Les qualitĂ©s de lâhomme sont rares ici : câest pourquoi les femmes se masculinisent. Car
celui qui est assez homme sera seul capable dâ affranchir dans la femme â la femme.
Et voici la pire des hypocrisies que jâai trouvĂ©e parmi eux : ceux qui ordonnent feignent, eux aussi, les vertus de ceux qui obĂ©issent.
« Je sers, tu sers, nous servons, » â ainsi psalmodie lâhypocrisie des dominants, â et malheur Ă ceux dont le premier maĂźtre nâest que le premier serviteur !
HĂ©las ! la curiositĂ© de mon regard sâest aussi Ă©garĂ©e vers leur hypocrisie ; et jâai bien
deviné leur bonheur de mouche et leur bourdonnement vers les vitres ensoleillées.
Tant il y a de bonté, tant il y a de faiblesse ! Tant il y a de justice et de compassion, tant il y a de faiblesse !
Ils sont ronds, loyaux et bienveillants les uns envers les autres, comme les grains de sable sont ronds, loyaux et bienveillants envers les grains de sable.
Embrasser modestement un petit bonheur, â câest ce quâils appellent « rĂ©signation » ! et
du mĂȘme coup ils louchent dĂ©jĂ modestement vers un nouveau petit bonheur.
Dans leur simplicitĂ©, ils nâont au fond quâun dĂ©sir : que personne ne leur fasse mal.
Câest pourquoi ils sont prĂ©venants envers chacun et ils lui font du bien.
Mais câest lĂ de la lĂąchetĂ© : bien que cela sâappelle « vertu ». â
Et quand il arrive Ă ces petites gens de parler avec rudesse : je nâentendis dans leur voix que leur enrouement, â car chaque coup de vent les enroue !
Ils sont rusés, leurs vertus ont des doigts agiles. Mais il leur manque les poings : leurs
doigts ne savent pas se cacher derriĂšre leur poing.
La vertu, câest pour eux ce qui rend modeste et apprivoisĂ© : câest ainsi quâils ont fait du loup un chien et de lâhomme mĂȘme le meilleur animal domestique de lâhomme.
« Nous avons placĂ© notre chaise au milieu â câest ce que me dit leur hilaritĂ© â et Ă la mĂȘme distance des gladiateurs mourants et des truies joyeuses. »
Mais câest lĂ â de la mĂ©diocritĂ© : bien que cela sâappelle modĂ©ration. â
3.
Je passe au milieu de ce peuple et je laisse tomber maintes paroles : mais ils ne savent
ni prendre ni retenir.
Ils sâĂ©tonnent que je ne sois pas venu pour blĂąmer les dĂ©bauches et les vices ; et, en vĂ©ritĂ©, je ne suis pas venu non plus pour mettre en garde contre les pickpockets.
Ils sâĂ©tonnent que je ne sois pas prĂȘt Ă dĂ©niaiser et Ă aiguiser leur sagesse : comme sâils nâavaient pas encore assez de sages subtils dont la voix grince comme un crayon dâardoise !
Et quand je crie : « Maudissez tous les lùches démons qui sont en vous et qui gémiraient
volontiers, qui voudraient croiser les mains et adorer » : alors ils crient : « Zarathoustra est impie. »
Et leurs professeurs de rĂ©signation crient plus fort, mais câest prĂ©cisĂ©ment Ă eux quâil me plaĂźt de crier Ă lâoreille : Oui ! Je suis Zarathoustra, lâimpie !
Ces professeurs de rĂ©signation ! Partout oĂč il y a petitesse, maladie et teigne, ils rampent comme des poux ; et mon dĂ©goĂ»t seul mâempĂȘche de les Ă©craser.
Eh bien ! voici le sermon que je fais pour leurs oreilles : je suis Zarathoustra lâimpie qui dit : « Qui est-ce qui est plus impie que moi, pour que je me rĂ©jouisse de son enseignement ? »
Je suis Zarathoustra, lâimpie : oĂč trouverai-je mes semblables ? Mes semblables sont
tous ceux qui se donnent eux-mĂȘmes leur volontĂ© et qui se dĂ©barrassent de toute rĂ©signation.
Je suis Zarathoustra, lâimpie : je fais bouillir dans ma marmite tout ce qui est hasard. Et ce nâest que lorsque le hasard est cuit Ă point que je lui souhaite la bienvenue pour en faire ma nourriture.
Et en vĂ©ritĂ©, maint hasard sâest approchĂ© de moi en maĂźtre : mais ma volontĂ© lui parle
dâune façon plus impĂ©rieuse encore, â et aussitĂŽt il se mettait Ă genoux devant moi en suppliant â me suppliant de lui donner asile et accueil cordial, et me parlant dâune maniĂšre flatteuse : « Vois donc, Zarathoustra, il nây a quâun ami pour venir ainsi chez un ami ! »
Mais pourquoi parler, quand personne nâa mes oreilles ! Ainsi je veux crier Ă tous les vents :
Vous devenez toujours plus petits, petites gens ! vous vous Ă©miettez, vous qui aimez vos
aises ! Vous finirez par pĂ©rir â Ă cause de la multitude de vos petites vertus, de vos petites omissions, Ă cause de votre continuelle petite rĂ©signation.
Vous mĂ©nagez trop, vous cĂ©dez trop : câest de cela quâest fait le sol oĂč vous croissez !
Mais pour quâun arbre devienne grand, il faut quâil pousse ses dures racines autour de durs rochers !
Ce que vous omettez aide Ă tisser la toile de lâavenir des hommes ; votre nĂ©ant mĂȘme
est une toile dâaraignĂ©e et une araignĂ©e qui vit du sang de lâavenir.
Et quand vous prenez, câest comme si vous vouliez, ĂŽ petits vertueux ; pourtant, parmi
les fripons mĂȘme, lâ honneur parle : « Il faut voler seulement lĂ ou on ne peut pas piller. »
« Cela ce donne » â telle est aussi une doctrine de la rĂ©signation. Mais moi je vous dis, Ă vous qui aimez vos aises : cela se prend, et cela prendra de vous toujours davantage !
Hélas, que ne vous défaites-vous de tous ces demi-vouloirs, que ne vous décidez-vous
pour la paresse comme pour lâaction !
HĂ©las, que ne comprenez-vous ma parole : « Faites toujours ce que vous voudrez, â
mais soyez dâabord de ceux qui peuvent vouloir ! »
« Aimez toujours votre prochain comme vous-mĂȘmes, mais soyez dâabord de ceux qui
sâaiment eux-mĂȘmes â