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Son livre, en rétablissant seulement une phrase, en mettant à cÎté des quelques lignes citées les quelques lignes qui précÚdent et qui suivent, reprendra bientÎt devant vous sa véritable 771

couleur, en mĂȘme temps qu’il fera connaĂźtre les intentions de l’auteur. Et, de la parole trop habile que vous avez entendue, il ne restera dans vos souvenirs qu’un sentiment d’admiration profonde pour un talent qui peut tout transformer.

Je vous ai dit que M. Gustave Flaubert était un homme sérieux et grave. Ses études, conformes à la nature de son esprit, ont été sérieuses et larges.

Elles ont embrassé non seulement toutes les branches de la littérature, mais le droit. M.

Flaubert est un homme qui ne s’est pas contentĂ© des observations que pouvait lui fournir le milieu oĂč il a vĂ©cu ; il a interrogĂ© d’autres milieux : Qui mores multorum vidit et urbes.

AprĂšs la mort de son pĂšre et ses Ă©tudes de collĂšge, il a visitĂ© l’Italie et, de 1848 Ă  1851, parcouru ces contrĂ©es de l’Orient, l’Égypte, la Palestine, l’Asie Mineure, dans lesquelles, sans doute, l’homme qui les parcourt, en y apportant une grande intelligence, peut acquĂ©rir quelque chose d’élevĂ©, de poĂ©tique, ces couleurs, ce prestige de style que le ministĂšre public faisait 772

tout Ă  l’heure ressortir, pour Ă©tablir le dĂ©lit qu’il nous impute. Ce prestige de style, ces qualitĂ©s littĂ©raires resteront, ressortiront avec Ă©clat de ces dĂ©bats, mais ne pourront en aucune façon laisser prise Ă  l’incrimination.

De retour depuis 1852, M. Gustave Flaubert a Ă©crit et cherchĂ© Ă  produire dans un grand cadre le rĂ©sultat d’études attentives et sĂ©rieuses, le rĂ©sultat de ce qu’il avait recueilli dans ses voyages.

Quel est le cadre qu’il a choisi, le sujet qu’il a pris, et comment l’a-t-il traitĂ© ? Mon client est de ceux qui n’appartiennent Ă  aucune des Ă©coles dont j’ai trouvĂ©, tout Ă  l’heure, le nom dans le rĂ©quisitoire. Mon Dieu ! il appartient Ă  l’école rĂ©aliste, en ce sens qu’il s’attache a la rĂ©alitĂ© des choses. Il appartiendrait Ă  l’école psychologique en ce sens que ce n’est pas la matĂ©rialitĂ© des choses qui le pousse, mais le sentiment humain, le dĂ©veloppement des passions dans le milieu oĂč il est placĂ©. Il appartiendrait Ă  l’école romantique moins peut-ĂȘtre qu’à toute autre, car si le romantisme apparaĂźt dans son livre, de mĂȘme que si le rĂ©alisme y apparaĂźt, ce n’est pas par quelques 773

expressions ironiques, jetées çà et là, que le ministÚre public a prises au sérieux. Ce que M.

Flaubert a voulu surtout, ç’a Ă©tĂ© de prendre un sujet d’études dans la vie rĂ©elle, ç’a Ă©tĂ© de crĂ©er, de constituer des types vrais dans la classe moyenne et d’arriver Ă  un rĂ©sultat utile. Oui, ce qui a le plus prĂ©occupĂ© mon client dans l’étude Ă  laquelle il s’est livrĂ©, c’est prĂ©cisĂ©ment ce but utile, poursuivi en mettant en scĂšne trois ou quatre personnages de la sociĂ©tĂ© actuelle vivant dans les conditions de la vie rĂ©elle, et prĂ©sentant aux yeux du lecteur le tableau vrai de ce qui se rencontre le plus souvent dans le monde.

