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– Non.

– Tu en es sĂ»r ?

– Certainement.

– C’est à l’hîtel de Provence, n’est-ce pas, que tu m’attendras ? À midi ?

Il fit un signe de tĂȘte.

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– À demain, donc ! dit Emma dans une derniùre caresse.

Et elle le regarda s’éloigner.

Il ne se dĂ©tournait pas. Elle courut aprĂšs lui, et, se penchant au bord de l’eau entre des broussailles :

– À demain ! s’écria-t-elle.

Il Ă©tait dĂ©jĂ  de l’autre cĂŽtĂ© de la riviĂšre et marchait vite dans la prairie.

Au bout de quelques minutes, Rodolphe s’arrĂȘta ; et, quand il la vit avec son vĂȘtement blanc peu Ă  peu s’évanouir dans l’ombre comme un fantĂŽme, il fut pris d’un tel battement de cƓur, qu’il s’appuya contre un arbre pour ne pas tomber.

– Quel imbĂ©cile je suis ! fit-il en jurant Ă©pouvantablement. N’importe, c’était une jolie maĂźtresse !

Et, aussitĂŽt, la beautĂ© d’Emma, avec tous les plaisirs de cet amour, lui rĂ©apparurent. D’abord il s’attendrit, puis il se rĂ©volta contre elle.

– Car enfin, exclamait-il en gesticulant, je ne 411

peux pas m’expatrier, avoir la charge d’une enfant.

Il se disait ces choses pour s’affermir davantage.

– Et, d’ailleurs, les embarras, la dĂ©pense. Ah !

non, non, mille fois non ! cela eĂ»t Ă©tĂ© trop bĂȘte !

412

XIII

À peine arrivĂ© chez lui, Rodolphe s’assit brusquement Ă  son bureau, sous la tĂȘte de cerf faisant trophĂ©e contre la muraille. Mais, quand il eut la plume entre les doigts, il ne sut rien trouver, si bien que, s’appuyant sur les deux coudes, il se mit Ă  rĂ©flĂ©chir. Emma lui semblait ĂȘtre reculĂ©e dans un passĂ© lointain, comme si la rĂ©solution qu’il avait prise venait de placer entre eux, tout Ă  coup, un immense intervalle.

Alors, afin de ressaisir quelque chose d’elle, il alla chercher dans l’armoire, au chevet de son lit, une vieille boĂźte Ă  biscuits de Reims oĂč il enfermait d’habitude ses lettres de femmes, et il s’en Ă©chappa une odeur de poussiĂšre humide et de roses flĂ©tries. D’abord il aperçut un mouchoir de poche, couvert de gouttelettes pĂąles. C’était un mouchoir Ă  elle, une fois qu’elle avait saignĂ© du nez, en promenade ; il ne s’en souvenait plus. Il y 413

avait auprĂšs, se cognant Ă  tous les angles, la miniature donnĂ©e par Emma ; sa toilette lui parut prĂ©tentieuse et son regard en coulisse du plus pitoyable effet ; puis, Ă  force de considĂ©rer cette image et d’évoquer le souvenir du modĂšle, les traits d’Emma peu Ă  peu se confondirent en sa mĂ©moire, comme si la figure vivante et la figure peinte, se frottant l’une contre l’autre, se fussent rĂ©ciproquement effacĂ©es. Enfin il lut de ses lettres ; elles Ă©taient pleines d’explications relatives Ă  leur voyage, courtes, techniques et pressantes comme des billets d’affaires. Il voulut revoir les longues, celles d’autrefois ; pour les trouver au fond de la boĂźte, Rodolphe dĂ©rangea toutes les autres ; et machinalement il se mit Ă  fouiller dans ce tas de papiers et de choses, y retrouvant pĂȘle-mĂȘle des bouquets, une jarretiĂšre, un masque noir, des Ă©pingles et des cheveux –

des cheveux ! de bruns, de blonds ; quelques-uns mĂȘme, s’accrochant Ă  la ferrure de la boĂźte, se cassaient quand on l’ouvrait.

Ainsi flùnant parmi ses souvenirs, il examinait les écritures et le style des lettres, aussi variés que leurs orthographes. Elles étaient tendres ou 414

joviales, facĂ©tieuses, mĂ©lancoliques ; il y en avait qui demandaient de l’amour et d’autres qui demandaient de l’argent. À propos d’un mot, il se rappelait des visages, de certains gestes, un son de voix ; quelquefois pourtant il ne se rappelait rien.

En effet, ces femmes, accourant Ă  la fois dans sa pensĂ©e, s’y gĂȘnaient les unes les autres et s’y rapetissaient, comme sous un mĂȘme niveau d’amour qui les Ă©galisait. Prenant donc Ă  poignĂ©e les lettres confondues, il s’amusa pendant quelques minutes Ă  les faire tomber en cascades, de sa main droite dans sa main gauche. Enfin, ennuyĂ©, assoupi, Rodolphe alla reporter la boĂźte dans l’armoire en se disant :

– Quel tas de blagues !...

Ce qui rĂ©sumait son opinion ; car les plaisirs, comme des Ă©coliers dans la cour d’un collĂšge, avaient tellement piĂ©tinĂ© sur son cƓur, que rien de vert n’y poussait, et ce qui passait par lĂ , plus Ă©tourdi que les enfants, n’y laissait pas mĂȘme, comme eux, son nom gravĂ© sur la muraille.

– Allons, se dit-il, commençons !

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Il Ă©crivit :

« Du courage, Emma ! du courage ! Je ne veux pas faire le malheur de votre existence... »

– AprĂšs tout, c’est vrai, pensa Rodolphe ; j’agis dans son intĂ©rĂȘt ; je suis honnĂȘte.

« Avez-vous mûrement pesé votre

dĂ©termination ? Savez-vous l’abĂźme oĂč je vous entraĂźnais, pauvre ange ? Non, n’est-ce pas ?

Vous alliez confiante et folle, croyant au bonheur, Ă  l’avenir... Ah ! malheureux que nous sommes ! insensĂ©s ! »

Rodolphe s’arrĂȘta pour trouver ici quelque bonne excuse.

– Si je lui disais que toute ma fortune est perdue ?... Ah ! non, et d’ailleurs, cela n’empĂȘcherait rien. Ce serait Ă  recommencer plus tard. Est-ce qu’on peut faire entendre raison Ă  des femmes pareilles !

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