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- Monsieur Stern, que vous a-t-il dit ? demandai-je pour qu’il ne perde pas le fil de son histoire.

- Il m’a dit : « C’était toi ! » Il a hurlé : « C’était toi ! C’était toi ! » Je suis resté tétanisé. Il s’est enfui, il est allé chercher quelques affaires dans sa chambre et il est parti à bord de la Chevrolet avant que je puisse réagir. Il avait… Il avait reconnu ma voix.

Stern pleurait à présent. Il serrait les poings de rage.

- Il avait reconnu votre voix ? répétai-je. Que voulez-vous dire ?

- Il… Il y a une époque où je retrouvais des vieux copains de Harvard. Une espèce de fraternité débile. On montait dans le Maine pour passer les week-ends : deux jours dans des grands hôtels, à boire, à manger du homard. On aimait se bagarrer, on aimait flanquer des dérouil ées à des pauvres types. On disait que les types du Maine étaient des péquenauds et que notre mission sur terre était de les rosser. Nous n’avions pas trente ans, nous étions des fils de riches, prétentieux. Nous étions un peu racistes, nous étions malheureux, nous étions violents. Nous avions inventé un jeu : le field goal, qui consistait à taper dans la tête de nos victimes comme si nous dégagions un bal on de football. Un jour de l’année 1964, près de Portland, nous étions très excités et très alcoolisés. Nous avons croisé la route d’un jeune type. C’est moi qui conduisais la voiture… Je me suis arrêté et j’ai proposé que nous nous amusions un peu…

- Vous êtes l’agresseur de Caleb ?

Il explosa :

- Oui ! Oui ! Je ne me le suis jamais pardonné ! On s’est réveil és le lendemain dans notre suite d’un hôtel de luxe avec une gueule de bois d’enfer. Les journaux relataient tous l’agression : le garçon était dans le coma. La police nous recherchait activement; nous avions été rebaptisés la bande des field goals. Nous avons décidé de ne plus jamais en parler, d’enfouir cette histoire dans nos mémoires. Mais je me suis laissé hanter : les jours, les mois qui ont suivi, je n’ai plus pensé qu’à ça. J’en étais complètement malade. Je me suis mis à me rendre à Portland, pour savoir ce qu’il advenait de ce gamin qu’on avait martyrisé. Deux années se sont ainsi écoulées, et un jour, n’en pouvant plus, j’ai décidé de lui donner un travail et une chance de s’en sortir.

J’ai feint d’avoir une roue à changer, je lui ai demandé de l’aide et je l’ai engagé comme chauffeur. Je lui ai donné tout ce qu’il voulait… Je lui ai aménagé un atelier de peinture dans la véranda de ma maison, je lui ai donné de l’argent, je lui ai offert une voiture, mais rien de tout cela n’a suffi à apaiser ma culpabilité. Je voulais toujours en faire davantage pour lui ! J’avais brisé sa carrière de peintre, alors j’ai financé toutes les expositions possibles, je le laissais souvent passer des journées entières à peindre. Et puis, il a commencé à dire qu’il se sentait seul, que personne ne voulait de lui. Il disait que la seule chose qu’il pouvait faire avec une femme, c’était la peindre. Il voulait peindre des femmes blondes, il disait que ça lui rappelait sa fiancée de l’époque, avant l’agression. Alors j’ai engagé des cargaisons de prostituées blondes pour poser pour lui.

Mais un jour, à Aurora, il a rencontré Nola. Et il en est tombé amoureux. Il disait que c’était la première fois qu’il aimait de nouveau depuis sa fiancée d’avant. Et puis est arrivé Harry, l’écrivain génial et beau garçon. Celui que Luther aurait voulu être. Et Nola est tombée amoureuse de Harry. Alors Luther a décidé qu’il voulait lui aussi être Harry… Moi, que vouliez-vous que je fasse ? Je lui avais volé sa vie, je lui avais tout pris. Pouvais-je l’empêcher d’aimer ?

- Alors tout ça, c’était pour vous déculpabiliser ?

- Appelez ça comme vous voudrez.

- Le 29 août… Que s’est-il passé ensuite…

- Lorsque Luther a compris que c’était moi qui… il a fait son sac et il s’est enfui avec la Chevrolet noire. Je me suis aussitôt lancé à sa poursuite. Je voulais lui expliquer. Je voulais qu’il me pardonne. Mais impossible de le retrouver. Je l’ai cherché toute la journée et une partie de la nuit. En vain. Je m’en voulais tel ement. J’ai espéré qu’il reviendrait de lui-même. Mais le lendemain, en fin de journée, la radio a annoncé la disparition de Nola Kellergan. Le suspect roulait dans une Chevrolet noire… Pas besoin de vous faire un dessin. J’ai décidé de ne jamais en parler à qui que ce soit, pour que Luther ne soit jamais soupçonné. Ou peut-être parce qu’au fond j’étais aussi coupable que Luther. C’est la raison pour laquel e je n’ai pas supporté que vous veniez faire revivre les fantômes. Mais voilà que finalement, grâce à vous, j’apprends que Luther n’a pas tué Nola. C’était comme si moi non plus, je ne l’avais pas tuée. Vous avez soulagé ma conscience, Monsieur Goldman.

- Et la Mustang ?

- Elle est dans mon garage, sous une bâche. Ça fait trente-trois ans que je la cache dans mon garage.

- Et les lettres.

- Je les ai gardées aussi.

- J’aimerais les voir, s’il vous plaît.

