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2 Pages 355 et 356.

3 Pages 361-362.

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principal prĂ©venu, c’est l’auteur, c’est M.

Flaubert, M. Flaubert qui, averti par la note de la rĂ©daction, proteste contre la suppression qui est faite Ă  son Ɠuvre. AprĂšs lui, vient au second rang M. Laurent Pichat, auquel vous demanderez compte non de cette suppression qu’il a faite, mais de celles qu’il aurait dĂ» faire, et, enfin, vient en derniĂšre ligne l’imprimeur qui est une sentinelle avancĂ©e contre le scandale. M. Pillet, d’ailleurs, est un homme honorable contre lequel je n’ai rien Ă  dire. Nous ne vous demandons qu’une chose, de lui appliquer la loi. Les imprimeurs doivent lire ; quand ils n’ont pas lu ou fait lire, c’est Ă  leurs risques et pĂ©rils qu’ils impriment. Les imprimeurs ne sont pas des machines ; ils ont un privilĂšge, ils prĂȘtent serment, ils sont dans une situation spĂ©ciale, ils sont responsables. Encore une fois, ils sont, si vous me permettez l’expression, comme des sentinelles avancĂ©es ; s’ils laissent passer le dĂ©lit, c’est comme s’ils laissaient passer l’ennemi.

AttĂ©nuez la peine autant que vous voudrez vis-Ă -vis de Pillet ; soyez mĂȘme indulgents vis-Ă -vis du gĂ©rant de la Revue ; quant Ă  Flaubert, le principal 760

coupable, c’est Ă  lui que vous devez rĂ©server vos sĂ©vĂ©ritĂ©s !

Ma tĂąche remplie, il faut attendre les objections ou les prĂ©venir. On nous dira comme objection gĂ©nĂ©rale : mais, aprĂšs tout, le roman est moral au fond, puisque l’adultĂšre est puni ?

À cette objection, deux rĂ©ponses : je suppose l’Ɠuvre morale, par hypothĂšse, une conclusion morale ne pourrait pas amnistier les dĂ©tails lascifs qui peuvent s’y trouver. Et puis je dis : l’Ɠuvre au fond n’est pas morale.

Je dis, messieurs, que des dĂ©tails lascifs ne peuvent pas ĂȘtre couverts par une conclusion morale, sinon on pourrait raconter toutes les orgies imaginables, dĂ©crire toutes les turpitudes d’une femme publique, en la faisant mourir sur un grabat Ă  l’hĂŽpital. Il serait permis d’étudier et de montrer toutes ses poses lascives ! Ce serait aller contre toutes les rĂšgles du bon sens. Ce serait placer le poison Ă  la portĂ©e de tous et le remĂšde Ă  la portĂ©e d’un bien petit nombre, s’il y avait un remĂšde. Qui est-ce qui lit le roman de M.

Flaubert ? Sont-ce des hommes qui s’occupent 761

d’économie politique ou sociale ? Non ! Les pages lĂ©gĂšres de Madame Bovary tombent en des mains plus lĂ©gĂšres, dans des mains de jeunes filles, quelquefois de femmes mariĂ©es. Eh bien !

lorsque l’imagination aura Ă©tĂ© sĂ©duite, lorsque cette sĂ©duction sera descendue jusqu’au cƓur, lorsque le cƓur aura parlĂ© aux sens, est-ce que vous croyez qu’un raisonnement bien froid sera bien fort contre cette sĂ©duction des sens et du sentiment ? Et puis, il ne faut pas que l’homme se drape trop dans sa force et dans sa vertu, l’homme porte les instincts d’en bas et les idĂ©es d’en haut, et, chez tous, la vertu n’est que la consĂ©quence d’un effort, bien souvent pĂ©nible.

Les peintures lascives ont gĂ©nĂ©ralement plus d’influence que les froids raisonnements. VoilĂ  ce que je rĂ©ponds Ă  cette thĂ©orie, voilĂ  ma premiĂšre rĂ©ponse, mais j’en ai une seconde.

Je soutiens que le roman de Madame Bovary, envisagĂ© au point de vue philosophique, n’est point moral. Sans doute madame Bovary meurt

empoisonnĂ©e ; elle a beaucoup souffert, c’est vrai ; mais elle meurt Ă  son heure et Ă  son jour, mais elle meurt, non parce qu’elle est adultĂšre, 762

mais parce qu’elle l’a voulu ; elle meurt dans tout le prestige de sa jeunesse et de sa beautĂ© ; elle meurt aprĂšs avoir eu deux amants, laissant un mari qui l’aime, qui l’adore, qui trouvera le portrait de Rodolphe, qui trouvera ses lettres et celles de LĂ©on, qui lira les lettres d’une femme deux fois adultĂšre, et qui, aprĂšs cela, l’aimera encore davantage au-delĂ  du tombeau. Qui peut condamner cette femme dans le livre ? Personne.

