C’est là que votre corps est élevé et ressuscité ; il ravit l’esprit de sa félicité, afin qu’il devienne créateur, qu’il évalue et qu’il aime, qu’il soit le bienfaiteur de toutes choses.
Quand votre cœur bouillonne, large et plein, pareil au grand fleuve, bénédiction et danger pour les riverains : c’est alors l’origine de votre vertu.
Quand vous vous élevez au-dessus de la louange et du blâme, et quand votre volonté, la
volonté d’un homme qui aime, veut commander à toutes choses : c’est là l’origine de votre
vertu.
Quand vous méprisez ce qui est agréable, la couche molle, et quand vous ne pouvez pas
vous reposer assez loin de la mollesse : c’est là l’origine de votre vertu.
Quand vous n’avez plus qu’une seule volonté et quand ce changement de toute peine s’appelle nécessité pour vous : c’est là l’origine de votre vertu.
En vérité, c’est là un nouveau « bien et mal » ! En vérité, c’est un nouveau murmure profond et la voix d’une source nouvelle !
Elle donne la puissance, cette nouvelle vertu ; elle est une pensée régnante et, autour de
cette pensée, une âme avisée : un soleil doré et autour de lui le serpent de la connaissance.
2.
Ici Zarathoustra se tut quelque temps et il regarda ses disciples avec amour. Puis il continua à parler ainsi, – et sa voix s’était transformée :
Mes frères, restez fidèles à la terre, avec toute la puissance de votre vertu ! Que votre
amour qui donne et votre connaissance servent le sens de la terre. Je vous en prie et vous
en conjure. Ne laissez pas votre vertu s’envoler des choses terrestres et battre des ailes contre des murs éternels ! Hélas ! il y eut toujours tant de vertu égarée !
Ramenez, comme moi, la vertu égarée sur la terre – oui, ramenez-la vers le corps et vers
la vie ; afin qu’elle donne un sens à la terre, un sens humain !
L’esprit et la vertu se sont égarés et mépris de mille façons différentes. Hélas ! dans notre corps habite maintenant encore cette folie et cette méprise : elles sont devenues corps et volonté !
L’esprit et la vertu se sont essayés et égarés de mille façons différentes. Oui, l’homme
était une tentative. Hélas ! Combien d’ignorances et d’erreurs se sont incorporées en nous !
Ce n’est pas seulement la raison des millénaires, c’est aussi leur folie qui éclate en nous.
Il est dangereux d’être héritier.
Nous luttons encore pied à pied avec le géant hasard et, sur toute l’humanité, jusqu’à présent le non-sens régnait encore.
Que votre esprit et votre vertu servent le sens de la terre, mes frères : et la valeur de toutes choses se renouvellera par vous ! C’est pourquoi vous devez être des créateurs.
Le corps se purifie par le savoir ; il s’élève en essayant avec science ; pour celui qui cherche la connaissance tous les instincts se sanctifient ; l’âme de celui qui est élevé se réjouit.
Médecin, aide-toi toi-même et tu sauras secourir ton malade. Que ce soit son meilleur
secours de voir, de ses propres yeux, celui qui se guérit lui-même.
Il y a mille sentiers qui n’ont jamais été parcourus, mille santés et mille terres cachées
de la vie. L’homme et la terre des hommes n’ont pas encore été découverts et épuisés.
Veillez et écoutez, solitaires. Des souffles aux essors secrets viennent de l’avenir ; un joyeux messager cherche de fines oreilles.
Solitaires d’aujourd’hui, vous qui vivez séparés, vous serez un jour un peuple. Vous qui
vous êtes choisis vous-mêmes, vous formerez un jour un peuple choisi – et c’est de ce peuple que naîtra le Surhomme.
En vérité, la terre deviendra un jour un lieu de guérison ! Et déjà une odeur nouvelle l’enveloppe, une odeur salutaire, – et un nouvel espoir !
3.
Quand Zarathoustra eut prononcé ces paroles, il se tut, comme quelqu’un qui n’a pas dit
son dernier mot. Longtemps il soupesa son bâton avec hésitation. Enfin il parla ainsi et sa voix était transformée :
Je m’en vais seul maintenant, mes disciples ! Vous aussi, vous partirez seuls ! Je le veux
ainsi.
En vérité, je vous conseille : éloignez-vous de moi et défendez-vous de Zarathoustra !