"Unleash your creativity and unlock your potential with MsgBrains.Com - the innovative platform for nurturing your intellect." » Français Books » 💚💚,,Madame Bovary'' - Gustave Flaubert

Add to favorite 💚💚,,Madame Bovary'' - Gustave Flaubert

Select the language in which you want the text you are reading to be translated, then select the words you don't know with the cursor to get the translation above the selected word!




Go to page:
Text Size:

Oh ! je t’en supplie !

Et elle se prĂ©cipita sur sa bouche, comme pour y saisir le consentement inattendu qui s’en exhalait dans un baiser.

– Mais... reprit Rodolphe.

– Quoi donc ?

– Et ta fille ?

398

Elle réfléchit quelques minutes, puis répondit :

– Nous la prendrons, tant pis !

– Quelle femme ! se dit-il en la regardant s’éloigner. Car elle venait de s’échapper dans le jardin. On l’appelait.

La mĂšre Bovary, les jours suivants, fut trĂšs Ă©tonnĂ©e de la mĂ©tamorphose de sa bru. En effet, Emma se montra plus docile, et mĂȘme poussa la dĂ©fĂ©rence jusqu’à lui demander une recette pour faire mariner des cornichons.

Était-ce afin de les mieux duper l’un et l’autre ? ou bien voulait-elle, par une sorte de stoĂŻcisme voluptueux, sentir plus profondĂ©ment l’amertume des choses qu’elle allait abandonner ?

Mais elle n’y prenait garde, au contraire ; elle vivait comme perdue dans la dĂ©gustation anticipĂ©e de son bonheur prochain. C’était avec Rodolphe un Ă©ternel sujet de causeries. Elle s’appuyait sur son Ă©paule, elle murmurait :

– Hein ? quand nous serons dans la malle-poste !... Y songes-tu ? Est-ce possible ? Il me semble qu’au moment oĂč je sentirai la voiture 399

s’élancer, ce sera comme si nous montions en ballon, comme si nous partions vers les nuages.

Sais-tu que je compte les jours ?... Et toi ?

Jamais madame Bovary ne fut aussi belle qu’à cette Ă©poque ; elle avait cette indĂ©finissable beautĂ© qui rĂ©sulte de la joie, de l’enthousiasme, du succĂšs, et qui n’est que l’harmonie du tempĂ©rament avec les circonstances. Ses convoitises, ses chagrins, l’expĂ©rience du plaisir et ses illusions toujours jeunes, comme font aux fleurs le fumier, la pluie, les vents et le soleil, l’avaient par gradations dĂ©veloppĂ©e, et elle s’épanouissait enfin dans la plĂ©nitude de sa nature. Ses paupiĂšres semblaient taillĂ©es tout exprĂšs pour ses longs regards amoureux oĂč la prunelle se perdait, tandis qu’un souffle fort Ă©cartait ses narines minces et relevait le coin charnu de ses lĂšvres, qu’ombrageait Ă  la lumiĂšre un peu de duvet noir. On eĂ»t dit qu’un artiste habile en corruptions avait disposĂ© sur sa nuque la torsade de ses cheveux. Ils s’enroulaient en une masse lourde, nĂ©gligemment, et selon les hasards de l’adultĂšre, qui les dĂ©nouait tous les jours. Sa voix maintenant prenait des inflexions plus 400

molles, sa taille aussi ; quelque chose de subtil qui vous pĂ©nĂ©trait se dĂ©gageait mĂȘme des draperies de sa robe et de la cambrure de son pied. Charles, comme aux premiers temps de son mariage, la trouvait dĂ©licieuse et tout irrĂ©sistible.

Quand il rentrait au milieu de la nuit, il n’osait pas la rĂ©veiller. La veilleuse de porcelaine arrondissait au plafond une clartĂ© tremblante, et les rideaux fermĂ©s du petit berceau faisaient comme une hutte blanche qui se bombait dans l’ombre, au bord du lit. Charles les regardait. Il croyait entendre l’haleine lĂ©gĂšre de son enfant.

Elle allait grandir maintenant ; chaque saison, vite, amĂšnerait un progrĂšs. Il la voyait dĂ©jĂ  revenant de l’école Ă  la tombĂ©e du jour, toute rieuse, avec sa brassiĂšre tachĂ©e d’encre, et portant au bras son panier ; puis il faudrait la mettre en pension, cela coĂ»terait beaucoup ; comment faire ? Alors il rĂ©flĂ©chissait. Il pensait Ă  louer une petite ferme aux environs, et qu’il surveillerait lui-mĂȘme, tous les matins, en allant voir ses malades. Il en Ă©conomiserait le revenu, il le placerait Ă  la caisse d’épargne ; ensuite il achĂšterait des actions, quelque part, n’importe 401

oĂč ; d’ailleurs, la clientĂšle augmenterait ; il y comptait, car il voulait que Berthe fĂ»t bien Ă©levĂ©e, qu’elle eĂ»t des talents, qu’elle apprĂźt le piano. Ah ! qu’elle serait jolie, plus tard, Ă  quinze ans, quand, ressemblant Ă  sa mĂšre, elle porterait comme elle, dans l’étĂ©, de grands chapeaux de paille ; on les prendrait de loin pour les deux sƓurs. Il se la figurait travaillant le soir auprĂšs d’eux, sous la lumiĂšre de la lampe ; elle lui broderait des pantoufles ; elle s’occuperait du mĂ©nage ; elle emplirait toute la maison de sa gentillesse et de sa gaietĂ©. Enfin, ils songeraient Ă  son Ă©tablissement : on lui trouverait quelque brave garçon ayant un Ă©tat solide ; il la rendrait heureuse ; cela durerait toujours.