Telle est la conclusion. Il n’y a pas dans le livre un personnage qui puisse la condamner. Si vous y trouvez un personnage sage, si vous y trouvez un seul principe en vertu duquel l’adultĂšre soit stigmatisĂ©, j’ai tort. Donc, si, dans tout le livre, il n’y a pas un personnage qui puisse lui faire courber la tĂȘte, s’il n’y a pas une idĂ©e, une ligne en vertu de laquelle l’adultĂšre soit flĂ©tri, c’est moi qui ai raison, le livre est immoral !

Serait-ce au nom de l’honneur conjugal que le livre serait condamnĂ© ? Mais l’honneur conjugal est reprĂ©sentĂ© par un mari bĂ©at, qui, aprĂšs la mort de sa femme, rencontrant Rodolphe, cherche sur le visage de l’amant les traits de la femme qu’il 763

aime (livr. du 15 dĂ©cembre, p. 2891). Je vous le demande, est ce au nom de l’honneur conjugal que vous pouvez stigmatiser cette femme, quand il n’y a pas dans le livre un seul mot oĂč le mari ne s’incline devant l’adultĂšre.

Serait-ce au nom de l’opinion publique ? Mais l’opinion publique est personnifiĂ©e dans un ĂȘtre grotesque, dans le pharmacien Homais, entourĂ© de personnages ridicules que cette femme domine.

Le condamnerez-vous au nom du sentiment religieux ? Mais ce sentiment, vous l’avez personnifiĂ© dans le curĂ© Bournisien, prĂȘtre Ă  peu prĂšs aussi grotesque que le pharmacien, ne croyant qu’aux souffrances physiques, jamais aux souffrances morales, Ă  peu prĂšs matĂ©rialiste.

Le condamnerez-vous au nom de la

conscience de l’auteur ? Je ne sais pas ce que pense la conscience de l’auteur ; mais, dans son chapitre X, le seul philosophique de l’Ɠuvre (livr.

du 15 décembre2), je lis la phrase suivante : 1 Page 576.

2 Page 541.

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« Il y a toujours aprĂšs la mort de quelqu’un comme une stupĂ©faction qui se dĂ©gage, tant il est difficile de comprendre cette survenue du nĂ©ant et de se rĂ©signer Ă  y croire. »

Ce n’est pas un cri d’incrĂ©dulitĂ©, mais c’est du moins un cri de scepticisme. Sans doute il est difficile de le comprendre et d’y croire ; mais, enfin, pourquoi cette stupĂ©faction qui se manifeste Ă  la mort ? Pourquoi ? Parce que cette survenue est quelque chose qui est un mystĂšre, parce qu’il est difficile de le comprendre et de le juger, mais il faut s’y rĂ©signer. Et moi je dis que si la mort est la survenue du nĂ©ant, que si le mari bĂ©at sent croĂźtre son amour en apprenant les adultĂšres de sa femme, que si l’opinion est reprĂ©sentĂ©e par des ĂȘtres grotesques, que si le sentiment religieux est reprĂ©sentĂ© par un prĂȘtre ridicule, une seule personne a raison, rĂšgne, domine : c’est Emma Bovary. Messaline a raison contre JuvĂ©nal.

VoilĂ  la conclusion philosophique du livre, tirĂ©e non par l’auteur, mais par un homme qui rĂ©flĂ©chit et approfondit les choses, par un homme 765

qui a cherchĂ© dans le livre un personnage qui pĂ»t dominer cette femme. Il n’y en a pas. Le seul personnage qui y domine, c’est madame Bovary.

Il faut donc chercher ailleurs que dans le livre, il faut chercher dans cette morale chrĂ©tienne qui est le fond des civilisations modernes. Pour cette morale, tout s’explique et s’éclaircit.

En son nom l’adultĂšre est stigmatisĂ©, condamnĂ©, non pas parce que c’est une imprudence qui expose Ă  des dĂ©sillusions et Ă  des regrets, mais parce que c’est un crime pour la famille. Vous stigmatisez et vous condamnez le suicide, non pas parce que c’est une folie, le fou n’est pas responsable ; non pas parce que c’est une lĂąchetĂ©, il demande quelquefois un certain courage physique, mais parce qu’il est le mĂ©pris du devoir dans la vie qui s’achĂšve, et le cri de l’incrĂ©dulitĂ© dans la vie qui commence.

Cette morale stigmatise la littĂ©rature rĂ©aliste, non pas parce qu’elle peint les passions : la haine, la vengeance, l’amour ; le monde ne vit que lĂ -dessus, et l’art doit les peindre ; mais quand elle les peint sans frein, sans mesure. L’art sans rĂšgle 766

n’est plus l’art ; c’est comme une femme qui quitterait tout vĂȘtement. Imposer Ă  l’art l’unique rĂšgle de la dĂ©cence publique, ce n’est pas l’asservir, mais l’honorer. On ne grandit qu’avec une rĂšgle. VoilĂ , messieurs, les principes que nous professons, voilĂ  une doctrine que nous dĂ©fendons avec conscience.

