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La peau bigarrée de la bête fauve, et les touffes de poil de l’explorateur, du chercheur et du conquérant.

Hélas ! pour apprendre à croire à votre « véracité », il me faudrait vous voir briser d’abord votre volonté vénératrice.

Véridique – c’est ainsi que j’appelle celui qui va dans les déserts sans Dieu, et qui a brisé son cœur vénérateur.

Dans le sable jaune brûlé par le soleil, il lui arrive de regarder avec envie vers les îles aux sources abondantes où, sous les sombres feuillages, la vie se repose.

Mais sa soif ne le convainc pas de devenir pareil à ces satisfaits ; car où il y a des oasis il y a aussi des idoles.

Affamée, violente, solitaire, sans Dieu : ainsi se veut la volonté du lion.

Libre du bonheur des esclaves, délivrée des dieux et des adorations, sans épouvante et

épouvantable, grande et solitaire : telle est la volonté du véridique.

C’est dans le désert qu’ont toujours vécu les véridiques, les esprits libres, maîtres du désert ; mais dans les villes habitent les sages illustres et bien nourris, – les bêtes de trait.

Car ils tirent toujours comme des ânes – le chariot du peuple !

Je ne leur en veux pas, non point : mais ils restent des serviteurs et des êtres attelés, même si leur attelage reluit d’or.

Et souvent ils ont été de bons serviteurs, dignes de louanges. Car ainsi parle la vertu :

« S’il faut que tu sois serviteur, cherche celui à qui tes services seront le plus utiles !

L’esprit et la vertu de ton maître doivent grandir parce que tu es à son service : c’est ainsi que tu grandiras toi-même avec son esprit et sa vertu ! »

Et vraiment, sages illustres, serviteurs du peuple ! Vous avez vous-mêmes grandi avec

l’esprit et la vertu du peuple – et le peuple a grandi par vous ! Je dis cela à votre honneur !

Mais vous restez peuple, même dans vos vertus, peuple aux yeux faibles, – peuple qui

ne sait point ce que c’est l’esprit !

L’esprit, c’est la vie qui incise elle-même la vie : c’est par sa propre souffrance que la

vie augmente son propre savoir, – le saviez-vous déjà ?

Et ceci est le bonheur de l’esprit : être oint par les larmes, être sacré victime de l’holocauste, – le saviez-vous déjà ?

Et la cécité de l’aveugle, ses hésitations et ses tâtonnements rendront témoignage de la

puissance du soleil qu’il a regardé, – le saviez-vous déjà ?

Il faut que ceux qui cherchent la connaissance apprennent à construire avec des montagnes ! c’est peu de chose quand l’esprit déplace des montagnes, – le saviez-vous déjà ?

Vous ne voyez que les étincelles de l’esprit : mais vous ignorez quelle enclume est l’esprit et vous ne connaissez pas la cruauté de son marteau !

En vérité, vous ne connaissez pas la fierté de l’esprit ! Mais vous supporteriez encore

moins la modestie de l’esprit, si la modestie de l’esprit voulait parler !

Et jamais encore vous n’avez pu jeter votre esprit dans des gouffres de neige : vous n’êtes pas assez chauds pour cela ! Vous ignorez donc aussi les ravissements de sa fraîcheur.

Mais en toutes choses vous m’avez l’air de prendre trop de familiarité avec l’esprit ; et

souvent vous avez fait de la sagesse un hospice et un refuge pour de mauvais poètes.

Vous n’êtes point des aigles : c’est pourquoi vous n’avez pas appris le bonheur dans l’épouvante de l’esprit. Celui qui n’est pas un oiseau ne doit pas planer sur les abîmes.

Vous me semblez tièdes : mais un courant d’air froid passe dans toute connaissance profonde. Glaciales sont les fontaines intérieures de l’esprit et délicieuses pour les mains chaudes de ceux qui agissent.

Vous voilà devant moi, honorables et rigides, l’échine droite, ô sages illustres ! – Vous

n’êtes pas poussés par un vent fort et une volonté vigilante.

N’avez-vous jamais vu une voile passer sur la mer tremblante, arrondie et gonflée par

l’impétuosité du vent ?

Pareille à la voile que fait trembler l’impétuosité de l’esprit, ma sagesse passe sur la mer

– ma sagesse sauvage !

Mais, vous qui êtes serviteurs du peuple, sages illustres, – comment pourriez-vous venir avec moi ? –

Ainsi parlait Zarathoustra.

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