Le ministÚre public, résumant son opinion sur

Madame Bovary, a dit : Le second titre de cet ouvrage est : Histoire des adultĂšres d’une femme de province. Je proteste Ă©nergiquement contre ce titre. Il me prouverait Ă  lui seul, si je ne l’avais pas senti d’un bout Ă  l’autre de votre rĂ©quisitoire, la prĂ©occupation sous l’empire de laquelle vous avez constamment Ă©tĂ©. Non ! le second titre de cet ouvrage n’est pas : Histoire des adultĂšres d’une femme de province ; il est, s’il vous faut absolument un second titre : histoire de 774

l’éducation trop souvent donnĂ©e en province ; histoire des pĂ©rils auxquels elle peut conduire, histoire de la dĂ©gradation, de la friponnerie, du suicide considĂ©rĂ© comme consĂ©quence d’une premiĂšre faute, et d’une faute amenĂ©e elle-mĂȘme par de premiers torts auxquels souvent une jeune femme est entraĂźnĂ©e ; histoire de l’éducation, histoire d’une vie dĂ©plorable dont trop souvent l’éducation est la prĂ©face. VoilĂ  ce que M.

Flaubert a voulu peindre, et non pas les adultĂšres d’une femme de province ; vous le reconnaĂźtrez bientĂŽt en parcourant l’ouvrage incriminĂ©.

Maintenant, le ministĂšre public a aperçu dans tout cela, par-dessus tout, la couleur lascive. S’il m’était possible de prendre le nombre des lignes du livre que le ministĂšre public a dĂ©coupĂ©es, et de le mettre en parallĂšle avec le nombre des autres lignes qu’il a laissĂ©es de cĂŽtĂ©, nous serions dans la proportion totale de un Ă  cinq cents, et vous verriez que cette proportion de un Ă  cinq cents n’est pas une couleur lascive, n’est nulle part ; elle n’existe que sous la condition des dĂ©coupures et des commentaires.

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Maintenant, qu’est-ce que M. Gustave Flaubert a voulu peindre ? D’abord une Ă©ducation donnĂ©e Ă  une femme au-dessus de la condition dans laquelle elle est nĂ©e, comme il arrive, il faut bien le dire, trop souvent chez nous ; ensuite, le mĂ©lange d’élĂ©ments disparates qui se produit ainsi dans l’intelligence de la femme, et puis, quand vient le mariage, comme le mariage ne se proportionne pas Ă  l’éducation, mais aux conditions dans lesquelles la femme est nĂ©e, l’auteur a expliquĂ© tous les faits qui se passent dans la position qui lui est faite.

Que montre-t-il encore ? Il montre une femme allant au vice par la mésalliance, et du vice au dernier degré de la dégradation et du malheur.

Tout Ă  l’heure, quand, par la lecture de diffĂ©rents passages, j’aurai fait connaĂźtre le livre dans son ensemble, je demanderai au tribunal la libertĂ© d’accepter la question en ces termes : Ce livre, mis dans les mains d’une jeune femme, pourrait-il avoir pour effet de l’entraĂźner vers des plaisirs faciles, vers l’adultĂšre, ou de lui montrer, au contraire, le danger, dĂšs les premiers pas, et de la faire frissonner d’horreur ? La question ainsi 776

posĂ©e, c’est votre conscience qui la rĂ©soudra.

Je dis ceci, quant Ă  prĂ©sent : M. Flaubert a voulu peindre la femme qui, au lieu de chercher Ă  s’arranger dans la condition qui lui est donnĂ©e, avec sa situation, avec sa naissance ; au lieu de chercher Ă  se faire Ă  la vie qui lui appartient, reste prĂ©occupĂ©e de mille aspirations Ă©trangĂšres puisĂ©es dans une Ă©ducation trop Ă©levĂ©e pour elle ; qui, au lieu de s’accommoder des devoirs de sa position, d’ĂȘtre la femme tranquille du mĂ©decin de campagne avec lequel elle passe ses jours, au lieu de chercher le bonheur dans sa maison, dans son union, le cherche dans d’interminables rĂȘvasseries, et puis, qui, bientĂŽt, rencontrant sur sa route un jeune homme qui coquette avec elle, joue avec elle le mĂȘme jeu (mon Dieu ! ils sont inexpĂ©rimentĂ©s l’un et l’autre), s’excite en quelque sorte par degrĂ©s, s’effraye quand, recourant Ă  la religion de ses premiĂšres annĂ©es, elle n’y trouve pas une force suffisante ; et nous verrons tout Ă  l’heure pourquoi elle ne l’y trouve pas. Cependant l’ignorance du jeune homme et sa propre ignorance la prĂ©servent d’un premier danger. Mais elle est bientĂŽt rencontrĂ©e par un 777

homme comme il y en a tant, comme il y en a trop dans le monde, qui se saisit d’elle, pauvre femme dĂ©jĂ  dĂ©viĂ©e, et l’entraĂźne. VoilĂ  ce qui est capital, ce qu’il fallait voir, ce qu’est le livre lui-mĂȘme.