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Plaidoirie du défenseur

Me SĂ©nard

Messieurs, M. Gustave Flaubert est accusĂ© devant vous d’avoir fait un mauvais livre, d’avoir, dans ce livre, outragĂ© la morale publique et la religion. M. Gustave Flaubert est auprĂšs de moi ; il affirme devant vous qu’il a fait un livre honnĂȘte ; il affirme devant vous que la pensĂ©e de son livre, depuis la premiĂšre ligne jusqu’à la derniĂšre, est une pensĂ©e morale, religieuse, et que, si elle n’était pas dĂ©naturĂ©e (nous avons vu pendant quelques instants ce que peut un grand talent pour dĂ©naturer une pensĂ©e), elle serait (et elle reviendra tout Ă  l’heure) pour vous ce qu’elle a Ă©tĂ© dĂ©jĂ  pour les lecteurs du livre, une pensĂ©e Ă©minemment morale et religieuse pouvant se traduire par ces mots : l’excitation Ă  la vertu par l’horreur du vice.

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Je vous apporte ici l’affirmation de M.

Gustave Flaubert, et je la mets hardiment en regard du rĂ©quisitoire du ministĂšre public, car cette affirmation est grave ; elle l’est par la personne qui l’a faite, elle l’est par les circonstances qui ont prĂ©sidĂ© Ă  l’exĂ©cution du livre que je vais vous faire connaĂźtre.

L’affirmation est dĂ©jĂ  grave par la personne qui la fait, et, permettez-moi de vous le dire, M.

Gustave Flaubert n’était pas pour moi un inconnu qui eĂ»t besoin auprĂšs de moi de

recommandations, qui eĂ»t des renseignements Ă  me donner, je ne dis pas sur sa moralitĂ©, mais sur sa dignitĂ©. Je viens ici, dans cette enceinte, remplir un devoir de conscience, aprĂšs avoir lu le livre, aprĂšs avoir senti s’exhaler par cette lecture tout ce qu’il y a en moi d’honnĂȘte et de profondĂ©ment religieux. Mais, en mĂȘme temps que je viens remplir un devoir de conscience, je viens remplir un devoir d’amitiĂ©. Je me rappelle, je ne saurais oublier que son pĂšre a Ă©tĂ© pour moi un vieil ami. Son pĂšre, de l’amitiĂ© duquel je me suis longtemps honorĂ©, honorĂ© jusqu’au dernier jour, son pĂšre et, permettez-moi de le dire, son 769

illustre pĂšre, a Ă©tĂ© pendant plus de trente annĂ©es chirurgien en chef de l’HĂŽtel-Dieu de Rouen. Il a Ă©tĂ© le prosecteur de Dupuytren ; en donnant Ă  la science de grands enseignements, il l’a dotĂ©e de grands noms ; je n’en veux citer qu’un seul, Cloquet. Il n’a pas seulement laissĂ© lui-mĂȘme un beau nom dans la science, il y a laissĂ© de grands souvenirs, pour d’immenses services rendus Ă  l’humanitĂ©. Et en mĂȘme temps que je me souviens de mes liaisons avec lui, je veux vous le dire, son fils, qui est traduit en police correctionnelle pour outrage Ă  la morale et Ă  la religion, son fils est l’ami de mes enfants, comme j’étais l’ami de son pĂšre. Je sais sa pensĂ©e, je sais ses intentions, et l’avocat a ici le droit de se poser comme la caution personnelle de son client.

Messieurs, un grand nom et de grands souvenirs obligent. Les enfants de M. Flaubert ne lui ont pas failli. Ils Ă©taient trois, deux fils et une fille, morte Ă  vingt et un ans. L’aĂźnĂ© a Ă©tĂ© jugĂ© digne de succĂ©der Ă  son pĂšre : et c’est lui qui, aujourd’hui, remplit dĂ©jĂ  depuis plusieurs annĂ©es la mission que son pĂšre a remplie pendant trente ans. Le plus jeune, le voici : il est Ă  votre barre.

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En leur laissant une fortune considĂ©rable et un grand nom, leur pĂšre leur a laissĂ© le besoin d’ĂȘtre des hommes d’intelligence et de cƓur, des hommes utiles. Le frĂšre de mon client s’est lancĂ© dans une carriĂšre oĂč les services rendus sont de chaque jour. Celui-ci a dĂ©vouĂ© sa vie Ă  l’étude, aux lettres, et l’ouvrage qu’on poursuit en ce moment devant vous est son premier ouvrage. Ce premier ouvrage, messieurs, qui provoque les passions, au dire de M. l’avocat impĂ©rial, est le rĂ©sultat de longues Ă©tudes, de longues mĂ©ditations. M. Gustave Flaubert est un homme d’un caractĂšre sĂ©rieux portĂ© par sa nature aux choses graves, aux choses tristes. Ce n’est pas l’homme que le ministĂšre public, avec quinze ou vingt lignes mordues çà et lĂ , est venu vous prĂ©senter comme un faiseur de tableaux lascifs.

Non ; il y a dans sa nature, je le rĂ©pĂšte, tout ce qu’on peut imaginer au monde de plus grave, de plus sĂ©rieux, mais en mĂȘme temps de plus triste.

Are sens