Platitudes du mariage ! Celui qui a dĂ©coupĂ© ceci, a dit : comment, voilĂ un monsieur qui dit que dans le mariage il nây a que des platitudes !
Câest une attaque au mariage, câest un outrage Ă la morale ! Convenez, monsieur lâavocat impĂ©rial, quâavec des dĂ©coupures artistement faites on peut aller loin en fait dâincrimination.
Quâest-ce que lâauteur a appelĂ© les platitudes du mariage ? Cette monotonie quâEmma avait redoutĂ©e, quâelle avait voulu fuir, et quâelle retrouvait sans cesse dans lâadultĂšre, ce qui Ă©tait prĂ©cisĂ©ment la dĂ©sillusion. Vous voyez donc bien que quand, au lieu de dĂ©couper des membres de phrases et des mots, on lit ce qui prĂ©cĂšde et ce qui suit, il ne reste plus rien Ă lâincrimination ; et 847
vous comprenez Ă merveille que mon client, qui sait sa pensĂ©e, doit ĂȘtre un peu rĂ©voltĂ© de la voir ainsi travestir. Continuons :
« Elle Ă©tait aussi dĂ©goĂ»tĂ©e de lui quâil Ă©tait fatiguĂ© dâelle. Emma retrouvait dans lâadultĂšre toutes les platitudes du mariage.
« Mais comment pouvoir sâen dĂ©barrasser ?
Puis elle avait beau se sentir humiliĂ©e de la bassesse dâun tel bonheur, elle y tenait encore, par habitude ou par corruption ; et chaque jour elle sây acharnait davantage, tarissant toute fĂ©licitĂ© Ă la vouloir trop grande. Elle accusait LĂ©on de ses espoirs déçus, comme sâil lâavait trahie ; et mĂȘme elle souhaitait une catastrophe qui amenĂąt leur sĂ©paration, puisquâelle nâavait pas le courage de sây dĂ©cider.
« Elle nâen continuait pas moins Ă lui Ă©crire des lettres amoureuses, en vertu de cette idĂ©e : quâune femme doit toujours Ă©crire Ă son amant.
« Mais, en Ă©crivant, elle percevait un autre homme, un fantĂŽme, fait de ses plus ardents souvenirs. » Ceci nâest plus incriminĂ© : « ensuite elle retombait Ă plat, brisĂ©e, car ces Ă©lans 848
dâamour vague la fatiguaient plus que de grandes dĂ©bauches.
« Elle Ă©prouvait maintenant une courbature incessante et universelle... elle recevait du papier timbrĂ© quâelle regardait Ă peine. Elle aurait voulu ne plus vivre ou continuellement dormir. »
Jâappelle cela une excitation Ă la vertu, par lâhorreur du vice, ce que lâauteur annonce lui-mĂȘme, et ce que le lecteur le plus distrait ne peut pas ne pas voir, sans un peu de mauvaise volontĂ©.
Et maintenant quelque chose de plus, pour vous faire apercevoir quelle espĂšce dâhomme vous avez Ă juger. Pour vous montrer non pas quelle espĂšce de justification je puis prendre, mais si M. Flaubert a eu la couleur lascive et oĂč il prend ses inspirations, laissez-moi mettre sur votre bureau ce livre usĂ© par lui, et dans les passages duquel il sâest inspirĂ© pour dĂ©peindre cette concupiscence, les entraĂźnements de cette femme qui cherche le bonheur dans les plaisirs illicites, qui ne peut pas lây rencontrer, qui cherche encore, qui cherche de plus en plus, et ne le rencontre jamais. OĂč Flaubert a pris ses 849
inspirations, messieurs ? Câest dans ce livre que voilĂ ; Ă©coutez :
« ILLUSION DES SENS.
« Quiconque donc sâattache au sensible, il faut quâil erre nĂ©cessairement dâobjets en objets et se trompe pour ainsi dire, en changeant de place ; ainsi la concupiscence, câest-Ă -dire lâamour des plaisirs, est toujours changeant, parce que toute son ardeur languit et meurt dans la continuitĂ©, et que câest le changement qui le fait revivre. Aussi quâest-ce autre chose que la vie des sens, quâun mouvement alternatif de lâappĂ©tit au dĂ©goĂ»t et du dĂ©goĂ»t Ă lâappĂ©tit, lâĂąme flottant toujours incertaine entre lâardeur qui se ralentit et lâardeur qui se renouvelle ? Inconstantia, concupiscentia.
VoilĂ ce que câest que la vie des sens. Cependant, dans ce mouvement perpĂ©tuel, on ne laisse pas de se divertir par lâimage dâune libertĂ© errante. »
VoilĂ ce que câest que la vie des sens. Qui a dit cela ? qui a Ă©crit les paroles que vous venez dâentendre, sur ces excitations et ces ardeurs incessantes ? Quel est le livre que M. Flaubert feuillette jour et nuit, et dont il sâest inspirĂ© dans 850
les passages quâincrimine M. lâavocat impĂ©rial ?
