"Unleash your creativity and unlock your potential with MsgBrains.Com - the innovative platform for nurturing your intellect." » » Ainsi parlait Zarathoustra - Friedrich Nietzsche

Add to favorite Ainsi parlait Zarathoustra - Friedrich Nietzsche

Select the language in which you want the text you are reading to be translated, then select the words you don't know with the cursor to get the translation above the selected word!




Go to page:
Text Size:

Lorsque le chien de feu entendit ces paroles, il lui fut impossible de m’écouter davantage. Honteusement il rentra sa queue et se mit à dire d’un ton décontenancé :

« Ouah ! Ouah ! » en rampant vers sa caverne. –

Ainsi racontait Zarathoustra. Mais ses disciples l’écoutèrent à peine : tant était grande

leur envie de lui parler des matelots, des lapins et de l’homme volant.

« Que dois-je penser de cela ? dit Zarathoustra. Suis-je donc un fantôme ?

Mais c’était peut-être mon ombre. Vous avez entendu parler déjà du voyageur et de son

ombre ?

Une chose est certaine : il faut que je la tienne plus sévèrement, autrement elle finira par me gâter ma réputation. »

Et encore une fois Zarathoustra secoua la tête avec étonnement : « Que dois-je penser

de cela ? Répéta-t-il.

Pourquoi donc le fantôme a-t-il crié : « Il est temps ! Il est grand temps ! »

Pour quoi peut-il être – grand temps ? » –

Ainsi parlait Zarathoustra.

Le devin

« … et je vis une grande tristesse descendre sur les hommes. Les meilleurs se fatiguèrent

de leurs œuvres.

Une doctrine fut mise en circulation et à côté d’elle une croyance : « Tout est vide, tout

est pareil, tout est passé ! »

Et de toutes les collines résonnait la réponse : « Tout est vide, tout est pareil, tout est passé ! »

Il est vrai que nous avons moissonné : mais pourquoi nos fruits ont-ils pourri et bruni ?

Qu’est-ce qui est tombé la nuit dernière de la mauvaise lune.

Tout travail a été vain, notre vin a tourné, il est devenu du poison, le mauvais œil a jauni nos champs et nos cœurs.

Nous avons tous desséché ; et si le feu tombe sur nous, nos cendres s’en iront en poussière : – Oui, nous avons fatigué même le feu.

Toutes les fontaines se sont desséchées pour nous et la mer s’est retirée. Tout sol veut se fendre, mais les abîmes ne veulent pas nous engloutir !

« Hélas ! Où y a-t-il encore une mer où l’on puisse se noyer ? » Ainsi résonne notre plainte – cette plainte qui passe sur les plats marécages.

En vérité, nous nous sommes déjà trop fatigués pour mourir, maintenant nous

continuons à vivre éveillés – dans des caveaux funéraires ! »

Ainsi Zarathoustra entendit parler un devin ; et sa prédiction lui alla droit au cœur et elle le transforma. Il erra triste et fatigué ; et il devint semblable à ceux dont avait parlé le devin.

En vérité, dit-il à ses disciples, il s’en faut de peu que ce long crépuscule ne descende.

Hélas ! comment ferai-je pour sauver ma lumière au delà de ce crépuscule !

Comment ferai-je pour qu’elle n’étouffe pas dans cette tristesse ? Il faut qu’elle soit la

lumière des mondes lointains et qu’elle éclaire les nuits les plus lointaines !

Ainsi, préoccupé dans son cœur, Zarathoustra erra çà et là ; et pendant trois jours il ne

prit ni nourriture ni boisson, il n’eut point de repos et perdit la parole. Enfin il arriva de tomber dans un profond sommeil. Mais ses disciples passaient de longues veilles, assis autour de lui, et ils attendaient avec inquiétude qu’il se réveillât pour se remettre à parler et pour guérir de sa tristesse.

Mais voici le discours que leur tint Zarathoustra lorsqu’il se réveilla ; cependant sa voix leur semblait venir du lointain :

Écoutez donc le rêve que j’ai fait, mes amis, et aidez-moi à en deviner le sens !

Il est encore une énigme pour moi, ce rêve ; son sens est caché en lui et voilé ; il ne vole pas encore librement au-dessus de lui.

J’avais renoncé à toute espèce de vie ; tel fut mon rêve. J’étais devenu veilleur et

gardien des tombes, là-bas sur la solitaire montagne du château de la Mort.

C’est là-haut que je gardais les cercueils de la Mort : les sombres voûtes s’emplissaient

de ces trophées de victoire. À travers les cercueils de verre les existences vaincues me regardaient.

Je respirais l’odeur d’éternités en poussières : mon âme était là, lourde et poussiéreuse.

Et qui donc eût été capable d’alléger son âme ?

La clarté de minuit était toujours autour de moi et, accroupie à ses côtés, la solitude ; et aussi un silence de mort, coupé de râles, le pire de mes amis.

Je portais des clefs avec moi, les plus rouillées de toutes les clefs ; et je savais ouvrir avec elles les portes les plus grinçantes.

Pareils à des cris rauques et méchants, les sons couraient au long des corridors, quand

s’ouvraient les ailes de la porte : l’oiseau avait de mauvais cris, il ne voulait pas être réveillé.

Mais c’était plus épouvantable encore, et mon cœur se serrait davantage, lorsque tout se

taisait et que revenait le silence et que seul j’étais assis dans ce silence perfide.

C’est ainsi que se passa le temps, lentement, s’il peut encore être question de temps : qu’en sais-je, moi ! Mais ce qui me réveilla finit par avoir lieu.

Are sens