comme sâil nây avait quâun seul sentier qui mĂšne Ă lâavenir ! En vĂ©ritĂ©, ces bergers, eux
aussi, faisaient encore partie des brebis !
Ces bergers avaient des esprits Ă©troits et des Ăąmes spacieuses ; mais, mes frĂšres, quels
pays Ă©troits furent, jusquâĂ prĂ©sent, mĂȘme les Ăąmes les plus spacieuses !
Sur le chemin quâils suivaient, ils ont inscrit les signes du sang, et leur folie enseignait quâavec le sang on tĂ©moigne de la vĂ©ritĂ©.
Mais le sang est le plus mauvais témoin de la vérité ; le sang empoisonne la doctrine la
plus pure et la transforme en folie et en haine des cĆurs.
Et lorsque quelquâun traverse le feu pour sa doctrine, â quâest-ce que cela prouve ?
Câest bien autre chose, en vĂ©ritĂ©, quand du propre incendie surgit la propre doctrine.
Le cĆur en Ă©bullition et la tĂȘte froide : quand ces deux choses se rencontrent, naĂźt le tourbillon que lâon appelle « Sauveur ».
En vérité, il y eut des hommes plus grands et de naissance plus haute que ceux que le
peuple appelle sauveurs, ces tourbillons entraĂźnants !
Et il faut que vous soyez sauvĂ©s et dĂ©livrĂ©s dâhommes plus grands encore que de ceux
qui étaient les sauveurs, mes frÚres, si vous voulez trouver le chemin de la liberté.
Jamais encore il nây a eu de Surhomme. Je les ai vu nus tous les deux, le plus grand et
le plus petit homme : â
Ils se ressemblent encore trop. En vĂ©ritĂ©, jâai trouvĂ© que mĂȘme le plus grand Ă©tait â trop
humain !
Ainsi parlait Zarathoustra.
Des vertueux
Câest Ă coups de tonnerre et de feux dâartifice cĂ©lestes quâil faut parler aux sens flasques et endormis.
Mais la voix de la beautĂ© parle bas : elle ne sâinsinue que dans les Ăąmes les plus Ă©veillĂ©es.
Aujourdâhui mon bouclier sâest mis Ă vibrer doucement et Ă rire, câĂ©tait le frisson et le
rire sacré de la beauté !
Câest de vous, ĂŽ vertueux, que ma beautĂ© riait aujourdâhui ! Et ainsi mâarrivait sa voix :
« Ils veulent encore ĂȘtre â payĂ©s ! »
Vous voulez encore ĂȘtre payĂ©s, ĂŽ vertueux ! Vous voulez ĂȘtre rĂ©compensĂ©s de votre vertu, avoir le ciel en place de la terre, et lâĂ©ternitĂ© en place de votre aujourdâhui ?
Et maintenant vous mâen voulez de ce que jâenseigne quâil nây a ni rĂ©tributeur ni comptable ? Et, en vĂ©ritĂ©, je nâenseigne mĂȘme pas que la vertu soit sa propre rĂ©compense.
HĂ©las ! Câest lĂ mon chagrin : astucieusement on a introduit au fond des choses la rĂ©compense et le chĂątiment â et mĂȘme encore au fond de vos Ăąmes, ĂŽ vertueux !
Mais, pareille au boutoir de sanglier, ma parole doit déchirer le fond de vos ùmes ; je
veux ĂȘtre pour vous un soc de charrue.
Que tous les secrets de votre Ăąme paraissent Ă la lumiĂšre ; et quand vous serez Ă©tendus
au soleil, dépouillés et brisés, votre mensonge aussi sera séparé de votre vérité.
Car ceci est votre vĂ©ritĂ© : vous ĂȘtes trop propres pour la souillure de ces mots : vengeance, punition, rĂ©compense, reprĂ©sailles.
Vous aimez votre vertu, comme la mĂšre aime son enfant ; mais quand donc entendit-on
quâune mĂšre voulĂ»t ĂȘtre payĂ©e de son amour ?
Votre vertu, câest votre « moi » qui vous est le plus cher. Vous avez en vous le dĂ©sir de
lâanneau : câest pour revenir sur lui-mĂȘme que tout anneau sâannelle et se tord.
Et toute Ćuvre de votre vertu est semblable Ă une Ă©toile qui sâĂ©teint : sa lumiĂšre est encore en route, parcourant sa voie stellaire, â et quand ne sera-t-elle plus en route ?
Ainsi la lumiĂšre de votre vertu est encore en route, mĂȘme quand lâĆuvre est accomplie.
Que lâĆuvre soit donc oubliĂ©e et morte : son rayon de lumiĂšre persiste toujours.
Que votre vertu soit identique Ă votre « moi » et non pas quelque chose dâĂ©tranger, un
Ă©piderme et un manteau : voilĂ la vĂ©ritĂ© sur le fond de votre Ăąme, ĂŽ vertueux ! â
Mais il y en a certains aussi pour qui la vertu sâappelle un spasme sous le coup de fouet : et vous avez trop Ă©coutĂ© les cris de ceux-lĂ !
Et il en est dâautres qui appellent vertu la paresse de leur vice ; et quand une fois leur
haine et leur jalousie sâĂ©tirent les membres, leur « justice » se rĂ©veille et se frotte les yeux pleins de sommeil.
Et il en est dâautres qui sont attirĂ©s vers en bas : leurs dĂ©mons les attirent. Mais plus ils
enfoncent, plus ils ont lâĆil brillant et plus leur dĂ©sir convoite leur Dieu.
Hélas ! Le cri de ceux-là parvint aussi à votre oreille, Î vertueux, le cri de ceux qui disent : « Tout ce que je ne suis pas, est pour moi Dieu et vertu ! »
Et il en est dâautres qui sâavancent lourdement et en grinçant comme des chariots qui portent des pierres vers la vallĂ©e : ils parlent beaucoup de dignitĂ© et de vertu, â câest leur frein quâils appellent vertu.