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- Oh, chérie ! C’est si excitant.

Tamara attrapa une boîte de fard et peinturlura le visage de sa fil e, tout en rêvassant. Il écrivait un livre pour elle : bientôt, à New York, tout le monde parlerait du Clark’s et de Jenny. Il y aurait sans doute un film aussi. Quelle merveilleuse perspective ! Ce Quebert était l’exaucement de toutes ses prières : comme ils avaient bien fait d’être des bons chrétiens, les voilà récompensés. Elle réfléchissait à toute al ure : il fallait absolument organiser une garden-party dimanche prochain pour officialiser la chose. Le délai était court mais le temps pressait : le samedi d’après, ce serait déjà le bal de l’été et toute la ville, médusée et envieuse, verrait sa Jenny au bras du grand écrivain. Il fal ait donc que ses amies à el e voient sa fille et Harry ensemble avant le bal, pour que la rumeur fasse le tour d’Aurora et que, le soir du bal, ils soient l’attraction de la soirée. Ah, quel bonheur ! Elle s’était fait tellement de souci pour sa fille : elle aurait pu finir au bras d’un routier de passage. Pire : d’un socialiste. Pire : d’un nègre ! Elle frémit à cette pensée : sa Jenny et un affreux nègre. Soudain, une angoisse la saisit : beaucoup de grands écrivains étaient des Juifs. Et si Quebert était un Juif ?

Quel e horreur ! Peut-être même un Juif socialiste ! Elle regretta que les Juifs puissent être blancs de peau parce que cela les rendait invisibles. Au moins, les Noirs avaient

l’honnêteté d’être noirs, pour qu’on puisse les identifier clairement. Mais les Juifs étaient sournois. Elle ressentit des crampes dans son ventre : son estomac se nouait. Depuis l’Affaire Rosenberg, elle avait une grande peur des Juifs. Ils avaient tout de même livré la bombe atomique aux Soviets. Comment savoir si Quebert était juif ? Elle eut soudain une idée. Elle regarda sa montre : elle avait juste le temps d’aller au magasin général avant qu’il n’arrive. Et elle s’empressa de faire l’al er-retour.

À quinze heures vingt, une Chevrolet Monte Carlo noire se gara devant la maison des Quinn. Robert Quinn fut surpris de voir Harry Quebert en sortir : c’était un modèle de voiture qu’il appréciait en particulier. Il nota également que le Grand Écrivain était en tenue très décontractée. Il lui adressa malgré tout un salut d’une grande solennité et lui offrit immédiatement de boire quelque chose plein de chiqueté, ainsi que le lui avait enseigné sa femme.

- Champagne ? hurla-t-il.

- Heu, à vrai dire, je ne suis pas très champagne, répondit Harry. Peut-être juste une bière, si vous avez…

- Bien sûr ! s’enthousiasma soudain familièrement Robert.

La bière, il connaissait bien. Il avait même un livre sur toutes les bières qu’on fabriquait en Amérique. Il s’empressa d’aller chercher deux bouteilles fraîches dans le frigo et annonça au passage à ses dames à l’étage que le pas-si-grand-que-ça Harry Quebert était arrivé. Assis sous la marquise, les bras de chemise remontés, les deux hommes trinquèrent en entrechoquant leurs bouteil es et parlèrent voitures.

- Pourquoi la Monte Carlo ? demanda Robert. Je veux dire, vu votre situation, vous pourriez choisir n’importe quel modèle, et vous prenez la Monte Carlo…

- C’est un modèle sportif et pratique à la fois. Et puis j’aime sa coupe.

- Moi aussi ! J’étais à deux doigts de craquer l’an passé !

- Vous auriez dû.

- Ma femme ne voulait pas.

- Il fallait acheter la voiture d’abord et lui demander son avis après.

Robert éclata de rire; ce Quebert était en fait quelqu’un de très simple, d’affable et surtout de très sympathique. À cet instant, déboula Tamara, avec, dans les mains, ce qu’elle était allée chercher au magasin général : un plateau recouvert de lard et de cochonnaille. Elle s’époumona : « Bonjour, Monsieur Quebert ! Bienvenue ! Voulez-vous du porc ? » Harry la salua et se servit de jambon. Tamara sentit une douce sensation de soulagement l’envahir en voyant son invité manger du cochon. C’était l’homme parfait : il n’était ni nègre, ni juif.

Recouvrant ses esprits, el e remarqua que Robert avait enlevé sa cravate et que les deux hommes buvaient de la bière à même la bouteille.

- Mais qu’est-ce que vous fabriquez ? Vous ne buvez pas de champagne ? Et toi, Robert, pourquoi es-tu à moitié débrail é ?

- J’ai chaud ! se plaignit Bobbo.

- Moi, je préfère la bière, expliqua Harry.

Arriva alors Jenny, trop habillée mais magnifique dans sa robe de soirée.

Au même moment, au 245 Terrace Avenue, le révérend Kel ergan trouva sa fille en pleurs dans sa chambre.

- Que se passe-t-il, ma chérie ?

- Oh, Papa, je suis si triste…

- Pourquoi ?

- C’est à cause de Maman…

- Ne dis pas ça…

Nola était assise par terre, les yeux pleins de larmes. Le révérend eut beaucoup de peine pour elle.

- Et si nous allions au cinéma ? proposa-t-il pour la consoler. Toi, moi et un énorme sachet de pop-corn ! La séance est à seize heures, nous avons encore le temps.

- Ma Jenny est une fille très spéciale, expliqua Tamara pendant que Robert, profitant que sa femme ne le regardait pas, s’empiffrait de charcuterie. Figurez-vous qu’à dix ans seulement el e était déjà la reine de tous les concours de beauté régionaux. Tu te rappel es, Jenny chérie ?

- Oui, Maman, soupira Jenny, mal à l’aise.

- Et si on regardait les anciens albums de photos ? suggéra Robert, la bouche pleine, répétant la pièce de théâtre que lui avait fait apprendre sa femme.

- Oh oui ! s’enthousiasma Tamara, les albums de photos !

Elle s’empressa d’al er chercher une pile d’albums qui retraçaient les vingt-quatre premières années d’existence de Jenny. Et, tout en tournant les pages, el e s’écriait :

« Mais qui est cette magnifique jeune fille ? » Et elle et Robert répondaient en chœur :

« C’est Jenny ! »

Après les photos, Tamara ordonna à son mari de remplir les coupes de champagne, puis elle se décida à parler de la garden-party qu’elle comptait organiser le dimanche suivant.

- Si vous êtes libre, venez déjeuner dimanche prochain, Monsieur Quebert.

- Volontiers, répondit-il.

- Ne vous inquiétez pas, ce sera rien de très compliqué. Je veux dire, je sais que vous êtes venu ici pour être loin de l’agitation mondaine new-yorkaise. Ce sera juste un déjeuner champêtre entre gens bien.

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