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partout des voies nouvelles de communication, comme autant d’artĂšres nouvelles dans le corps de l’État, y Ă©tablissent des rapports nouveaux ; nos grands centres manufacturiers ont repris leur activitĂ© ; la religion, plus affermie, sourit Ă  tous les cƓurs ; nos ports sont pleins, la confiance renaĂźt, et enfin la France respire !... »

– Du reste, ajouta Rodolphe, peut-ĂȘtre, au point de vue du monde, a-t-on raison ?

– Comment cela ? fit-elle.

– Eh quoi ! dit-il, ne savez-vous pas qu’il y a des Ăąmes sans cesse tourmentĂ©es ? Il leur faut tour Ă  tour le rĂȘve et l’action, les passions les plus pures, les jouissances les plus furieuses, et l’on se jette ainsi dans toutes sortes de fantaisies, de folies.

Alors elle le regarda comme on contemple un

voyageur qui a passé par des pays extraordinaires, et elle reprit :

– Nous n’avons pas mĂȘme cette distraction, nous autres pauvres femmes !

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– Triste distraction, car on n’y trouve pas le bonheur.

– Mais le trouve-t-on jamais ? demanda-t-elle.

– Oui, il se rencontre un jour, rĂ©pondit-il.

« Et c’est lĂ  ce que vous avez compris, disait le conseiller. Vous, agriculteurs et ouvriers des campagnes ; vous, pionniers pacifiques d’une Ɠuvre toute de civilisation ! vous, hommes de progrĂšs et de moralitĂ© ! vous avez compris, dis-je, que les orages politiques sont encore plus redoutables vraiment que les dĂ©sordres de l’atmosphĂšre... »

– Il se rencontre un jour, rĂ©pĂ©ta Rodolphe, un jour, tout Ă  coup, et quand on en dĂ©sespĂ©rait.

Alors des horizons s’entr’ouvrent, c’est comme une voix qui crie : Le voilà ! Vous sentez le besoin de faire à cette personne la confidence de votre vie, de lui donner tout, de lui sacrifier tout !

On ne s’explique pas, on se devine. On s’est entrevu dans ses rĂȘves. – Et il la regardait. –

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Enfin, il est lĂ , ce trĂ©sor que l’on a tant cherchĂ©, lĂ , devant vous ; il brille, il Ă©tincelle. Cependant on en doute encore, on n’ose y croire ; on en reste Ă©bloui, comme si l’on sortait des tĂ©nĂšbres Ă  la lumiĂšre.

Et, en achevant ces mots, Rodolphe ajouta la pantomime Ă  sa phrase. Il se passa la main sur le visage, tel qu’un homme pris d’étourdissement ; puis, il la laissa retomber sur celle d’Emma. Elle retira la sienne. Mais le conseiller lisait toujours :

« Et qui s’en Ă©tonnerait, messieurs ? Celui-lĂ  seul qui serait assez aveugle, assez plongĂ© (je ne crains pas de le dire), assez plongĂ© dans les prĂ©jugĂ©s d’un autre Ăąge pour mĂ©connaĂźtre encore l’esprit des populations agricoles. OĂč trouver, en effet, plus de patriotisme que dans les campagnes, plus de dĂ©vouement Ă  la cause publique, plus d’intelligence en un mot ? Et je n’entends pas, messieurs, cette intelligence superficielle, vain ornement des esprits oisifs, mais cette intelligence profonde et modĂ©rĂ©e, qui s’applique par-dessus toute chose Ă  poursuivre 295

ces buts utiles, contribuant ainsi au bien de chacun, Ă  l’amĂ©lioration commune et au soutien des États, fruit du respect des lois et de la pratique des devoirs... »

– Ah ! encore, dit Rodolphe. Toujours les devoirs, je suis assommĂ© de ces mots-lĂ . Ils sont un tas de vieilles ganaches en gilet de flanelle, et de bigotes Ă  chaufferette et Ă  chapelet, qui continuellement nous chantent aux oreilles : « Le devoir ! le devoir ! » Eh ! parbleu ! le devoir, c’est de sentir ce qui est grand, de chĂ©rir ce qui est beau, et non pas d’accepter toutes les conventions de la sociĂ©tĂ©, avec les ignominies qu’elle nous impose.

– Cependant... cependant... objectait madame Bovary.

– Eh non ! pourquoi dĂ©clamer contre les passions ? Ne sont-elles pas la seule belle chose qu’il y ait sur la terre, la source de l’hĂ©roĂŻsme, de l’enthousiasme, de la poĂ©sie, de la musique, des arts, de tout enfin ?

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– Mais il faut bien, dit Emma, suivre un peu l’opinion du monde et obĂ©ir Ă  sa morale.

– Ah ! c’est qu’il y en a deux, rĂ©pliqua-t-il. La petite, la convenue, celle des hommes, celle qui varie sans cesse et qui braille si fort, s’agite en bas, terre Ă  terre, comme ce rassemblement d’imbĂ©ciles que vous voyez. Mais l’autre, l’éternelle, elle est tout autour et au-dessus, comme le paysage qui nous environne et le ciel bleu qui nous Ă©claire.

