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si lente Ă  se mouvoir, si ennuyeuse Ă  Ă©couter, d’un aspect si commun et d’une conversation si restreinte, qu’il n’avait jamais songĂ©, quoiqu’elle eĂ»t trente ans, qu’il en eĂ»t vingt, qu’ils couchassent porte Ă  porte, et qu’il lui parlĂąt chaque jour, qu’elle pĂ»t ĂȘtre une femme pour quelqu’un, ni qu’elle possĂ©dĂąt de son sexe autre chose que la robe. Et ensuite, qu’y avait-il ?

Binet, quelques marchands, deux ou trois cabaretiers, le curĂ©, et enfin M. Tuvache, le maire, avec ses deux fils, gens cossus, bourrus, obtus, cultivant leurs terres eux-mĂȘmes, faisant des ripailles en famille, dĂ©vots d’ailleurs, et d’une sociĂ©tĂ© tout Ă  fait insupportable.

Mais, sur le fond commun de tous ces visages humains, la figure d’Emma se dĂ©tachait isolĂ©e et plus lointaine cependant ; car il sentait entre elle et lui comme de vagues abĂźmes.

Au commencement, il Ă©tait venu chez elle plusieurs fois dans la compagnie du pharmacien.

Charles n’avait point paru extrĂȘmement curieux de le recevoir ; et LĂ©on ne savait comment s’y 198

prendre entre la peur d’ĂȘtre indiscret et le dĂ©sir d’une intimitĂ© qu’il estimait presque impossible.

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IV

DĂšs les premiers froids, Emma quitta sa chambre pour habiter la salle, longue piĂšce Ă  plafond bas oĂč il y avait, sur la cheminĂ©e, un polypier touffu s’étalant contre la glace. Assise dans son fauteuil, prĂšs de la fenĂȘtre, elle voyait passer les gens du village sur le trottoir.

LĂ©on, deux fois par jour, allait de son Ă©tude au Lion d’or. Emma, de loin, l’entendait venir ; elle se penchait en Ă©coutant ; et le jeune homme glissait derriĂšre le rideau, toujours vĂȘtu de mĂȘme façon et sans dĂ©tourner la tĂȘte. Mais au crĂ©puscule, lorsque, le menton dans sa main gauche, elle avait abandonnĂ© sur ses genoux sa tapisserie commencĂ©e, souvent elle tressaillait Ă  l’apparition de cette ombre glissant tout Ă  coup.

Elle se levait et commandait qu’on müt le couvert.

M. Homais arrivait pendant le dĂźner. Bonnet

grec Ă  la main, il entrait Ă  pas muets pour ne 200

dĂ©ranger personne et toujours en rĂ©pĂ©tant la mĂȘme phrase : « Bonsoir la compagnie ! » Puis, quand il s’était posĂ© Ă  sa place, contre la table, entre les deux Ă©poux, il demandait au mĂ©decin des nouvelles de ses malades, et celui-ci le consultait sur la probabilitĂ© des honoraires.

Ensuite, on causait de ce qu’il y avait dans le journal. Homais, Ă  cette heure-lĂ , le savait presque par cƓur ; et il le rapportait intĂ©gralement, avec les rĂ©flexions du journaliste et toutes les histoires des catastrophes individuelles arrivĂ©es en France ou Ă  l’étranger.

Mais, le sujet se tarissant, il ne tardait pas Ă  lancer quelques observations sur les mets qu’il voyait. Parfois mĂȘme, se levant Ă  demi, il indiquait dĂ©licatement Ă  Madame le morceau le plus tendre, ou, se tournant vers la bonne, lui adressait des conseils pour la manipulation des ragoĂ»ts et l’hygiĂšne des assaisonnements ; il parlait arome, osmazĂŽme, sucs et gĂ©latine d’une façon Ă  Ă©blouir. La tĂȘte d’ailleurs plus remplie de recettes que sa pharmacie ne l’était de bocaux, Homais excellait Ă  faire quantitĂ© de confitures, vinaigres et liqueurs douces, et il connaissait 201

aussi toutes les inventions nouvelles de calĂ©facteurs Ă©conomiques, avec l’art de conserver les fromages et de soigner les vins malades.

À huit heures, Justin venait le chercher pour fermer la pharmacie. Alors M. Homais le regardait d’un Ɠil narquois, surtout si FĂ©licitĂ© se trouvait lĂ , s’étant aperçu que son Ă©lĂšve affectionnait la maison du mĂ©decin.

– Mon gaillard, disait-il, commence Ă  avoir des idĂ©es, et je crois, diable m’emporte, qu’il est amoureux de votre bonne !

