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Pendant que l’écrivain travaillait, il écrivit lui-même à Fouqué ; il le priait de lui conserver un dépôt précieux. Mais, se dit-il en s’interrompant, le cabinet noir à la poste ouvrira ma lettre et vous rendra celle que vous cherchez...

; non,

messieurs. Il alla acheter une énorme Bible chez un libraire protestant, cacha fort adroitement la 705

lettre de Mathilde dans la couverture, fit emballer le tout, et son paquet partit par la diligence, adressé à un des ouvriers de Fouqué, dont personne à Paris ne savait le nom.

Cela fait, il rentra joyeux et leste à l’hôtel de La Mole. À nous ! maintenant, s’écria-t-il, en s’enfermant à clef dans sa chambre, et jetant son habit :

« Quoi ! mademoiselle, écrivait-il à Mathilde, c’est mademoiselle de La Mole qui, par les mains d’Arsène, laquais de son père, fait remettre une lettre trop séduisante à un pauvre charpentier du Jura, sans doute pour se jouer de sa simplicité... »

Et il transcrivait les phrases les plus claires de la lettre qu’il venait de recevoir.

La sienne eût fait honneur à la prudence diplomatique de M. le chevalier de Beauvoisis. Il n’était encore que dix heures ; Julien, ivre de bonheur et du sentiment de sa puissance, si nouveau pour un pauvre diable, entra à l’Opéra italien. Il entendit chanter son ami Geronimo.

Jamais la musique ne l’avait exalté à ce point. Il était un dieu.

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XIV

Pensées d’une jeune fille

Que de perplexités

! Que de

nuits passées sans sommeil ! Grand

Dieu

! vais-je me rendre

méprisable ? Il me méprisera lui-

même. Mais il part, il s’éloigne.

Alfred DE MUSSET.

Ce n’était point sans combats que Mathilde avait écrit. Quel qu’eût été le commencement de son intérêt pour Julien, bientôt il domina l’orgueil qui, depuis qu’elle se connaissait, régnait seul dans son cœur. Cette âme haute et froide était emportée pour la première fois par un sentiment passionné. Mais s’il dominait l’orgueil, il était encore fidèle aux habitudes de l’orgueil. Deux mois de combats et de sensations nouvelles renouvelèrent pour ainsi dire tout son être moral.

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Mathilde croyait voir le bonheur. Cette vue toute-puissante sur les âmes courageuses, liées à un esprit supérieur, eut à lutter longuement contre la dignité et tous les sentiments de devoirs vulgaires. Un jour, elle entra chez sa mère, dès sept heures du matin, la priant de lui permettre de se réfugier à Villequier. La marquise ne daigna pas même lui répondre, et lui conseilla d’aller se remettre au lit. Ce fut le dernier effort de la sagesse vulgaire et de la déférence aux idées reçues.

La crainte de mal faire et de heurter les idées tenues pour sacrées par les Caylus, les de Luz, les Croisenois, avait assez peu d’empire sur son âme ; de tels êtres ne lui semblaient pas faits pour la comprendre ; elle les eût consultés s’il eût été question d’acheter une calèche ou une terre. Sa véritable terreur était que Julien ne fût mécontent d’elle.

Peut-être aussi n’a-t-il que les apparences d’un homme supérieur ?

Elle abhorrait le manque de caractère, c’était sa seule objection contre les beaux jeunes gens 708

qui l’entouraient. Plus ils plaisantaient avec grâce tout ce qui s’écarte de la mode, ou la suit mal croyant la suivre, plus ils se perdaient à ses yeux.

Ils étaient braves, et voilà tout. Et encore, comment braves ? se disait-elle : en duel. Mais le duel n’est plus qu’une cérémonie. Tout en est su d’avance, même ce que l’on doit dire en tombant.

Étendu sur le gazon, et la main sur le cœur, il faut un pardon généreux pour l’adversaire et un mot pour une belle souvent imaginaire, ou bien qui va au bal le jour de votre mort, de peur d’exciter les soupçons.

On brave le danger à la tête d’un escadron tout brillant d’acier, mais le danger solitaire, singulier, imprévu, vraiment laid ?

Hélas ! se disait Mathilde, c’était à la cour de Henri III que l’on trouvait des hommes grands par le caractère comme par la naissance ! Ah ! si Julien avait servi à Jarnac ou à Moncontour, je n’aurais plus de doute. En ces temps de vigueur et de force, les Français n’étaient pas des poupées. Le jour de la bataille était presque celui des moindres perplexités.

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Leur vie n’était pas emprisonnée comme une momie d’Égypte, sous une enveloppe toujours commune à tous, toujours la même. Oui, ajoutait-elle, il y avait plus de vrai courage à se retirer seul à onze heures du soir, en sortant de l’hôtel de Soissons, habité par Catherine de Médicis, qu’aujourd’hui à courir à Alger. La vie d’un homme était une suite de hasards. Maintenant la civilisation a chassé le hasard, plus d’imprévu.

S’il paraît dans les idées, il n’est pas assez d’épigrammes pour lui

; s’il paraît dans les

événements, aucune lâcheté n’est au-dessus de notre peur. Quelque folie que nous fasse faire la peur, elle est excusée. Siècle dégénéré et ennuyeux ! Qu’aurait dit Boniface de La Mole, si, levant hors de la tombe sa tête coupée, il eût vu, en 1793, dix-sept de ses descendants se laisser prendre comme des moutons, pour être guillotinés deux jours après

? La mort était

certaine, mais il eût été de mauvais ton de se défendre et de tuer au moins un jacobin ou deux.

Ah ! dans les temps héroïques de la France, au siècle de Boniface de La Mole, Julien eût été le chef d’escadron, et mon frère le jeune prêtre aux 710

mœurs convenables, avec la sagesse dans les yeux et la raison à la bouche.

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