et qui fait sauter les rochers : cela s’appelle ma volonté. Cela passe à travers les années, silencieux et immuable.
Elle veut marcher de son allure, sur mes propres jambes, mon ancienne volonté ; son sens est dur et invulnérable.
Je ne suis invulnérable qu’au talon. Tu subsistes toujours, égale à toi-même, toi ma volonté patiente ! tu as toujours passé par toutes les tombes !
C’est en toi que subsiste ce qui ne s’est pas délivré pendant ma jeunesse, et vivante et
jeune tu es assise, pleine d’espoir, sur les jaunes décombres des tombeaux.
Oui, tu demeures pour moi la destructrice de tous les tombeaux : salut à toi, ma volonté ! Et ce n’est que là où il y a des tombeaux, qu’il y a résurrection.-
Ainsi parlait Zarathoustra.
De la victoire sur soi-même
Vous appelez « volonté de vérité » ce qui vous pousse et vous rend ardents, vous les plus
sages parmi les sages.
Volonté d’imaginer l’être : c’est ainsi que j’appelle votre volonté !
Vous voulez rendre imaginable tout ce qui est : car vous doutez avec une méfiance que ce soit déjà imaginable.
Mais tout ce qui est, vous voulez le soumettre et le plier à votre volonté. Le rendre poli
et soumis à l’esprit, comme le miroir et l’image de l’esprit.
C’est là toute votre volonté, ô sages parmi les sages, c’est là votre volonté de puissance ; et aussi quand vous parlez du bien et du mal et des évaluations de valeurs.
Vous voulez créer un monde devant lequel vous puissiez vous agenouiller, c’est là votre
dernier espoir et votre dernière ivresse.
Les simples, cependant, ceux que l’on appelle le peuple, – sont semblables au fleuve sur
lequel un canot vogue sans cesse en avant : et dans le canot sont assises, solennelles et masquées, les évaluations des valeurs.
Vous avez lancé votre volonté et vos valeurs sur le fleuve du devenir ; une vieille volonté de puissance me révèle ce que le peuple croit bon et mauvais.
C’est vous, ô sages parmi les sages, qui avez placé de tels hôtes dans ce canot ; vous les
avez ornés de parures et de noms somptueux, – vous et votre volonté dominante !
Maintenant le fleuve porte en avant votre canot : il faut qu’il porte. Peu importe que la vague brisée écume et résiste à sa quille avec colère.
Ce n’est pas le fleuve qui est votre danger et la fin de votre bien et de votre mal, ô sages parmi les sages : mais c’est cette volonté même, la volonté de puissance, – la volonté vitale, inépuisable et créatrice.
Mais, afin que vous compreniez ma parole du bien et du mal, je vous dirai ma parole de
la vie et de la coutume de tout ce qui est vivant.
J’ai suivi ce qui est vivant, je l’ai poursuivi sur les grands et sur les petits chemins, afin de connaître ses coutumes.
Lorsque la vie se taisait, je recueillais son regard sur un miroir à cent facettes, pour faire parler son œil. Et son œil m’a parlé.
Mais partout où j’ai trouvé ce qui est vivant, j’ai entendu les paroles d’obéissance. Tout
ce qui est vivant est une chose obéissante.
Et voici la seconde chose : on commande à celui qui ne sait pas s’obéir à lui-même.
C’est là la coutume de ce qui est vivant.
Voici ce que j’entendis en troisième lieu : commander est plus difficile qu’obéir. Car celui qui commande porte aussi le poids de tous ceux qui obéissent, et parfois cette charge l’écrase : –
Dans tout commandement j’ai vu un danger et un risque. Et toujours, quand ce qui est vivant commande, ce qui est vivant risque sa vie.
Et quand ce qui est vivant se commande à soi-même, il faut que ce qui est vivant expie
son autorité et soit juge, vengeur, et victime de ses propres lois.
D’où cela vient-il donc ? Me suis-je demandé. Qu’est-ce qui décide ce qui est vivant à
obéir, à commander et à être obéissant, même en commandant ?
Écoutez donc mes paroles, ô sages parmi les sages ! Examinez sérieusement si je suis
entré au cœur de la vie, jusqu’aux racines de son cœur !