Race d'Abel, dors, bois et mange;
Dieu te sourit complaisamment.
Race de Caïn, dans la fange
Rampe et meurs misérablement.
Race d'Abel, ton sacrifice
Flatte le nez du Séraphin!
Race de Caïn, ton supplice
Aura-t-il jamais une fin?
Race d'Abel, vois tes semailles
© "https://athena.unige.ch/" Baudelaire, Les Fleurs du Mal, p. 96 / 106
Et ton bétail venir à bien; Race de Caïn, tes entrailles
Hurlent la faim comme un vieux chien.
Race d'Abel, chauffe ton ventre
A ton foyer patriarcal;
Race de Caïn, dans ton antre
Tremble de froid, pauvre chacal!
Race d'Abel, aime et pullule!
Ton or fait aussi des petits.
Race de Caïn, cœur qui brûle,
Prends garde à ces grands appétits.
Race d'Abel, tu croîs et broutes
Comme les punaises des bois!
Race de Caïn, sur les routes
Traîne ta famille aux abois.
II
Ah! race d'Abel, ta charogne
Engraissera le sol fumant!
Race de Caïn, ta besogne
N'est pas faite suffisamment;
Race d'Abel, voici ta honte:
Le fer est vaincu par l'épieu!
Race de Caïn, au ciel monte,
Et sur la terre jette Dieu!
CXX Les Litanies de Satan
O toi, le plus savant et le plus beau des Anges, Dieu trahi par le sort et privé de louanges, O Satan, prends pitié de ma longue misère!
© "https://athena.unige.ch/" Baudelaire, Les Fleurs du Mal, p. 97 / 106
O Prince de l'exil, à qui l'on a fait tort Et qui, vaincu, toujours te redresses plus fort, O Satan, prends pitié de ma longue misère!
Toi qui sais tout, grand roi des choses souterraines, Guérisseur familier des angoisses humaines, O Satan, prends pitié de ma longue misère!
Toi qui, même aux lépreux, aux parias maudits, Enseignes par l'amour le goût du Paradis, O Satan, prends pitié de ma longue misère!
O toi qui de la Mort, ta vieille et forte amante, Engendras l'Espérance, - une folle charmante!