"Unleash your creativity and unlock your potential with MsgBrains.Com - the innovative platform for nurturing your intellect." » » ,,Notre-Dame de Paris '' - Victor Hugo

Add to favorite ,,Notre-Dame de Paris '' - Victor Hugo

Select the language in which you want the text you are reading to be translated, then select the words you don't know with the cursor to get the translation above the selected word!




Go to page:
Text Size:

― Néant, votre science de l’homme ! néant, votre science du ciel ! dit l’archidiacre avec empire.

184

Notre-Dame de Paris

Chapitre I

― C’est mener grand train Épidaurus et la Chaldée, répliqua le médecin en ricanant.

― Écoutez, messire Jacques. Ceci est dit de bonne foi. Je ne suis pas médecin du roi, et sa majesté ne m’a pas donné le jardin Dédalus pour y observer les constellations… — Ne vous fâchez pas et écoutez-moi. —

Quelle vérité avez-vous tirée, je ne dis pas de la médecine, qui est chose par trop folle, mais de l’astrologie ? Citez-moi les vertus du boustrophé-don vertical, les trouvailles du nombre ziruph et celles du nombre zephi-rod.

― Nierez-vous, dit Coictier, la force sympathique de la clavicule et que la cabalistique en dérive ?

― Erreur, messire Jacques ! aucune de vos formules n’aboutit à la réalité. Tandis que l’alchimie a ses découvertes. Contesterez-vous des résultats comme ceux-ci ? — La glace enfermée sous terre pendant mille ans se transforme en cristal de roche. — Le plomb est l’aïeul de tous les métaux.

(Car l’or n’est pas un métal, l’or est la lumière.) — Il ne faut au plomb que quatre périodes de deux cents ans chacune pour passer successivement de l’état de plomb à l’état d’arsenic rouge, de l’arsenic rouge à l’étain, de l’étain à l’argent. — Sont-ce là des faits ? Mais croire à la clavicule, à la ligne pleine et aux étoiles, c’est aussi ridicule que de croire, avec les habitants du Grand-Cathay, que le loriot se change en taupe et les grains de blé en poissons du genre cyprin !

― J’ai étudié l’hermétique, s’écria Coictier, et j’affirme…

Le fougueux archidiacre ne le laissa pas achever. ― Et moi j’ai étudié la médecine, l’astrologie et l’hermétique. Ici seulement est la vérité (en parlant ainsi il avait pris sur le bahut une fiole pleine de cette poudre dont nous avons parlé plus haut), ici seulement est la lumière ! Hippocratès, c’est un rêve ; Urania, c’est un rêve ; Hermès, c’est une pensée. L’or, c’est le soleil ; faire de l’or, c’est être Dieu. Voilà l’unique science. J’ai sondé la médecine et l’astrologie, vous dis-je ! néant, néant. Le corps humain, ténèbres ; les astres, ténèbres !

Et il retomba sur son fauteuil dans une attitude puissante et inspirée.

Le compère Tourangeau l’observait en silence. Coictier s’efforçait de ricaner, haussait imperceptiblement les épaules, et répétait à voix basse : Un fou !

185

Notre-Dame de Paris

Chapitre I

― Et, dit tout à coup le Tourangeau, le but mirifique, l’avez-vous touché ? avez-vous fait de l’or ?

― Si j’en avais fait, répondit l’archidiacre en articulant lentement ses paroles comme un homme qui réfléchit, le roi de France s’appellerait Claude et non Louis.

Le compère fronça le sourcil.

― Qu’est-ce que je dis là ? reprit dom Claude avec un sourire de dédain. Que me ferait le trône de France quand je pourrais rebâtir l’empire d’Orient !

― A la bonne heure ! dit le compère.

― Oh ! le pauvre fou ! murmura Coictier.

L’archidiacre poursuivit, paraissant ne plus répondre qu’à ses pensées.

― Mais non, je rampe encore ; je m’écorche la face et les genoux aux cailloux de la voie souterraine. J’entrevois, je ne contemple pas ! je ne lis pas, j’épèle !

― Et quand vous saurez lire, demanda le compère, ferez-vous de l’or ?

― Qui en doute ? dit l’archidiacre.

― En ce cas, Notre-Dame sait que j’ai grande nécessité d’argent, et je voudrais bien apprendre à lire dans vos livres. Dites-moi, révérend maître, votre science est-elle pas ennemie ou déplaisante à Notre-Dame ?

A cette question du compère, dom Claude se contenta de répondre avec une tranquille hauteur : — De qui suis-je archidiacre ?

― Cela est vrai, mon maître. Eh bien ! vous plairait-il m’initier ? Faites-moi épeler avec vous.

Claude prit l’attitude majestueuse et pontificale d’un Samuel.

