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classique, et très classique ? C’est ce que je me donnerai le plaisir de faire tout à l’heure.

« Elle se déshabillait... (ah ! monsieur l’avocat impérial, que vous avez mal compris ce passage !) elle se déshabillait brutalement (la malheureuse), arrachant le lacet mince de son corset qui sifflait autour de ses hanches, comme une couleuvre qui glisse ; et pâle, sans parler, sérieuse, elle s’abattait contre sa poitrine, avec un long frisson... Il y avait sur ce front couvert de gouttes froides... dans l’étreinte de ses bras, quelque chose de vague et de lugubre... »

C’est ici qu’il faut se demander où est la couleur lascive ? et où est la couleur sévère ? et si les sens de la jeune fille aux mains de laquelle tomberait ce livre peuvent être émus, excités –

comme à la lecture d’un livre classique entre tous les classiques, que je citerai tout à l’heure, et qui a été réimprimé mille fois, sans que jamais procureur impérial, ou royal, ait songé à le poursuivre. Est-ce qu’il y a quelque chose d’analogue dans ce que je viens de vous lire ?

Est-ce que ce n’est pas, au contraire, l’excitation 840

à l’horreur du vice que « ce quelque chose de lugubre qui se glisse entre eux pour les séparer » ? Continuons, je vous prie.

« Il n’osait lui faire de questions ; mais, la discernant si expérimentée, elle avait dû passer, se disait-il, par toutes les épreuves de la souffrance et du plaisir. Ce qui le charmait autrefois l’effrayait un peu maintenant.

D’ailleurs, il se révoltait contre l’absorption, chaque jour plus grande, de sa personnalité. Il en voulait à Emma de cette victoire permanente. Il s’efforçait même à ne pas la chérir ; puis, au craquement de ses bottines, il se sentait lâche, comme les ivrognes à la vue des liqueurs fortes. »

Est-ce que c’est lascif, cela ?

Et puis, prenez le dernier paragraphe :

« Un jour qu’ils s’étaient quittés de bonne heure, et qu’elle s’en revenait seule par le boulevard, elle aperçut les murs de son couvent ; alors elle s’assit sur un banc, à l’ombre des ormes. Quel calme dans ce temps-là ! Comme elle enviait les ineffables sentiments d’amour qu’elle tâchait, d’après des livres, de se figurer !

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Les premiers mois de son mariage, ses promenades à cheval dans la forêt, le Vicomte qui valsait, et Lagardy chantant, tout repassa devant ses yeux. »

N’oubliez donc pas ceci, monsieur l’avocat impérial, quand vous voulez juger la pensée de l’auteur, quand vous voulez trouver absolument la couleur lascive là où je ne puis trouver qu’un excellent livre.

« Et Léon lui parut soudain dans le même éloignement que les autres. « Je l’aime pourtant », se disait-elle ; elle n’était pas heureuse, ne l’avait jamais été. D’où venait donc cette insuffisance de la vie, cette pourriture instantanée des choses où elle s’appuyait ? »

Est-ce lascif, cela ?

« Mais s’il y avait quelque part un être fort et beau, une nature valeureuse, pleine à la fois d’exaltation et de raffinements, un cœur de poète sous une forme d’ange, lyre aux cordes d’airain sonnant vers le ciel des épithalames élégiaques, pourquoi, par hasard, ne le trouverait-elle pas ?

Oh ! quelle impossibilité ! Rien, d’ailleurs, ne 842

valait la peine d’une recherche, tout mentait !

Chaque sourire cachait un bâillement d’ennui, chaque joie une malédiction, tout plaisir son dégoût, et les meilleurs baisers ne vous laissaient sur la lèvre que l’irréalisable envie d’une volupté plus haute.

