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! rendre

impossible peut-être ce mariage avec le marquis de Croisenois, qui fait le charme de son avenir : s’il n’est pas duc, du moins sa fille aura un tabouret. Julien eut l’idée de partir pour le Languedoc malgré la lettre de Mathilde, malgré l’explication donnée au marquis. Cet éclair de vertu disparut bien vite.

Que je suis bon, se dit-il ; moi, plébéien, avoir pitié d’une famille de ce rang ! Moi, que le duc de Chaulnes appelle un domestique ! Comment le marquis augmente-t-il son immense fortune ? En vendant de la rente, quand il apprend au château qu’il y aura le lendemain apparence de coup d’État. Et moi, jeté au dernier rang par une Providence marâtre, moi à qui elle a donné un cœur noble et pas mille francs de rente, c’est-à-dire pas de pain, exactement parlant pas de pain ; moi, refuser un plaisir qui s’offre ! Une source limpide qui vient étancher ma soif dans le désert 700

brûlant de la médiocrité que je traverse si péniblement ! Ma foi, pas si bête ; chacun pour soi dans ce désert d’égoïsme qu’on appelle la vie.

Et il se rappela quelques regards remplis de dédain, à lui adressés par madame de La Mole, et surtout par les dames ses amies.

Le plaisir de triompher du marquis de Croisenois vint achever la déroute de ce souvenir de vertu.

Que je voudrais qu’il se fâchât ! dit Julien ; avec quelle assurance je lui donnerais maintenant un coup d’épée. Et il faisait le geste du coup de seconde. Avant ceci, j’étais un cuistre, abusant bassement d’un peu de courage. Après cette lettre, je suis son égal.

Oui, se disait-il avec une volupté infinie et en parlant lentement, nos mérites, au marquis et à moi, ont été pesés, et le pauvre charpentier du Jura l’emporte.

Bon ! s’écria-t-il, voilà la signature de ma réponse trouvée. N’allez pas vous figurer, mademoiselle de La Mole, que j’oublie mon état.

701

Je vous ferai comprendre et bien sentir que c’est pour le fils d’un charpentier que vous trahissez un descendant du fameux Guy de Croisenois, qui suivit saint Louis à la croisade.

Julien ne pouvait contenir sa joie. Il fut obligé de descendre au jardin. Sa chambre, où il s’était enfermé à clef, lui semblait trop étroite pour y respirer.

Moi, pauvre paysan du Jura, se répétait-il sans cesse, moi, condamné à porter toujours ce triste habit noir ! Hélas ! vingt ans plus tôt, j’aurais porté l’uniforme comme eux ! Alors un homme comme moi était tué, ou général à trente-six ans.

Cette lettre, qu’il tenait serrée dans sa main, lui donnait la taille et l’attitude d’un héros.

Maintenant, il est vrai, avec cet habit noir, à quarante ans, on a cent mille francs d’appointements et le cordon bleu, comme M.

l’évêque de Beauvais.

Eh bien

! se dit-il en riant comme

Méphistophélès, j’ai plus d’esprit qu’eux ; je sais choisir l’uniforme de mon siècle. Et il sentit redoubler son ambition et son attachement à 702

l’habit ecclésiastique. Que de cardinaux nés plus bas que moi et qui ont gouverné

! mon

compatriote Granvelle, par exemple.

Peu à peu l’agitation de Julien se calma ; la prudence surnagea. Il se dit, comme son maître Tartufe, dont il savait le rôle par cœur : Je puis croire ces mots un artifice honnête...

................................................................

Je ne me fierai point à des propos si doux,Qu’un peu de ses faveurs, après quoi je soupire,Ne vienne m’assurer tout ce qu’ils m’ont pu dire.

Tartufe, acte IV, scène V.

Tartufe aussi fut perdu par une femme, et il en valait bien un autre... Ma réponse peut être montrée... à quoi nous trouvons ce remède, ajouta-t-il en prononçant lentement, et avec l’accent de la férocité qui se contient, nous la commençons par les phrases les plus vives de la lettre de la sublime Mathilde.

703

Oui, mais quatre laquais de M. de Croisenois se précipitent sur moi et m’arrachent l’original.

Non, car je suis bien armé, et j’ai l’habitude, comme on sait, de faire feu sur les laquais.

Eh bien ! l’un d’eux a du courage ; il se précipite sur moi. On lui a promis cent napoléons.

Je le tue ou je le blesse, à la bonne heure, c’est ce qu’on demande. On me jette en prison fort légalement ; je parais en police correctionnelle, et l’on m’envoie, avec toute justice et équité de la part des juges, tenir compagnie dans Poissy à MM. Fontan et Magallon. Là, je couche avec quatre cents gueux pêle-mêle... Et j’aurais quelque pitié de ces gens-là, s’écria-t-il en se levant impétueusement ! En ont-ils pour les gens du tiers état, quand ils les tiennent ? Ce mot fut le dernier soupir de sa reconnaissance pour M. de La Mole qui, malgré lui, le tourmentait jusque-là.

Doucement, messieurs les gentilshommes, je comprends ce petit trait de machiavélisme

;

l’abbé Maslon ou M. Castanède du séminaire n’auraient pas mieux fait. Vous m’enlèverez la lettre provocatrice, et je serai le second tome du 704

colonel Caron à Colmar.

Un instant, messieurs, je vais envoyer la lettre fatale en dépôt dans un paquet bien cacheté à M.

l’abbé Pirard. Celui-là est honnête homme, janséniste, et en cette qualité à l’abri des séductions du budget. Oui, mais il ouvre les lettres... c’est à Fouqué que j’enverrai celle-ci.

Il faut en convenir, le regard de Julien était atroce, sa physionomie hideuse ; elle respirait le crime sans alliage. C’était l’homme malheureux en guerre avec toute la société.

Aux armes ! s’écria Julien. Et il franchit d’un saut les marches du perron de l’hôtel. Il entra dans l’échoppe de l’écrivain du coin de la rue, il lui fit peur. Copiez, lui dit-il en lui donnant la lettre de mademoiselle de La Mole.

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