Mais un dĂ©faut plus grave, et qu’il lui reprochait, c’était d’écouter continuellement les conversations. Le dimanche, par exemple, on ne pouvait le faire sortir du salon, oĂč madame Homais l’avait appelĂ© pour prendre les enfants, qui s’endormaient dans les fauteuils, en tirant avec leurs dos les housses de calicot, trop larges.

Il ne venait pas grand monde Ă  ces soirĂ©es du pharmacien, sa mĂ©disance et ses opinions politiques ayant Ă©cartĂ© de lui successivement diffĂ©rentes personnes respectables. Le clerc ne manquait pas de s’y trouver. DĂšs qu’il entendait 202

la sonnette, il courait au-devant de madame Bovary, prenait son chĂąle, et posait Ă  l’écart, sous le bureau de la pharmacie, les grosses pantoufles de lisiĂšre qu’elle portait sur sa chaussure quand il y avait de la neige.

On faisait d’abord quelques parties de trente-et-un ; ensuite M. Homais jouait Ă  l’écartĂ© avec Emma ; LĂ©on, derriĂšre elle, lui donnait des avis.

Debout et les mains sur le dossier de sa chaise, il regardait les dents de son peigne qui mordaient son chignon. À chaque mouvement qu’elle faisait pour jeter les cartes, sa robe du cĂŽtĂ© droit remontait. De ses cheveux retroussĂ©s, il descendait une couleur brune sur son dos, et qui, s’apĂąlissant graduellement, peu Ă  peu se perdait dans l’ombre. Son vĂȘtement, ensuite, retombait des deux cĂŽtĂ©s sur le siĂšge, en bouffant, plein de plis, et s’étalait jusqu’à terre. Quand LĂ©on parfois sentait la semelle de sa botte poser dessus, il s’écartait, comme s’il eĂ»t marchĂ© sur quelqu’un.

Lorsque la partie de cartes Ă©tait finie, l’apothicaire et le mĂ©decin jouaient aux dominos, et Emma changeant de place, s’accoudait sur la 203

table, Ă  feuilleter l’Illustration. Elle avait apportĂ© son journal de modes. LĂ©on se mettait prĂšs d’elle ; ils regardaient ensemble les gravures et s’attendaient au bas des pages. Souvent elle le priait de lui lire des vers ; LĂ©on les dĂ©clamait d’une voix traĂźnante et qu’il faisait expirer soigneusement aux passages d’amour. Mais le bruit des dominos le contrariait ; M. Homais y Ă©tait fort, il battait Charles Ă  plein double-six.

Puis, les trois centaines terminĂ©es, ils s’allongeaient tous deux devant le foyer et ne tardaient pas Ă  s’endormir. Le feu se mourait dans les cendres ; la thĂ©iĂšre Ă©tait vide ; LĂ©on lisait encore. Emma l’écoutait, en faisant tourner machinalement l’abat-jour de la lampe, oĂč Ă©taient peints sur la gaze des pierrots dans des voitures et des danseuses de corde, avec leurs balanciers.

LĂ©on s’arrĂȘtait, dĂ©signant d’un geste son auditoire endormi ; alors ils se parlaient Ă  voix basse, et la conversation qu’ils avaient leur semblait plus douce, parce qu’elle n’était pas entendue.

Ainsi s’établit entre eux une sorte d’association, un commerce continuel de livres et 204

de romances ; M. Bovary, peu jaloux, ne s’en Ă©tonnait pas.

Il reçut pour sa fĂȘte une belle tĂȘte phrĂ©nologique, toute marquetĂ©e de chiffres jusqu’au thorax et peinte en bleu. C’était une attention du clerc. Il en avait bien d’autres, jusqu’à lui faire, Ă  Rouen, ses commissions ; et le livre d’un romancier ayant mis Ă  la mode la manie des plantes grasses, LĂ©on en achetait pour Madame, qu’il rapportait sur ses genoux, dans l’ Hirondelle, tout en se piquant les doigts Ă  leurs poils durs.

Elle fit ajuster, contre sa croisĂ©e, une planchette Ă  balustrade pour tenir ses potiches. Le clerc eut aussi son jardinet suspendu ; ils s’apercevaient soignant leurs fleurs Ă  leur fenĂȘtre.

Parmi les fenĂȘtres du village, il y en avait une encore, plus souvent occupĂ©e. Car, le dimanche, depuis le matin jusqu’à la nuit, et chaque aprĂšs-midi, si le temps Ă©tait clair, on voyait Ă  la lucarne d’un grenier le profil maigre de M. Binet penchĂ© sur son tour, dont le ronflement monotone s’entendait jusqu’au Lion d’or.