Emma ne dormait pas, elle faisait semblant d’ĂȘtre endormie ; et, tandis qu’il s’assoupissait Ă  ses cĂŽtĂ©s, elle se rĂ©veillait en d’autres rĂȘves.

Au galop de quatre chevaux, elle Ă©tait emportĂ©e depuis huit jours vers un pays nouveau, d’oĂč ils ne reviendraient plus. Ils allaient, ils allaient, les bras enlacĂ©s, sans parler. Souvent, du haut d’une montagne, ils apercevaient tout Ă  coup 402

quelque citĂ© splendide avec des dĂŽmes, des ponts, des navires, des forĂȘts de citronniers et des cathĂ©drales de marbre blanc, dont les clochers aigus portaient des nids de cigogne. On marchait au pas, Ă  cause des grandes dalles, et il y avait par terre des bouquets de fleurs que vous offraient des femmes habillĂ©es en corset rouge. On entendait sonner des cloches, hennir les mulets, avec le murmure des guitares et le bruit des fontaines, dont la vapeur s’envolant rafraĂźchissait des tas de fruits, disposĂ©s en pyramide au pied des statues pĂąles, qui souriaient sous les jets d’eau. Et puis ils arrivaient, un soir, dans un village de pĂȘcheurs, oĂč des filets bruns sĂ©chaient au vent, le long de la falaise et des cabanes. C’est lĂ  qu’ils s’arrĂȘteraient pour vivre ; ils habiteraient une maison basse, Ă  toit plat, ombragĂ©e d’un palmier, au fond d’un golfe, au bord de la mer. Ils se promĂšneraient en gondole, ils se balanceraient en hamac ; et leur existence serait facile et large comme leurs vĂȘtements de soie, toute chaude et Ă©toilĂ©e comme les nuits douces qu’ils contempleraient. Cependant, sur l’immensitĂ© de cet avenir qu’elle se faisait apparaĂźtre, rien de 403

particulier ne surgissait ; les jours, tous magnifiques, se ressemblaient comme des flots ; et cela se balançait Ă  l’horizon, infini, harmonieux, bleuĂątre et couvert de soleil. Mais l’enfant se mettait Ă  tousser dans son berceau, ou bien Bovary ronflait plus fort, et Emma ne s’endormait que le matin, quand l’aube blanchissait les carreaux et que dĂ©jĂ  le petit Justin, sur la place, ouvrait les auvents de la pharmacie.

Elle avait fait venir M. Lheureux et lui avait dit :

– J’aurais besoin d’un manteau, un grand manteau, Ă  long collet, doublĂ©.

– Vous partez en voyage ? demanda-t-il.

– Non ! mais... n’importe, je compte sur vous, n’est-ce pas ? et vivement !

Il s’inclina.

– Il me faudrait encore, reprit-elle, une caisse... pas trop lourde... commode.

– Oui, oui, j’entends, de quatre-vingt-douze centimùtres environ sur cinquante, comme on les 404

fait à présent.

– Avec un sac de nuit.

– DĂ©cidĂ©ment, pensa Lheureux, il y a du grabuge lĂ -dessous.

– Et tenez, dit madame Bovary en tirant sa montre de sa ceinture, prenez cela ; vous vous payerez dessus.

Mais le marchand s’écria qu’elle avait tort ; ils se connaissaient ; est-ce qu’il doutait d’elle ?

Quel enfantillage ! Elle insista cependant pour qu’il prĂźt au moins la chaĂźne, et dĂ©jĂ  Lheureux l’avait mise dans sa poche et s’en allait, quand elle le rappela.

– Vous laisserez tout chez vous. Quant au manteau, – elle eut l’air de rĂ©flĂ©chir, – ne l’apportez pas non plus ; seulement, vous me donnerez l’adresse de l’ouvrier et avertirez qu’on le tienne Ă  ma disposition.

C’était le mois prochain qu’ils devaient s’enfuir. Elle partirait d’Yonville comme pour aller faire des commissions Ă  Rouen. Rodolphe aurait retenu les places, pris des passeports, et 405

mĂȘme Ă©crit Ă  Paris, afin d’avoir la malle entiĂšre jusqu’à Marseille, oĂč ils achĂšteraient une calĂšche et, de lĂ , continueraient sans s’arrĂȘter, par la route de GĂȘnes. Elle aurait eu soin d’envoyer chez Lheureux son bagage, qui serait directement portĂ© Ă  l’ Hirondelle, de maniĂšre que personne ainsi n’aurait de soupçons ; et, dans tout cela, jamais il n’était question de son enfant. Rodolphe Ă©vitait d’en parler ; peut-ĂȘtre qu’elle n’y pensait pas.

Are sens

Copyright 2023-2059 MsgBrains.Com