O Mort, quand viendras-tu, sa rivale en attraits, Sur ses myrtes infects enter tes noirs cyprès?
CXIII La Fontaine de Sang
Il me semble parfois que mon sang coule à flots, Ainsi qu'une fontaine aux rythmiques sanglots.
Je l'entends bien qui coule avec un long murmure, Mais je me tâte en vain pour trouver la blessure.
A travers la cité, comme dans un champ clos, Il s'en va, transformant les pavés en îlots, Désaltérant la soif de chaque créature, Et partout colorant en rouge la nature.
J'ai demandé souvent à des vins captieux D'endormir pour un jour la terreur qui me mine; Le vin rend l'œil plus clair et l'oreille plus fine!
J'ai cherché dans l'amour un sommeil oublieux; Mais l'amour n'est pour moi qu'un matelas d'aiguilles Fait pour donner à boire à ces cruelles filles!
CXIV Allégorie
C'est une femme belle et de riche encolure, Qui laisse dans son vin traîner sa chevelure.
Les griffes de l'amour, les poisons du tripot, Tout glisse et tout s'émousse au granit de sa peau.
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Elle rit à la Mort et nargue la Débauche, Ces monstres dont la main, qui toujours gratte et fauche, Dans ses jeux destructeurs a pourtant respecté De ce corps ferme et droit la rude majesté.
Elle marche en déesse et repose en sultane; Elle a dans le plaisir la foi mahométane, Et dans ses bras ouverts, que remplissent ses seins, Elle appelle des yeux la race des humains.
Elle croit, elle sait, cette vierge inféconde Et pourtant nécessaire à la marche du monde, Que la beauté du corps est un sublime don Qui de toute infamie arrache le pardon.
Elle ignore l'Enfer comme le Purgatoire, Et quand l'heure viendra d'entrer dans la Nuit noire Elle regardera la face de la Mort,
Ainsi qu'un nouveau-né, - sans haine et sans remords.
CXV La Béatrice
Dans des terrains cendreux, calcinés, sans verdure, Comme je me plaignais un jour à la nature, Et que de ma pensée, en vaguant au hasard, J'aiguisais lentement sur mon cœur le poignard, Je vis en plein midi descendre sur ma tête Un nuage funèbre et gros d'une tempête, Qui portait un troupeau de démons vicieux, Semblables à des nains cruels et curieux.
A me considérer froidement ils se mirent, Et, comme des passants sur un fou qu'ils admirent, Je les entendis rire et chuchoter entre eux, En échangeant maint signe et maint clignement d'yeux:
- "Contemplons à loisir cette caricature Et cette ombre d'Hamlet imitant sa posture, Le regard indécis et les cheveux au vent.
N'est-ce pas grand'pitié de voir ce bon vivant, Ce gueux, cet histrion en vacances, ce drôle, Parce qu'il sait jouer artistement son rôle, Vouloir intéresser au chant de ses douleurs Les aigles, les grillons, les ruisseaux et les fleurs, Et même à nous, auteurs de ces vieilles rubriques, Réciter en hurlant ses tirades publiques?"
J'aurais pu (mon orgueil aussi haut que les monts
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Domine la nuée et le cri des démons) Détourner simplement ma tête souveraine, Si je n'eusse pas vu parmi leur troupe obscène, Crime qui n'a pas fait chanceler le soleil!
La reine de mon cœur au regard nonpareil Qui riait avec eux de ma sombre détresse Et leur versait parfois quelque sale caresse.
CXVI Un Voyage à Cythère
Mon coeur, comme un oiseau, voltigeait tout joyeux Et planait librement à l'entour des cordages; Le navire roulait sous un ciel sans nuages; Comme un ange enivré d'un soleil radieux.
Quelle est cette île triste et noire? - C'est Cythère, Nous dit-on, un pays fameux dans les chansons Eldorado banal de tous les vieux garçons.
Regardez, après tout, c'est une pauvre terre.
- Ile des doux secrets et des fêtes du cœur!
De l'antique Vénus le superbe fantôme Au-dessus de tes mers plane comme un arôme Et charge les esprits d'amour et de langueur.
Belle île aux myrtes verts, pleine de fleurs écloses, Vénérée à jamais par toute nation,
Où les soupirs des coeurs en adoration Roulent comme l'encens sur un jardin de roses Ou le roucoulement éternel d'un ramier!
- Cythère n'était plus qu'un terrain des plus maigres, Un désert rocailleux troublé par des cris aigres.
J'entrevoyais pourtant un objet singulier!
Ce n'était pas un temple aux ombres bocagères, Où la jeune prêtresse, amoureuse des fleurs, Allait, le corps brûlé de secrètes chaleurs, Entre-bâillant sa robe aux brises passagères; Mais voilà qu'en rasant la côte d'assez près Pour troubler les oiseaux avec nos voiles blanches, Nous vîmes que c'était un gibet à trois branches, Du ciel se détachant en noir, comme un cyprès.
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De féroces oiseaux perchés sur leur pâture Détruisaient avec rage un pendu déjà mûr, Chacun plantant, comme un outil, son bec impur Dans tous les coins saignants de cette pourriture; Les yeux étaient deux trous, et du ventre effondré Les intestins pesants lui coulaient sur les cuisses, Et ses bourreaux, gorgés de hideuses délices, L'avaient à coups de bec absolument châtré.
Sous les pieds, un troupeau de jaloux quadrupèdes, Le museau relevé, tournoyait et rôdait; Une plus grande bête au milieu s'agitait Comme un exécuteur entouré de ses aides.
Habitant de Cythère, enfant d'un ciel si beau, Silencieusement tu souffrais ces insultes En expiation de tes infâmes cultes