lèvres pour accepter le corps du Sauveur qui se présentait. Les rideaux de son alcôve se bombaient mollement autour d’elle en façon de nuées, et les rayons des deux cierges brillant sur la commode lui parurent être des gloires éblouissantes. Alors elle laissa retomber sa tête, croyant entendre dans les espaces le chant des harpes séraphiques, et apercevoir en un ciel d’azur, sur un trône d’or, au milieu des saints tenant des palmes vertes, Dieu le père, tout éclatant de majesté, et qui d’un signe faisait descendre vers la terre des anges aux ailes de flammes, pour l’emporter dans leurs bras. »

Il continue :

« Cette vision splendide demeura dans sa mémoire comme la chose la plus belle qu’il fut possible de rêver ; si bien qu’à présent elle 864

s’efforçait d’en ressaisir la sensation qui continuait cependant, mais d’une manière moins exclusive et avec une douceur aussi profonde.

Son âme, courbaturée d’orgueil, se reposait enfin dans l’humilité chrétienne ; et, savourant le plaisir d’être faible, Emma contemplait en elle-même la destruction de sa volonté, qui devait faire aux envahissements de la grâce une large entrée. Il existait donc à la place du bonheur des félicités plus grandes, un autre amour au-dessus de tous les amours, sans intermittences ni fin, et qui s’accroîtrait éternellement ! Elle entrevit, parmi les illusions de son espoir, un état de pureté flottant au-dessus de la terre, se confondant avec le ciel et où elle soupira d’être. Elle voulut devenir une sainte. Elle acheta des chapelets ; elle porta des amulettes ; elle souhaitait avoir dans sa chambre, au chevet de sa couche, un reliquaire enchâssé d’émeraudes, pour le baiser tous les soirs. »

Voilà des sentiments religieux ! Et si vous vouliez vous arrêter un instant sur la pensée principale de l’auteur, je vous demanderais de tourner la page et de lire les trois lignes suivantes 865

du deuxième alinéa1 :

« Elle s’irrita contre les prescriptions du culte ; l’arrogance des écrits polémiques lui déplut par leur acharnement à poursuivre des gens qu’elle ne connaissait pas, et des contes profanes relevés de la religion lui parurent écrits dans une telle ignorance du monde, qu’ils l’écartèrent insensiblement des vérités dont elle attendait la preuve. »

Voilà le langage de M. Flaubert. Maintenant, s’il vous plaît, arrivons à une autre scène, à la

scène de l’extrême-onction. Oh ! monsieur l’avocat impérial, combien vous vous êtes trompé quand, vous arrêtant aux premiers mots, vous avez accusé mon client de mêler le sacré au profane, quand il s’est contenté de traduire ces belles formules de l’extrême-onction, au moment où le prêtre touche tous les organes de nos sens, au moment où, selon l’expression du Rituel, il dit : Per istam unctionem, et suam piissimam misericordiam, indulgeat tibi Dominus quidquid deliquisti.

1 Page 358.

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Vous avez dit : il ne faut pas toucher aux choses saintes. De quel droit travestissez-vous ces saintes paroles : « Que Dieu, dans sa sainte miséricorde, vous pardonne toutes les fautes que vous avez commises par la vue, par le goût, par l’ouïe, etc. ? »

Tenez, je vais vous lire le passage incriminé, et ce sera toute ma vengeance. J’ose dire ma vengeance, car l’auteur a besoin d’être vengé.

Oui, il faut que M. Flaubert sorte d’ici, non seulement acquitté, mais vengé ! vous allez voir de quelles lectures il est nourri. Le passage incriminé est à la page 2711 du n° du 15

décembre ; il est ainsi conçu :

« Pâle comme une statue, et les yeux rouges

comme des charbons, Charles, sans pleurer, se tenait en face d’elle, au pied du lit, tandis que le prêtre, appuyé sur un genou, marmottait des paroles basses... »

Tout ce tableau est magnifique, et la lecture en est irrésistible ; mais tranquillisez-vous, je ne la prolongerai pas outre mesure. Voici maintenant 1 Page 536.