Le ministĂšre public s’irrite, et je crois qu’il s’irrite Ă  tort, au point de vue de la conscience et du cƓur humain, de ce que, dans la premiĂšre scĂšne, madame Bovary trouve une sorte de plaisir, de joie Ă  avoir brisĂ© sa prison, et rentre chez elle en disant : « J’ai un amant. » Vous croyez que ce n’est pas lĂ  le premier cri du cƓur humain ! La preuve est entre vous et moi. Mais il fallait regarder un peu plus loin, et vous auriez vu que, si le premier moment, le premier instant de cette chute excite chez cette femme une sorte de transport de joie, de dĂ©lire, Ă  quelques lignes plus loin la dĂ©ception arrive, et, suivant l’expression de l’auteur, elle semble Ă  ses propres yeux humiliĂ©e.

Oui, la dĂ©ception, la douleur, le remords lui arrivent Ă  l’instant mĂȘme. L’homme auquel elle s’était confiĂ©e, livrĂ©e, ne l’avait prise que pour 778

s’en servir un instant comme d’un jouet ; le remords la ronge, la dĂ©chire. Ce qui vous a choquĂ©, ç’a Ă©tĂ© d’entendre appeler cela les dĂ©sillusions de l’adultĂšre ; vous auriez mieux aimĂ© les souillures chez un Ă©crivain qui faisait poser cette femme, laquelle n’ayant pas compris le mariage, se sentait souillĂ©e par le contact d’un mari ; laquelle, ayant cherchĂ© ailleurs son idĂ©al, avait trouvĂ© les dĂ©sillusions de l’adultĂšre. Ce mot vous a choquĂ© ; au lieu des dĂ©sillusions, vous auriez voulu les souillures de l’adultĂšre. Le tribunal jugera. Quant Ă  moi, si j’avais Ă  faire poser le mĂȘme personnage, je lui dirais : Pauvre femme ! si vous croyez que les baisers de votre mari sont quelque chose de monotone, d’ennuyeux, si vous n’y trouvez – c’est le mot qui a Ă©tĂ© signalĂ© – que les platitudes du mariage, s’il vous semble voir une souillure dans cette union Ă  laquelle l’amour n’a pas prĂ©sidĂ©, prenez-y garde, vos rĂȘves sont une illusion, et vous serez un jour cruellement dĂ©trompĂ©e. Celui qui crie bien fort, messieurs, qui se sert du mot souillure pour exprimer ce que nous avons appelĂ© dĂ©sillusion, celui-lĂ  dit un mot vrai, mais vague, 779

qui n’apprend rien Ă  l’intelligence. J’aime mieux celui qui ne crie pas fort, qui ne prononce pas le mot de souillure, mais qui avertit la femme de la dĂ©ception, de la dĂ©sillusion, qui lui dit : LĂ  oĂč vous croyez trouver l’amour, vous ne trouverez que le libertinage ; lĂ  oĂč vous croyez trouver le bonheur, vous ne trouverez que des amertumes.

Un mari qui va tranquillement Ă  ses affaires, qui vous embrasse, qui met son bonnet de coton et mange la soupe avec vous est un mari prosaĂŻque qui vous rĂ©volte ; vous aspirez Ă  un homme qui vous aime, qui vous idolĂątre, pauvre enfant ! cet homme sera un libertin, qui vous aura prise une minute pour jouer avec vous. L’illusion se sera produite la premiĂšre fois, peut-ĂȘtre la seconde ; vous serez rentrĂ©e chez vous enjouĂ©e, en chantant la chanson de l’adultĂšre : « j’ai un amant ! » La troisiĂšme fois vous n’aurez pas besoin d’arriver jusqu’à lui, la dĂ©sillusion sera venue. Cet homme que vous aviez rĂȘvĂ©, aura perdu tout son prestige ; vous aurez retrouvĂ© dans l’amour les platitudes du mariage ; et vous les aurez retrouvĂ©es avec le mĂ©pris, le dĂ©dain, le dĂ©goĂ»t et le remords poignant.

