"Unleash your creativity and unlock your potential with MsgBrains.Com - the innovative platform for nurturing your intellect." » Français Books » 💚💚,,Madame Bovary'' - Gustave Flaubert

Add to favorite 💚💚,,Madame Bovary'' - Gustave Flaubert

Select the language in which you want the text you are reading to be translated, then select the words you don't know with the cursor to get the translation above the selected word!




Go to page:
Text Size:

sérieux et émouvant. Et je vous le répète, celui qui a donné à mon client ce livre, et qui a vu mon client en faire l’usage qu’il en a fait, lui a serré la main avec des larmes. Vous voyez donc, monsieur l’avocat impérial, combien est téméraire – pour ne pas me servir d’une expression qui, pour être exacte, serait plus sévère – l’accusation que nous avions touché aux choses saintes. Vous voyez maintenant que nous n’avons pas mêlé le profane au sacré, quand, à chacun des sens, nous avons indiqué le péché commis par ce sens, puisque c’est le langage de l’Église elle-même.

Insisterai-je maintenant sur les autres détails du délit d’outrage à la religion ? Voilà que le ministère public me dit : « Ce n’est plus la religion, c’est la morale de tous les temps que vous avez outragée ; vous avez insulté la mort ! »

Comment ai-je insulté la mort ? Parce qu’au moment où cette femme meurt, il passe dans la rue un homme que, plus d’une fois, elle avait rencontré demandant l’aumône près de la voiture dans laquelle elle revenait des rendez-vous adultères, l’aveugle qu’elle avait accoutumé de 880

voir, l’aveugle qui chantait sa chanson pendant que la voiture montait lentement la côte, à qui elle jetait une pièce de monnaie, et dont l’aspect la faisait frissonner. Cet homme passe dans la rue ; et, au moment où la miséricorde divine pardonne ou promet le pardon à la malheureuse qui expie ainsi par une mort affreuse les fautes de sa vie, la raillerie humaine lui apparaît sous la forme de la chanson qui passe sous sa fenêtre.

Mon Dieu ! vous trouvez qu’il y a là un outrage ; mais M. Flaubert ne fait que ce qu’ont fait Shakespeare et Gœthe, qui, à l’instant suprême de la mort, ne manquent pas de faire entendre quelque chant, soit de plainte, soit de raillerie, qui rappelle à celui qui s’en va dans l’éternité quelque plaisir dont il ne jouira plus, ou quelque faute à expier.

Lisons :

« En effet, elle regarda tout autour d’elle lentement, comme quelqu’un qui se réveille d’un songe ; puis, d’une voix distincte, elle demanda son miroir ; elle resta penchée dessus quelque temps jusqu’au moment où de grosses larmes lui 881

découlèrent des yeux. Alors elle se renversa la tête en poussant un soupir et retomba sur l’oreiller.

« Sa poitrine aussitôt se mit à haleter rapidement. »

Je ne puis pas lire, je suis comme Lamartine :

« L’expiation va pour moi au delà de la vérité... »

Je ne croyais pourtant pas faire une mauvaise action, monsieur l’avocat impérial, en lisant ces pages à mes filles qui sont mariées, honnêtes filles qui ont reçu de bons exemples, de bonnes leçons, et que jamais, jamais on n’a mises, par une indiscrétion, hors de la voie la plus étroite, hors des choses qui peuvent et doivent être entendues... Il m’est impossible de continuer cette lecture, je m’en tiendrai rigoureusement aux passages incriminés :

« Les bras étendus et à mesure que le râle devenait plus fort (Charles était de l’autre côté, cet homme que vous ne voyez jamais, et qui est admirable), et à mesure que le râle devenait plus fort, l’ecclésiastique précipitait ses oraisons ; elles se mêlaient aux sanglots étouffés de Bovary, 882

et quelquefois tout semblait disparaître dans le sourd murmure des syllabes latines, qui tintaient comme un glas de cloche.