Stern décrocha un tableau du mur et dévoila la porte d’un petit coffre-fort qu’il ouvrit. Il en sortit un carton à chaussures rempli de lettres. C’est ainsi que je découvris toute la correspondance entre Harry et Nola, celle qui avait permis l’écriture des Origines du mal. Je reconnus aussitôt la première : c’était justement celle qui ouvrait le livre. Cette lettre du 5 juil et 1975, cette lettre pleine de tristesse que Nola avait écrite lorsque Harry l’avait rejetée et qu’elle avait appris qu’il avait passé la soirée du 4 juil et avec Jenny Dawn. Ce jour-là, elle avait accroché dans la porte une enveloppe contenant la lettre et deux photos prises à Rockland. L’une représentait la nuée de mouettes du bord de mer. La seconde était un cliché d’eux, ensemble pendant leur pique-nique.

- Comment diable Luther a-t-il récupéré tout ceci ? demandai-je.

- Je l’ignore, me dit Stern. Mais cela ne m’étonnerait pas qu’il se soit introduit chez Harry.

Je réfléchis : il avait parfaitement pu subtiliser ces lettres pendant les quelques jours où Harry s’était absenté d’Aurora. Mais pourquoi Harry ne m’avait-il jamais dit que ces lettres avaient disparu ? Je demandai à emporter le carton et Stern m’y autorisa.

J’étais envahi par un immense doute.

Face à New York, Harry pleurait en silence, en écoutant mon récit.

- Lorsque j’ai vu ces lettres, lui expliquai-je, tout s’est bousculé dans ma tête. J’ai repensé à votre livre, celui que vous avez laissé dans le casier du fitness : Les Mouettes d’Aurora. Et j’ai réalisé ce que je n’avais pas vu depuis tout ce temps : il n’y a pas de mouettes dans Les Origines du mal. Comment cela a-t-il pu m’échapper pendant tout ce temps : pas la moindre mouette ! Vous aviez pourtant juré de mettre des mouettes ! C’est à ce moment-là que j’ai compris que vous n’aviez pas écrit Les Origines du mal. Le livre que vous avez écrit durant l’été 1975 est Les Mouettes d’Aurora. C’est ce livre que vous avez écrit et que Nola a retapé à la machine. J’en ai eu la confirmation lorsque j’ai demandé à Gahalowood de faire une comparaison entre l’écriture des lettres que m’avait remises Stern et cel e du message inscrit sur le manuscrit retrouvé avec Nola. Quand il m’a dit que les résultats correspondaient, j’ai compris que vous m’aviez utilisé de toutes pièces en me demandant de brûler votre fameux manuscrit écrit à la main. Ce n’était pas votre écriture… Vous n’avez pas écrit le livre qui a fait de vous un écrivain célèbre ! Vous l’avez volé à Luther !

- Taisez-vous, Marcus !

- Ai-je tort ? Vous avez volé un livre ! Quel plus grand crime peut commettre un écrivain ? Les Origines du mal : voilà pourquoi vous avez intitulé ce livre ainsi ! Et moi qui ne comprenais pas pourquoi un titre aussi sombre pour une histoire aussi bel e !

Mais ce titre n’est pas en rapport avec le livre, il est en rapport avec vous. Vous me l’aviez toujours dit en plus : le livre n’est pas un rapport aux mots, il est un rapport aux gens. Ce livre est l’origine du mal qui vous a rongé depuis, le mal des remords et de l’imposture !

- Arrêtez, Marcus ! Taisez-vous maintenant !

Il pleurait. Je poursuivis :

- Un jour, Nola a déposé une enveloppe contre la porte de votre maison. C’était le 5 juillet 1975. Une enveloppe contenant des photos de mouettes et une lettre écrite sur son papier préféré, où el e vous parlait de Rockland et où el e disait qu’elle ne vous oublierait jamais. C’était la période où vous vous efforciez de ne pas la voir. Mais cette lettre ne vous est jamais parvenue parce que Luther, qui espionnait votre maison, s’en est emparé aussitôt que Nola s’est enfuie. Voilà comment, à partir de ce jour, il s’est mis à correspondre avec Nola. Il a répondu à cette lettre, en se faisant passer pour vous. Elle répondait, el e pensait vous écrire, mais il interceptait ses courriers dans votre boîte aux lettres. Et il lui écrivait en retour, toujours en se faisant passer pour vous. Voilà pourquoi il rôdait autour de votre maison. Nola a cru correspondre avec vous, et cette correspondance avec Luther Caleb est devenue Les Origines du mal.

Mais Harry, enfin ! Comment avez-vous pu…

- Je paniquais, Marcus ! Cet été-là, j’avais tel ement de mal à écrire. Je pensais que je n’y arriverais jamais. J’écrivais ce livre, Les Mouettes d’Aurora, mais je trouvais que c’était très mauvais. Nola disait qu’elle l’adorait, mais rien ne pouvait me calmer.

J’entrais dans des crises de rage folle. Elle me tapait mes pages manuscrites à la machine, moi je relisais, et je déchirais tout. Elle me suppliait de cesser, el e me disait :

« Ne faites pas ça, vous êtes si brillant. De grâce, finissez-le. Harry chéri, je ne pourrais pas supporter que vous ne le finissiez pas ! » Mais je n’y croyais pas. Je pensais que je ne deviendrais jamais écrivain. Et puis un jour, Luther Caleb est venu sonner à ma porte. Il m’a dit qu’il ne savait pas à qui s’adresser, alors il était venu me trouver moi : il avait écrit un livre et il se demandait si cela valait la peine de le montrer à des éditeurs.

Vous comprenez, Marcus, il pensait que j’étais un grand écrivain new-yorkais et que je pourrais l’aider.

20 août 1975

- Luther ?

En ouvrant la porte d’entrée de la maison, Harry ne masqua pas son étonnement.

Are sens