780

VoilĂ , messieurs, ce que M. Flaubert a dit, ce qu’il a peint, ce qui est Ă  chaque ligne de son livre ; voilĂ  ce qui distingue son Ɠuvre de toutes les Ɠuvres du mĂȘme genre. C’est que chez lui les grands travers de la sociĂ©tĂ© figurent Ă  chaque page ; c’est que chez lui l’adultĂšre marche plein de dĂ©goĂ»t et de honte. Il a pris dans les relations habituelles de la vie l’enseignement le plus saisissant qui puisse ĂȘtre donnĂ© Ă  une jeune femme. Oh ! mon Dieu, celles de nos jeunes femmes qui ne trouvent pas dans les principes honnĂȘtes, Ă©levĂ©s, dans une religion sĂ©vĂšre de quoi se tenir fermes dans l’accomplissement de leurs devoirs de mĂšres, qui ne le trouvent pas surtout dans cette rĂ©signation, cette science pratique de la vie qui nous dit qu’il faut s’accommoder de ce que nous avons, mais qui portent leurs rĂȘveries au dehors, ces jeunes femmes les plus honnĂȘtes, les plus pures qui, dans le prosaĂŻsme de leur mĂ©nage, sont quelquefois tourmentĂ©es par ce qui se passe autour d’elles, un livre comme celui-lĂ , soyez-en sĂ»rs, en fait rĂ©flĂ©chir plus d’une. VoilĂ  ce que M.

Flaubert a fait.

Et prenez bien garde Ă  une chose : M. Flaubert 781

n’est pas un homme qui vous peint un charmant adultĂšre, pour faire arriver ensuite le Deus ex machina, non ; vous avez sautĂ© trop vite de la page que vous avez lue Ă  la derniĂšre. L’adultĂšre, chez lui, n’est qu’une suite de tourments, de regrets, de remords ; et puis il arrive Ă  une expiation finale, Ă©pouvantable. Elle est excessive.

Si M. Flaubert pĂšche, c’est par l’excĂšs, et je vous dirai tout Ă  l’heure de qui est ce mot. L’expiation ne se fait pas attendre ; et c’est en cela que le livre est Ă©minemment moral et utile, c’est qu’il ne promet pas Ă  la jeune femme quelques-unes de ces belles annĂ©es au bout desquelles elle peut dire : aprĂšs cela, on peut mourir. Non ! DĂšs le second jour arrive l’amertume, la dĂ©sillusion. Le dĂ©nouement pour la moralitĂ© se trouve Ă  chaque ligne du livre.

Ce livre est Ă©crit avec une puissance d’observation Ă  laquelle M. l’avocat impĂ©rial a rendu justice : et c’est ici que j’appelle votre attention, parce que si l’accusation n’a pas de cause, il faut qu’elle tombe. Ce livre est Ă©crit avec une puissance vraiment remarquable d’observation dans les moindres dĂ©tails. Un 782

article de l’ Artiste, signĂ© Flaubert, a servi encore de prĂ©texte Ă  l’accusation. Que M. l’avocat impĂ©rial veuille remarquer d’abord que cet article est Ă©tranger Ă  l’incrimination ; qu’il veuille remarquer ensuite que nous le tenons pour trĂšs innocent et trĂšs moral aux yeux du tribunal, Ă  une condition, que M. l’avocat impĂ©rial aura la bontĂ© de le lire en entier, au lieu de le dĂ©chiqueter. Ce qui a saisi dans le livre de M. Flaubert, c’est ce que quelques comptes rendus ont appelĂ© une fidĂ©litĂ© toute daguerrienne dans la reproduction du type de toutes les choses, dans la nature intime de la pensĂ©e, du cƓur humain, – et cette reproduction devient plus saisissante encore par la magie du style. Remarquez bien que s’il n’avait appliquĂ© cette fidĂ©litĂ© qu’aux scĂšnes de dĂ©gradation, vous pourriez dire avec raison : l’auteur s’est complu Ă  peindre la dĂ©gradation avec cette puissance de description qui lui est propre. De la premiĂšre Ă  la derniĂšre page de son livre, il s’attache sans aucune espĂšce de rĂ©serve Ă  tous les faits de la vie d’Emma, Ă  son enfance dans la maison paternelle, Ă  son Ă©ducation dans le couvent, il ne fait grĂące de rien. Mais ceux qui 783