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Un soir, en rentrant, Léon trouva dans sa chambre un tapis de velours et de laine avec des feuillages sur fond pùle, il appela madame Homais, M. Homais, Justin, les enfants, la cuisiniÚre, il en parla à son patron ; tout le monde désira connaßtre ce tapis ; pourquoi la femme du médecin faisait-elle au clerc des générosités ?

Cela parut drĂŽle, et l’on pensa dĂ©finitivement qu’elle devait ĂȘtre sa bonne amie.

Il le donnait à croire, tant il vous entretenait sans cesse de ses charmes et de son esprit, si bien que Binet lui répondit une fois fort brutalement :

– Que m’importe, Ă  moi, puisque je ne suis pas de sa sociĂ©tĂ© !

Il se torturait Ă  dĂ©couvrir par quel moyen lui faire sa dĂ©claration ; et, toujours hĂ©sitant entre la crainte de lui dĂ©plaire et la honte d’ĂȘtre si pusillanime, il en pleurait de dĂ©couragement et de dĂ©sirs. Puis il prenait des dĂ©cisions Ă©nergiques ; il Ă©crivait des lettres qu’il dĂ©chirait, s’ajournait Ă  des Ă©poques qu’il reculait. Souvent il se mettait en marche, dans le projet de tout oser ; mais cette rĂ©solution l’abandonnait bien vite en la prĂ©sence 206

d’Emma, et, quand Charles, survenant, l’invitait Ă  monter dans son boc pour aller voir ensemble quelque malade aux environs, il acceptait aussitĂŽt, saluait Madame et s’en allait. Son mari, n’était-ce pas quelque chose d’elle ?

Quant Ă  Emma, elle ne s’interrogea point pour savoir si elle l’aimait. L’amour, croyait-elle, devait arriver tout Ă  coup, avec de grands Ă©clats et des fulgurations, ouragan des cieux qui tombe sur la vie, la bouleverse, arrache les volontĂ©s comme des feuilles et emporte Ă  l’abĂźme le cƓur entier.

Elle ne savait pas que, sur la terrasse des maisons, la pluie fait des lacs quand les gouttiĂšres sont bouchĂ©es, et elle fĂ»t ainsi demeurĂ©e en sa sĂ©curitĂ©, lorsqu’elle dĂ©couvrit subitement une lĂ©zarde dans le mur.

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V

Ce fut un dimanche de fĂ©vrier, une aprĂšs-midi qu’il neigeait.

Ils Ă©taient tous, M. et madame Bovary, Homais et M. LĂ©on, partis voir, Ă  une demi-lieue d’Yonville, dans la vallĂ©e, une filature de lin que l’on Ă©tablissait. L’apothicaire avait emmenĂ© avec lui NapolĂ©on et Athalie, pour leur faire faire de l’exercice, et Justin les accompagnait, portant des parapluies sur son Ă©paule.

Rien pourtant n’était moins curieux que cette curiositĂ©. Un grand espace de terrain vide, oĂč se trouvaient pĂȘle-mĂȘle, entre des tas de sable et de cailloux, quelques roues d’engrenage dĂ©jĂ  rouillĂ©es, entourait un long bĂątiment quadrangulaire que perçaient quantitĂ© de petites fenĂȘtres. Il n’était pas achevĂ© d’ĂȘtre bĂąti, et l’on voyait le ciel Ă  travers les lambourdes de la toiture. AttachĂ© Ă  la poutrelle du pignon, un 208

bouquet de paille entremĂȘlĂ© d’épis faisait claquer au vent ses rubans tricolores.

Homais parlait. Il expliquait Ă  la compagnie l’importance future de cet Ă©tablissement, supputait la force des planchers, l’épaisseur des murailles, et regrettait beaucoup de n’avoir pas de canne mĂ©trique, comme M. Binet en possĂ©dait une pour son usage particulier.

Emma, qui lui donnait le bras, s’appuyait un peu sur son Ă©paule, et elle regardait le disque du soleil irradiant au loin, dans la brume, sa pĂąleur Ă©blouissante ; mais elle tourna la tĂȘte, Charles Ă©tait lĂ . Il avait sa casquette enfoncĂ©e sur ses sourcils, et ses deux grosses lĂšvres tremblotaient, ce qui ajoutait Ă  son visage quelque chose de stupide ; son dos mĂȘme, son dos tranquille Ă©tait irritant Ă  voir, et elle y trouvait Ă©talĂ©e sur la redingote toute la platitude du personnage.

Are sens