Câest Bossuet ! Ce que je viens de vous lire, câest un fragment dâun discours de Bossuet sur les plaisirs illicites. Je vous ferai voir que tous ces passages incriminĂ©s ne sont, non pas des plagiats,
â lâhomme qui sâest appropriĂ© une idĂ©e nâest pas un plagiaire, â mais que des imitations de Bossuet. En voulez-vous un autre exemple ? Le voici :
» SUR LE PĂCHĂ.
« Et ne me demandez pas, chrĂ©tiens, de quelle sorte se fera ce grand changement de nos plaisirs en supplices ; la chose est prouvĂ©e par les Ăcritures. Câest le VĂ©ritable qui le dit, câest le Tout-Puissant qui le fait. Et toutefois, si vous regardez la nature des passions auxquelles vous abandonnez votre cĆur, vous comprendrez aisĂ©ment quâelles peuvent devenir un supplice intolĂ©rable. Elles ont toutes, en elles-mĂȘmes, des peines cruelles, des dĂ©goĂ»ts, des amertumes.
Elles ont toutes une infinitĂ© qui se fĂąche de ne pouvoir ĂȘtre assouvie ; ce qui mĂȘle dans elles toutes des emportements, qui dĂ©gĂ©nĂšrent en une 851
espĂšce de fureur non moins pĂ©nible que dĂ©raisonnable. Lâamour, sâil mâest permis de le nommer dans cette chaire, a ses incertitudes, ses agitations violentes et ses rĂ©solutions irrĂ©solues et lâenfer de ses jalousies. »
Et plus loin :
« Eh ! quây a-t-il donc de plus aisĂ© que de faire de nos passions une peine insupportable de nos pĂ©chĂ©s, en leur ĂŽtant, comme il est trĂšs juste, ce peu de douceur par oĂč elles nous sĂ©duisent, et leur laissant seulement les inquiĂ©tudes cruelles et lâamertume dont elles abondent ? Nos pĂ©chĂ©s contre nous, nos pĂ©chĂ©s sur nous, nos pĂ©chĂ©s au milieu de nous : trait perçant contre notre sein, poids insupportable sur notre tĂȘte, poison dĂ©vorant dans nos entrailles. »
Tout ce que vous venez dâentendre nâest-il pas lĂ pour vous montrer les amertumes des passions ? Je vous laisse ce livre tout marquĂ©, tout flĂ©tri par le pouce de lâhomme studieux qui y a pris sa pensĂ©e. Et celui qui sâest inspirĂ© Ă une source pareille, celui-lĂ qui a dĂ©crit lâadultĂšre dans les termes que vous venez dâentendre, celui-852
lĂ est poursuivi pour outrage Ă la morale publique et religieuse !
Quelques lignes encore sur la Femme pécheresse, et vous allez voir comment M.
Flaubert, ayant Ă peindre ces ardeurs a su sâinspirer de son modĂšle :
« Mais punis de notre erreur sans en ĂȘtre dĂ©trompĂ©s, nous cherchons dans le changement un remĂšde de notre mĂ©prise ; nous errons dâobjet en objet ; et sâil en est enfin quelquâun qui nous fixe, ce nâest pas que nous soyons contents de notre choix, câest que nous sommes louĂ©s de notre inconstance. »
.......................
« Tout lui paraĂźt vide, faux, dĂ©goĂ»tant dans les crĂ©atures : loin dây retrouver ces premiers charmes, dont son cĆur avait eu tant de peine Ă se dĂ©fendre, elle nâen voit plus que le frivole, le danger et la vanitĂ©. »
.......................
« Je ne parle pas dâun engagement de passion ; quelles frayeurs que le mystĂšre nâĂ©clate ! que de 853
mesures Ă garder du cĂŽtĂ© de la biensĂ©ance et de la gloire ! que dâyeux Ă Ă©viter ! que de surveillants Ă tromper ! que de retours Ă craindre sur la fidĂ©litĂ© de ceux quâon a choisis pour les ministres et les confidents de sa passion ! quels rebuts Ă essuyer de celui, peut-ĂȘtre, Ă qui on a sacrifiĂ© son honneur et sa libertĂ©, et dont on nâoserait se plaindre ! Ă
tout cela, ajoutez ces moments cruels oĂč la passion moins vive nous laisse le loisir de retomber sur nous-mĂȘmes, et de sentir toute lâindignitĂ© de notre Ă©tat ; ces moments oĂč le cĆur, nĂ© pour les plaisirs plus solides, se lasse de ses propres idoles, et trouve son supplice dans ses dĂ©goĂ»ts et dans son inconstance. Monde profane !
si câest lĂ cette fĂ©licitĂ© que tu nous vantes tant, favorises-en tes adorateurs ; et punis-les, en les rendant ainsi heureux, de la foi quâils ont ajoutĂ©e si lĂ©gĂšrement Ă tes promesses. »
Laissez-moi vous dire ceci : quand un homme, dans le silence des nuits, a mĂ©ditĂ© sur les causes des entraĂźnements de la femme ; quand il les a trouvĂ©es dans lâĂ©ducation et que, pour les exprimer, se dĂ©fiant de ses observations personnelles, il a Ă©tĂ© se mĂ»rir aux sources que je 854
