Et mieux encore : ayez honte de lui ! Peut-être vous a-t-il trompés.
L’homme qui cherche la connaissance ne doit pas seulement savoir aimer ses ennemis,
mais aussi haïr ses amis.
On n’a que peu de reconnaissance pour un maître, quand on reste toujours élève. Et pourquoi ne voulez-vous pas déchirer ma couronne ?
Vous me vénérez ; mais que serait-ce si votre vénération s’écroulait un jour ? Prenez garde à ne pas être tués par une statue !
Vous dites que vous croyez en Zarathoustra ? Mais qu’importe Zarathoustra ! Vous êtes
mes croyants : mais qu’importent tous les croyants !
Vous ne vous étiez pas encore cherchés : alors vous m’avez trouvé. Ainsi font tous les
croyants ; c’est pourquoi la foi est si peu de chose.
Maintenant je vous ordonne de me perdre et de vous trouver vous-mêmes ; et ce n’est
que quand vous m’aurez tous renié que je reviendrai parmi vous.
En vérité, mes frères, je chercherai alors d’un autre œil mes brebis perdues ; je vous aimerai alors d’un autre amour.
Et un jour vous devrez être encore mes amis et les enfants d’une seule espérance : alors
je veux être auprès de vous, une troisième fois, pour fêter, avec vous, le grand midi.
Et ce sera le grand midi, quand l’homme sera au milieu de sa route entre la bête et le
Surhomme, quand il fêtera, comme sa plus haute espérance, son chemin qui mène à un nouveau matin.
Alors celui qui disparaît se bénira lui-même, afin de passer de l’autre côté ; et le soleil de sa connaissance sera dans son midi.
« Tous les dieux sont morts : nous voulons, maintenant, que le surhomme vive ! » Que
ceci soit un jour, au grand midi, notre dernière volonté ! –
Ainsi parlait Zarathoustra.
Partie 2
« – et ce n’est que quand vous m’aurez tous renié que je reviendrai parmi vous.
En vérité, mes frères, je chercherai alors d’un autre œil mes brebis perdues ; je vous aimerai alors d’un autre amour. »
Zarathoustra, I,
De la vertu qui donne.
L’enfant au miroir
Alors Zarathoustra retourna dans les montagnes et dans la solitude de sa caverne pour se
dérober aux hommes, pareil au semeur qui, après avoir répandu sa graine dans les sillons,
attend que la semence lève. Mais son âme s’emplit d’impatience et du désir de ceux qu’il
aimait, car il avait encore beaucoup de choses à leur donner. Or, voici la chose la plus difficile : fermer par amour la main ouverte et garder la pudeur en donnant.
Ainsi s’écoulèrent pour le solitaire des mois et des années ; mais sa sagesse grandissait
et elle le faisait souffrir par sa plénitude.
Un matin cependant, réveillé avant l’aurore, il se mit à réfléchir longtemps, étendu sur
sa couche, et finit par dire à son cœur :
« Pourquoi me suis-je tant effrayé dans mon rêve et par quoi ai-je été réveillé ? Un enfant qui portait un miroir ne s’est-il pas approché de moi ?
« Ô Zarathoustra – me disait l’enfant – regarde-toi dans la glace ! »
Mais lorsque j’ai regardé dans le miroir, j’ai poussé un cri et mon cœur s’est ébranlé :
car ce n’était pas moi que j’y avais vu, mais la face grimaçante et le rire sarcastique d’un démon.
En vérité, je comprends trop bien le sens et l’avertissement du rêve : ma doctrine est en
danger, l’ivraie veut s’appeler froment.