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l’incrimination :

« Elle tourna sa figure lentement, et parut saisie de joie à voir tout à coup l’étole violette, sans doute retrouvant au milieu d’un apaisement extraordinaire la volupté perdue de ses premiers élancements mystiques, avec des visions de béatitude éternelle qui commençaient.

« Le prêtre se releva pour prendre le crucifix ; alors elle allongea le cou comme quelqu’un qui a soif, et, collant ses lèvres sur le corps de l’Homme-Dieu, elle y déposa, de toute sa force expirante, le plus grand baiser d’amour qu’elle eut jamais donné. »

L’extrême-onction n’est pas encore

commencée ; mais on me reproche ce baiser. Je n’irai pas chercher dans sainte Thérèse, que vous connaissez peut-être, mais dont le souvenir est trop éloigné ; je n’irai pas même chercher dans Fénelon le mysticisme de madame Guyon, ni des mysticismes plus modernes dans lesquels je trouve bien d’autres raisons. Je ne veux pas demander à ces écoles, que vous qualifiez de christianisme sensuel, l’explication de ce baiser ; 868

c’est à Bossuet, à Bossuet lui-même que je veux la demander :

« Obéissez et tâchez au reste d’entrer dans les dispositions de Jésus en communiant, qui sont des dispositions d’union, de jouissance et d’amour : tout l’Évangile le crie. Jésus veut qu’on soit avec lui ; il veut jouir, il veut qu’on jouisse de lui. Sa sainte chair est le milieu de cette union et de cette chaste jouissance : il se donne. » Etc.

Je reprends la lecture du passage incriminé :

« Ensuite il récita le Misereatur et l’ Indulgentiam, trempa son pouce droit dans l’huile et commença les onctions : d’abord sur les yeux, qui avaient tant convoité les somptuosités terrestres ; puis sur les narines, friandes de brises tièdes et de senteurs amoureuses ; puis sur la bouche, qui s’était ouverte pour le mensonge, qui avait gémi d’orgueil et crié dans la luxure ; puis sur les mains, qui se délectaient aux contacts suaves, et enfin sur la plante des pieds, si rapides autrefois quand elle courait à l’assouvissance de ses désirs, et qui maintenant ne marcheraient 869

plus.

« Le curé s’essuya les doigts, jeta dans le feu les brins de coton trempés d’huile, et revint s’asseoir près de la moribonde pour lui dire qu’à présent elle devait joindre ses souffrances à celles de Jésus-Christ, et s’abandonner à la miséricorde divine.

« En faisant ses exhortations. il essaya de lui mettre dans la main un cierge béni, symbole des gloires célestes dont elle allait être tout à l’heure environnée. Mais Emma, trop faible, ne put fermer les doigts, et le cierge, sans M.

Bournisien, serait tombé par terre.

« Cependant elle n’était plus aussi pâle, et son visage avait une expression de sérénité, comme si le sacrement l’eût guérie.

« Le prêtre ne manqua point d’en faire l’observation ; et il expliqua même à Bovary que le Seigneur, quelquefois, prolongeait l’existence des personnes lorsqu’il le jugeait convenable pour leur salut. Et Charles se rappela un jour, où ainsi, près de mourir, elle avait reçu la communion, il ne fallait peut-être pas se 870

désespérer, pensait-il. »

Maintenant, quand une femme meurt, et que le prêtre va lui donner l’extrême-onction ; quand on fait de cela une scène mystique et que nous traduisons avec une fidélité scrupuleuse les paroles sacramentelles, on dit que nous touchons aux choses saintes. Nous avons porté une main téméraire aux choses saintes, parce que au deliquisti per oculos, per os, per aurem, per manus et per pedes, nous avons ajouté le péché que chacun de ces organes avait commis. Nous ne sommes pas les premiers qui ayons marché dans cette voie. M. Sainte-Beuve, dans un livre que vous connaissez, met aussi une scène d’extrême-onction, et voici comment il s’exprime :

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