« Un râle métallique se traîna dans les airs, et quatre coups se firent entendre à la cloche du couvent. Quatre heures ! et il lui semblait qu’elle était là, sur ce banc, depuis l’éternité. »

Il ne faut pas chercher au bout d’un livre quelque chose pour expliquer ce qui est au bout d’un autre. J’ai lu le passage incriminé sans y ajouter un mot, pour défendre une œuvre qui se défend par elle-même. Continuons la lecture de ce passage incriminé au point de vue de la morale :

« Madame était dans sa chambre. On n’y montait pas. Elle restait là tout le long du jour, engourdie, à peine vêtue, et de temps à autre faisait fumer des pastilles du sérail, qu’elle avait achetées à Rouen, dans la boutique d’un Algérien. Pour ne pas avoir, la nuit, contre sa 843

chair, cet homme étendu qui dormait, elle finit, à force de grimaces, par le reléguer au second étage ; et elle lisait jusqu’au matin des livres extravagants où il y avait des tableaux orgiaques avec des situations sanglantes. » (Ceci donne envie de l’adultère, n’est-ce pas ?) « Souvent une terreur la prenait, elle poussait un cri. Charles accourait. – Ah ! va-t’en, disait-elle ; ou, d’autres fois, brûlée plus fort par cette flamme intime que l’adultère avivait, haletante, émue, tout en désir, elle ouvrait la fenêtre, aspirait l’air froid, éparpillait au vent sa chevelure trop lourde et regardait les étoiles, souhaitait des amours de prince. Elle pensait à lui, à Léon. Elle eût alors tout donné pour un seul de ces rendez-vous qui la rassasiaient.

« C’était ses jours de gala. Elle les voulait splendides ! et, lorsqu’il ne pouvait payer seul la dépense, elle complétait le surplus libéralement ; ce qui arrivait à peu près toutes les fois. Il essaya de lui faire comprendre qu’ils seraient aussi bien ailleurs, dans quelque hôtel plus modeste, mais elle trouva des objections. »

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Vous voyez comme tout ceci est simple quand on lit tout ; mais, avec les découpures de M.

l’avocat impérial, le plus petit mot devient une montagne.

M. l’avocat impérial. – Je n’ai cité aucune de ces phrases-là, et puisque vous en voulez citer que je n’ai point incriminées, il ne fallait pas passer à pieds joints sur la page 50.

Me Sénard. – Je ne passe rien, j’insiste sur les phrases incriminées dans la citation. Nous sommes cités pour les pages 77 et 781.

M. l’avocat impérial. – Je parle des citations faites à l’audience, et je croyais que vous m’imputiez d’avoir cité les lignes que vous venez de lire.

Me Sénard. – Monsieur l’avocat impérial, j’ai cité tous les passages à l’aide desquels vous vouliez constituer un délit qui maintenant est brisé. Vous avez développé à l’audience ce que bon vous semblait, et vous avez eu beau jeu.

Heureusement nous avions le livre, le défenseur savait le livre ; s’il ne l’avait pas su, sa position 1 Pages 479 et 480.

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eût été bien étrange, permettez-moi de vous le dire. Je suis appelé à m’expliquer sur tels et tels passages, et à l’audience on y substitue d’autres passages. Si je n’avais possédé le livre comme je le possède, la défense eût été difficile.

Maintenant, je vous montre par une analyse fidèle que le roman, loin de devoir être présenté comme lascif, doit être au contraire considéré comme une œuvre éminemment morale. Après avoir fait cela, je prends les passages qui ont motivé la citation en police correctionnelle ; et après avoir fait suivre vos découpures de ce qui précède et de ce qui suit, l’accusation est si faible, qu’elle vous révolte vous-même, au moment où je les lis ! Ces mêmes passages que vous signaliez comme incriminables, il y a un instant, j’ai cependant bien le droit de les citer moi-même, pour vous faire voir le néant de votre accusation.

Je reprends ma citation où j’en suis resté, au bas de la page 78 :

« Il (Léon) s’ennuyait maintenant lorsque Emma, tout à coup, sanglotait sur sa poitrine ; et son cœur, comme les gens qui ne peuvent endurer 846

qu’une certaine dose de musique, s’assoupissait d’indifférence au vacarme d’un amour dont il ne distinguait plus les délicatesses.

« Ils se connaissaient trop pour avoir ces ébahissements de la possession qui en centuplent la joie. Elle était aussi dégoûtée de lui qu’il était fatigué d’elle. Emma retrouvait dans l’adultère toutes les platitudes du mariage. »

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