En vérité, il y eut des hommes plus grands et de naissance plus haute que ceux que le
peuple appelle sauveurs, ces tourbillons entraînants !
Et il faut que vous soyez sauvés et délivrés d’hommes plus grands encore que de ceux
qui étaient les sauveurs, mes frères, si vous voulez trouver le chemin de la liberté.
Jamais encore il n’y a eu de Surhomme. Je les ai vu nus tous les deux, le plus grand et
le plus petit homme : –
Ils se ressemblent encore trop. En vérité, j’ai trouvé que même le plus grand était – trop
humain !
Ainsi parlait Zarathoustra.
Des vertueux
C’est à coups de tonnerre et de feux d’artifice célestes qu’il faut parler aux sens flasques et endormis.
Mais la voix de la beauté parle bas : elle ne s’insinue que dans les âmes les plus éveillées.
Aujourd’hui mon bouclier s’est mis à vibrer doucement et à rire, c’était le frisson et le
rire sacré de la beauté !
C’est de vous, ô vertueux, que ma beauté riait aujourd’hui ! Et ainsi m’arrivait sa voix :
« Ils veulent encore être – payés ! »
Vous voulez encore être payés, ô vertueux ! Vous voulez être récompensés de votre vertu, avoir le ciel en place de la terre, et l’éternité en place de votre aujourd’hui ?
Et maintenant vous m’en voulez de ce que j’enseigne qu’il n’y a ni rétributeur ni comptable ? Et, en vérité, je n’enseigne même pas que la vertu soit sa propre récompense.
Hélas ! C’est là mon chagrin : astucieusement on a introduit au fond des choses la récompense et le châtiment – et même encore au fond de vos âmes, ô vertueux !
Mais, pareille au boutoir de sanglier, ma parole doit déchirer le fond de vos âmes ; je
veux être pour vous un soc de charrue.
Que tous les secrets de votre âme paraissent à la lumière ; et quand vous serez étendus
au soleil, dépouillés et brisés, votre mensonge aussi sera séparé de votre vérité.
Car ceci est votre vérité : vous êtes trop propres pour la souillure de ces mots : vengeance, punition, récompense, représailles.
Vous aimez votre vertu, comme la mère aime son enfant ; mais quand donc entendit-on
qu’une mère voulût être payée de son amour ?
Votre vertu, c’est votre « moi » qui vous est le plus cher. Vous avez en vous le désir de
l’anneau : c’est pour revenir sur lui-même que tout anneau s’annelle et se tord.
Et toute œuvre de votre vertu est semblable à une étoile qui s’éteint : sa lumière est encore en route, parcourant sa voie stellaire, – et quand ne sera-t-elle plus en route ?
Ainsi la lumière de votre vertu est encore en route, même quand l’œuvre est accomplie.
Que l’œuvre soit donc oubliée et morte : son rayon de lumière persiste toujours.
Que votre vertu soit identique à votre « moi » et non pas quelque chose d’étranger, un
épiderme et un manteau : voilà la vérité sur le fond de votre âme, ô vertueux ! –
Mais il y en a certains aussi pour qui la vertu s’appelle un spasme sous le coup de fouet : et vous avez trop écouté les cris de ceux-là !
Et il en est d’autres qui appellent vertu la paresse de leur vice ; et quand une fois leur
haine et leur jalousie s’étirent les membres, leur « justice » se réveille et se frotte les yeux pleins de sommeil.
Et il en est d’autres qui sont attirés vers en bas : leurs démons les attirent. Mais plus ils
enfoncent, plus ils ont l’œil brillant et plus leur désir convoite leur Dieu.
Hélas ! Le cri de ceux-là parvint aussi à votre oreille, ô vertueux, le cri de ceux qui disent : « Tout ce que je ne suis pas, est pour moi Dieu et vertu ! »
Et il en est d’autres qui s’avancent lourdement et en grinçant comme des chariots qui portent des pierres vers la vallée : ils parlent beaucoup de dignité et de vertu, – c’est leur frein qu’ils appellent vertu.