« Tout à coup on entendit sur le trottoir un bruit de gros sabots, avec le frôlement d’un bâton ; et une voix s’éleva, une voix rauque qui chantait :

« Souvent la chaleur d’un beau jour

« Fait rêver fillette à l’amour.

« Elle se releva comme un cadavre que l’on

galvanise, les cheveux dénoués, la prunelle fixe, béante.

« Pour amasser diligemment

« Les épis que la faux moissonne,

« Ma Nanette va s’inclinant

« Vers le sillon qui nous les donne.

« – L’aveugle ! s’écria-t-elle.

883

Et Emma se mit à rire, d’un rire atroce, frénétique, désespéré, croyant voir la face hideuse du misérable qui se dressait dans les ténèbres éternelles comme un épouvantement.

« Il souffla bien fort ce jour-là,

« Et le jupon court s’envola !

« Une convulsion la rabattit sur le matelas.

Tous s’approchèrent. Elle n’existait plus. »

Voyez, messieurs, dans ce moment suprême,

le rappel de sa faute, le remords, avec tout ce qu’il a de poignant et d’affreux. Ce n’est pas une fantaisie d’artiste voulant seulement faire un contraste sans utilité, sans moralité, c’est l’aveugle qu’elle entend dans la rue chantant cette affreuse chanson, qu’il chantait quand elle revenait toute suante, toute hideuse des rendez-vous de l’adultère ; c’est l’aveugle qu’elle voyait à chacun de ces rendez-vous : c’est cet aveugle qui la poursuivait de son chant, de son importunité ; c’est lui qui, au moment où la 884

miséricorde divine est là, vient personnifier la rage humaine qui la poursuit à l’instant suprême de la mort ! Et on appelle cela un outrage à la morale publique ! Mais je puis dire, au contraire, que c’est là un hommage à la morale publique, qu’il n’y a rien de plus moral que cela ; je puis dire que, dans ce livre, le vice de l’éducation est animé, qu’il est pris dans le vrai, dans la chair vivante de notre société, qu’à chaque trait l’auteur nous pose cette question : « As-tu fait ce que tu devais pour l’éducation de tes filles ? La religion que tu leur as donnée, est-elle celle qui peut les soutenir dans les orages de la vie, ou n’est-elle qu’un amas de superstitions charnelles, qui laissent sans appui quand la tempête gronde ?

Leur as-tu enseigné que la vie n’est pas la réalisation de rêves chimériques, que c’est quelque chose de prosaïque dont il faut s’accommoder ? Leur as-tu enseigné cela, toi ?

As-tu fait ce que tu devais pour leur bonheur ?

Leur as-tu dit : Pauvres enfants, hors de la route que je vous indique, dans les plaisirs que vous poursuivez, vous n’avez que le dégoût qui vous attend, l’abandon de la maison, le trouble, le 885

désordre, la dilapidation, les convulsions, la saisie... » Et vous voyez si quelque chose manque au tableau, l’huissier est là, là aussi est le juif qui a vendu pour satisfaire les caprices de cette femme, les meubles sont saisis, la vente va avoir lieu ; et le mari ignore tout encore. Il ne reste plus à la malheureuse qu’à mourir !

Mais, dit le ministère public, sa mort est volontaire, cette femme meurt à son heure.

Est-ce qu’elle pouvait vivre ? Est-ce qu’elle n’était pas condamnée ? Est-ce qu’elle n’avait pas épuisé le dernier degré de la honte et de la bassesse ?

Oui, sur nos scènes, on montre les femmes qui ont dévié, gracieuses, souriantes, heureuses, et je ne veux pas dire ce qu’elles ont fait. Questum corpore jecerant. Je me borne à dire ceci. Quand on nous les montre heureuses, charmantes, enveloppées de mousseline, présentant une main gracieuse à des comtes, à des marquis, à des ducs, que souvent elles répondent elles-mêmes au nom de marquises ou de duchesses : voilà ce que vous appelez respecter la morale publique. Et celui qui 886

Are sens

Copyright 2023-2059 MsgBrains.Com