M. Lieuvain venait de s’essuyer la bouche avec son mouchoir de poche. Il reprit :

« Et qu’aurais-je Ă  faire, messieurs, de vous dĂ©montrer ici l’utilitĂ© de l’agriculture ? Qui donc pourvoit Ă  nos besoins ? qui donc fournit Ă  notre subsistance ? N’est-ce pas l’agriculteur ?

L’agriculteur, messieurs, qui, ensemençant d’une main laborieuse les sillons fĂ©conds des campagnes, fait naĂźtre le blĂ©, lequel broyĂ© est mis en poudre au moyen d’ingĂ©nieux appareils, en sort sous le nom de farine, et, de lĂ , transportĂ© dans les citĂ©s, est bientĂŽt rendu chez le boulanger, 297

qui en confectionne un aliment pour le pauvre comme pour le riche. N’est-ce pas l’agriculteur encore qui engraisse, pour nos vĂȘtements, ses abondants troupeaux dans les pĂąturages ? Car comment nous vĂȘtirions-nous, car comment nous nourririons-nous sans l’agriculteur ? Et mĂȘme, messieurs, est-il besoin d’aller si loin chercher des exemples ? Qui n’a souvent rĂ©flĂ©chi Ă  toute l’importance que l’on retire de ce modeste animal, ornement de nos basses-cours, qui fournit Ă  la fois un oreiller moelleux pour nos couches, sa chair succulente pour nos tables, et des Ɠufs ?

Mais je n’en finirais pas, s’il fallait Ă©numĂ©rer les uns aprĂšs les autres les diffĂ©rents produits que la terre bien cultivĂ©e, telle qu’une mĂšre gĂ©nĂ©reuse, prodigue Ă  ses enfants. Ici, c’est la vigne ; ailleurs, ce sont les pommiers Ă  cidre ; lĂ , le colza ; plus loin, les fromages ; et le lin ; messieurs, n’oublions pas le lin ! qui a pris dans ces derniĂšres annĂ©es un accroissement considĂ©rable et sur lequel j’appellerai plus particuliĂšrement votre attention. »

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Il n’avait pas besoin de l’appeler : car toutes les bouches de la multitude se tenaient ouvertes, comme pour boire ses paroles. Tuvache, Ă  cĂŽtĂ© de lui, l’écoutait en Ă©carquillant les yeux ; M.

Derozerays, de temps Ă  autre, fermait doucement les paupiĂšres ; et, plus loin, le pharmacien, avec son fils NapolĂ©on entre ses jambes, bombait sa main contre son oreille pour ne pas perdre une seule syllabe. Les autres membres du jury balançaient lentement leur menton dans leur gilet, en signe d’approbation. Les pompiers, au bas de l’estrade, se reposaient sur leurs baĂŻonnettes ; et Binet, immobile, restait le coude en dehors, avec la pointe du sabre en l’air. Il entendait peut-ĂȘtre, mais il ne devait rien apercevoir, Ă  cause de la visiĂšre de son casque qui lui descendait sur le nez. Son lieutenant, le fils cadet du sieur Tuvache, avait encore exagĂ©rĂ© le sien ; car il en portait un Ă©norme et qui lui vacillait sur la tĂȘte, en laissant dĂ©passer un bout de son foulard d’indienne. Il souriait lĂ -dessous avec une douceur tout enfantine, et sa petite figure pĂąle, oĂč des gouttes ruisselaient, avait une expression de jouissance, d’accablement et de sommeil.

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La Place jusqu’aux maisons Ă©tait comble de monde. On voyait des gens accoudĂ©s Ă  toutes les fenĂȘtres, d’autres debout sur toutes les portes, et Justin, devant la devanture de la pharmacie, paraissait tout fixĂ© dans la contemplation de ce qu’il regardait. MalgrĂ© le silence, la voix de M.

Lieuvain se perdait dans l’air. Elle vous arrivait par lambeaux de phrases, qu’interrompait çà et lĂ  le bruit des chaises dans la foule ; puis on entendait, tout Ă  coup, partir derriĂšre soi un long mugissement de bƓuf, ou bien les bĂȘlements des agneaux qui se rĂ©pondaient au coin des rues. En effet, les vachers et les bergers avaient poussĂ© leurs bĂȘtes jusque-lĂ , et elles beuglaient de temps Ă  autre, tout en arrachant avec leur langue quelque bribe de feuillage qui leur pendait sur le museau.

Rodolphe s’était rapprochĂ© d’Emma, et il disait d’une voix basse, en parlant vite :

– Est-ce que cette conjuration du monde ne vous rĂ©volte pas ? Est-il un seul sentiment qu’il ne condamne ? Les instincts les plus nobles, les sympathies les plus pures sont persĂ©cutĂ©s, 300

calomniĂ©s, et, s’il se rencontre enfin deux pauvres Ăąmes, tout est organisĂ© pour qu’elles ne puissent se joindre. Elles essayeront cependant, elles battront des ailes, elles s’appelleront. Oh !

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