ont lu comme moi du commencement Ă  la fin, diront – chose notable dont vous lui saurez grĂ©, qui non seulement sera l’absolution pour lui, mais qui aurait dĂ» Ă©carter de lui toute espĂšce de poursuite – que, quand il arrive aux parties difficiles, prĂ©cisĂ©ment Ă  la dĂ©gradation, au lieu de faire comme quelques auteurs classiques que le ministĂšre public connaĂźt bien, mais qu’il a oubliĂ©s pendant qu’il Ă©crivait son rĂ©quisitoire et dont j’ai apportĂ© ici des passages, non pas pour vous les lire, mais pour que vous les parcouriez dans la chambre du conseil (j’en citerai quelques lignes tout Ă  l’heure), au lieu de faire comme nos grands auteurs classiques, nos grands maĂźtres, qui, lorsqu’ils ont rencontrĂ© des scĂšnes de l’union des sens chez l’homme et la femme, n’ont pas manquĂ© de tout dĂ©crire, M. Flaubert se contente d’un mot. LĂ , toute sa puissance descriptive disparaĂźt, parce que sa pensĂ©e est chaste, parce que lĂ  oĂč il pourrait Ă©crire Ă  sa maniĂšre et avec toute la magie du style, il sent qu’il y a des choses qui ne peuvent pas ĂȘtre abordĂ©es, dĂ©crites.

Le ministùre public trouve qu’il a trop dit encore.

Quand je lui montrerai des hommes qui, dans de 784

grandes Ɠuvres philosophiques, se sont complu Ă  la description de ces choses, et qu’en regard je placerai l’homme qui possĂšde la science descriptive Ă  un si haut degrĂ© et qui, loin de l’employer, s’arrĂȘte et s’abstient, j’aurai bien le droit de demander raison Ă  l’accusation qui est produite.

Toutefois, messieurs, de mĂȘme qu’il se plaĂźt Ă  nous dĂ©crire le riant berceau oĂč se joue Emma encore enfant, avec son feuillage, avec ses petites fleurs roses ou blanches qui viennent de s’épanouir, et ses sentiers embaumĂ©s – de mĂȘme, quand elle sera sortie de lĂ , quand elle ira dans d’autres chemins, dans des chemins oĂč elle trouvera de la fange, quand elle y salira ses pieds, quand les taches mĂȘmes rejailliront plus haut sur elle, il ne faudrait pas qu’il le dit ! Mais ce serait supprimer complĂštement le livre, je vais plus loin : l’élĂ©ment moral, sous prĂ©texte de le dĂ©fendre, car si la faute ne peut pas ĂȘtre montrĂ©e, si elle ne peut pas ĂȘtre indiquĂ©e, si dans un tableau de la vie rĂ©elle qui a pour but de montrer par la pensĂ©e le pĂ©ril, la chute, l’expiation, si vous voulez empĂȘcher de peindre tout cela, c’est 785

Ă©videmment ĂŽter au livre sa conclusion.

Ce livre n’a pas Ă©tĂ© pour mon client l’objet d’une distraction de quelques heures, il reprĂ©sente deux ou trois annĂ©es d’études incessantes. Et je vais vous dire maintenant quelque chose de plus : M. Flaubert qui, aprĂšs tant d’annĂ©es de travaux, tant d’études, tant de voyages, tant de notes recueillies dans les auteurs qu’il a lus – vous verrez, mon Dieu ! oĂč il a puisĂ©, car c’est quelque chose d’étrange qui se chargera de le justifier, – vous le verrez, lui aux couleurs lascives, tout imprĂ©gnĂ© de Bossuet et de Massillon. C’est dans l’étude de ces auteurs que nous allons le retrouver tout Ă  l’heure, cherchant, non pas Ă  les plagier, mais Ă  reproduire dans ses descriptions les pensĂ©es, les couleurs employĂ©es par eux. Quand, aprĂšs tout ce travail fait avec tant d’amour, quand son Ɠuvre Ă  son but, est-ce que vous croyez que, plein de confiance en lui-mĂȘme et malgrĂ© tant d’études et de mĂ©ditations, il a voulu immĂ©diatement se lancer dans la lice ! Il l’aurait fait, sans doute, s’il eĂ»t Ă©tĂ© un inconnu dans le monde, si son nom lui eĂ»t appartenu en toute propriĂ©tĂ©, s’il eĂ»t cru pouvoir en disposer et 786