― Vieillard, il faut de plus longues années qu’il ne vous en reste pour entreprendre ce voyage à travers les choses mystérieuses. Votre tête est bien grise ! On ne sort de la caverne qu’avec des cheveux blancs, mais on n’y entre qu’avec des cheveux noirs. La science sait bien toute seule creuser, flétrir et dessécher les faces humaines ; elle n’a pas besoin que la vieillesse lui apporte des visages tout ridés. Si cependant l’envie vous possède de vous mettre en discipline à votre âge et de déchiffrer l’alphabet redoutable des sages, venez à moi, c’est bien, j’essayerai. Je ne vous dirai 186

Notre-Dame de Paris

Chapitre I

pas, à vous pauvre vieux, d’aller visiter les chambres sépulcrales des pyramides dont parle l’ancien Hérodotus, ni la tour de briques de Babylone, ni l’immense sanctuaire de marbre blanc du temple indien d’Eklinga. Je n’ai pas vu plus que vous les maçonneries chaldéennes construites suivant la forme sacrée du Sikra, ni le temple de Salomon qui est détruit, ni les portes de pierre du sépulcre des rois d’Israël qui sont brisées. Nous nous contenterons des fragments du livre d’Hermès que nous avons ici.

Je vous expliquerai la statue de saint Christophe, le symbole du semeur, et celui des deux anges qui sont au portail de la Sainte-Chapelle, et dont l’un a sa main dans un vase et l’autre dans une nuée…

Ici, Jacques Coictier, que les répliques fougueuses de l’archidiacre avaient désarçonné, se remit en selle, et l’interrompit du ton triomphant d’un savant qui en redresse un autre : — Erras, amice Claudi. Le symbole n’est pas le nombre. Vous prenez Orpheus pour Hermès.

― C’est vous qui errez, répliqua gravement l’archidiacre. Dédalus, c’est le soubassement ; Orpheus, c’est la muraille ; Hermès, c’est l’édifice, c’est le tout. — Vous viendrez quand vous voudrez, poursuivit-il en se tournant vers le Tourangeau, je vous montrerai les parcelles d’or restées au fond du creuset de Nicolas Flamel, et vous les comparerez à l’or de Guillaume de Paris. Je vous apprendrai les vertus secrètes du mot grec peristera. Mais, avant tout, je vous ferai lire l’une après l’autre les lettres de marbre de l’alphabet, les pages de granit du livre. Nous irons du portail de l’évêque Guillaume et de Saint-Jean le Rond à la Sainte-Chapelle, puis à la maison de Nicolas Flamel, rue Marivault, à son tombeau, qui est aux Saints-Innocents, à ses deux hôpitaux rue de Montmorency. Je vous ferai lire les hiéroglyphes dont sont couverts les quatre gros chenets de fer du portail de l’hôpital Saint-Gervais et de la rue de la Ferronnerie. Nous épè-lerons encore ensemble les façades de Saint-Côme, de Sainte-Geneviève-des-Ardents, de Saint-Martin, de Saint-Jacques-de-la-Boucherie…

Il y avait déjà longtemps que le Tourangeau, si intelligent que fût son regard, paraissait ne plus comprendre dom Claude. Il l’interrompit.

― Pasquedieu ! qu’est-ce que c’est donc que vos livres ?

― En voici un, dit l’archidiacre.

Et, ouvrant la fenêtre de la cellule, il désigna du doigt l’immense église de Notre-Dame, qui, découpant sur un ciel étoilé la silhouette noire de ses 187

Notre-Dame de Paris

Chapitre I

deux tours, de ses côtes de pierre et de sa croupe monstrueuse, semblait un énorme sphinx à deux têtes assis au milieu de la ville.

L’archidiacre considéra quelque temps en silence le gigantesque édifice, puis étendant avec un soupir sa main droite vers le livre imprimé qui était ouvert sur sa table et sa main gauche vers Notre-Dame, et promenant un triste regard du livre à l’église :

― Hélas ! dit-il, ceci tuera cela.

Coictier, qui s’était approché du livre avec empressement, ne put s’empêcher de s’écrier : — Hé mais ! qu’y a-t-il donc de si redoutable en ceci : GLOSSA IN EPISTOLAS D. PAULI. Norimbergœ, Antonius Koburger.

1474. Ce n’est pas nouveau. C’est un livre de Pierre Lombard, le Maître des Sentences. Est-ce parce qu’il est imprimé ?

― Vous l’avez dit, répondit Claude, qui semblait absorbé dans une profonde méditation et se tenait debout, appuyant son index reployé sur l’in-folio sorti des presses fameuses de Nuremberg. Puis il ajouta ces paroles mystérieuses : — Hélas ! hélas ! les petites choses viennent à bout des grandes ; une dent triomphe d’une masse. Le rat du Nil tue le crocodile, l’espadon tue la baleine, le livre tuera l’édifice !

Are sens