le livrer comme bon lui semblait ; mais, je le rĂ©pĂšte, il est de ceux chez lesquels noblesse oblige : il s’appelle Flaubert, il est le second fils de M. Flaubert ; il voulait se tracer une voie dans la littĂ©rature, en respectant profondĂ©ment la morale et la religion – non pas par inquiĂ©tude du parquet, un tel intĂ©rĂȘt ne pourrait se prĂ©senter Ă  sa pensĂ©e – mais par dignitĂ© personnelle, ne voulant pas laisser son nom Ă  la tĂȘte d’une publication, si elle ne semblait pas, Ă  quelques personnes en lesquelles il avait foi, digne d’ĂȘtre publiĂ©e. M.

Flaubert a lu, par fragments et en totalitĂ© mĂȘme, devant quelques amis haut placĂ©s dans les lettres, les pages qu’un jour il devrait livrer Ă  l’impression, et j’affirme qu’aucun d’eux n’a Ă©tĂ© offensĂ© de ce qui excite en ce moment si vivement la sĂ©vĂ©ritĂ© de M. l’Avocat impĂ©rial.

Personne mĂȘme n’y a songĂ©. On a seulement examinĂ©, Ă©tudiĂ© la valeur littĂ©raire du livre. Quant au but moral, il est si Ă©vident, il est Ă©crit Ă  chaque ligne en termes si peu Ă©quivoques, qu’il n’était pas mĂȘme besoin de le mettre en question.

RassurĂ© sur la valeur du livre, encouragĂ© d’ailleurs par les hommes les plus Ă©minents de la 787

presse, M. Flaubert ne songe plus qu’à le livrer Ă  l’impression, Ă  la publicitĂ©. Je le rĂ©pĂšte, tout le monde a Ă©tĂ© unanime pour rendre hommage au

mĂ©rite littĂ©raire, au style et en mĂȘme temps Ă  la pensĂ©e excellente qui prĂ©side Ă  l’Ɠuvre depuis la premiĂšre jusqu’à la derniĂšre ligne. Et quand la poursuite est venue, ce n’est pas lui seulement qui a Ă©tĂ© surpris, profondĂ©ment affligĂ© ; mais, permettez-moi de vous le dire, c’est nous qui ne comprenions pas cette poursuite, c’est moi tout le premier, qui avais lu le livre avec un intĂ©rĂȘt trĂšs vif, Ă  mesure que la publication en a Ă©tĂ© faite ; ce sont des amis intimes. Mon Dieu ! il y a des nuances qui quelquefois pourraient nous Ă©chapper dans nos habitudes, mais qui ne peuvent pas Ă©chapper Ă  des femmes d’une grande intelligence, d’une grande puretĂ©, d’une grande chastetĂ©. Il n’y a pas de nom qui puisse se prononcer dans cette audience, mais si je vous disais ce qui a Ă©tĂ© dit Ă  M. Flaubert, ce qui m’a Ă©tĂ© dit Ă  moi-mĂȘme par des mĂšres de famille qui avaient lu ce livre, si je vous disais leur Ă©tonnement aprĂšs avoir reçu de cette lecture une impression si bonne qu’elles ont cru devoir en 788

remercier l’auteur, si je vous disais leur Ă©tonnement, leur douleur, quand elles ont appris que ce livre devait ĂȘtre considĂ©rĂ© comme contraire Ă  la morale publique, Ă  leur foi religieuse, Ă  la foi de toute leur vie, mon Dieu !

Are sens