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profondeurs, afin que personne ne puisse regarder au travers et voir jusqu’au fond.

Mais c’est justement chez lui que venaient les gens rusés et méfiants, amateurs de difficultés : on lui pêchait ses poissons les plus cachés !

Cependant, ceux qui restent clairs, et braves, et transparents – sont ceux que leur silence trahit le moins : ils sont si profonds que l’eau la plus claire ne révèle pas ce qu’il y a au fond.

Silencieux ciel d’hiver à la barbe de neige, tête blanche aux yeux clairs au-dessus de moi ! Ô divin symbole de mon âme et de la pétulance de mon âme !

Et ne faut-il pas que je monte sur des échasses, pour qu’ils ne voient pas mes longues jambes, – tous ces tristes envieux autour de moi ?

Toutes ces âmes enfumées, renfermées, usées, moisies, aigries – comment leur envie saurait-elle supporter mon bonheur ?

C’est pourquoi je ne leur montre que l’hiver et la glace qui sont sur mes sommets – je

ne leur montre pas que ma montagne est entourée de toutes les ceintures de soleil !

Ils n’entendent siffler que mes tempêtes hivernales : et ne savent pas que je passe aussi sur de chaudes mers, pareil à des vents du sud langoureux, lourds et ardents.

Ils ont pitié de mes accidents et de mes hasards : – mais mes paroles disent : « Laissez

venir à moi le hasard : il est innocent comme un petit enfant ! »

Comment sauraient-ils supporter mon bonheur si je ne mettais autour de mon bonheur

des accidents et des misères hivernales, des toques de fourrure et des manteaux de neige ?

– si je n’avais moi-même pitié de leur apitoiement, l’apitoiement de ces tristes envieux ?

– si moi-même je ne soupirais et ne grelottais pas devant eux, en me laissant envelopper patiemment dans leur pitié ?

Ceci est la sagesse folâtre et la bienveillance de mon âme, qu’elle ne cache point son hiver et ses vents glacés ; elle ne cache pas même ses engelures.

Pour l’un la solitude est la fuite du malade, pour l’autre la fuite devant le malade.

Qu’ils m’entendent gémir et soupirer à cause de la froidure de l’hiver, tous ces pauvres et louches vauriens autour de moi ! Avec de tels gémissements et de tels soupirs, je fuis

leurs chambres chauffées.

Qu’ils me plaignent et me prennent en pitié a cause de mes engelures : « Il finira par geler à la glace de sa connaissance ! – c’est ainsi qu’ils gémissent.

Pendant ce temps, les pieds chauds, je cours çà et là, sur ma montagne des Oliviers ; dans le coin ensoleillé de ma montagne des Oliviers, je chante et je me moque de toute compassion.-

Ainsi chantait Zarathoustra.

En passant

En traversant ainsi sans hâte bien des peuples et mainte ville, Zarathoustra retournait pas des détours vers ses montagnes et sa caverne. Et, en passant, il arriva aussi, à l’improviste, à la porte de la grande Ville : mais lorsqu’il fut arrivé là, un fou écumant sauta sur lui les bras étendus en lui barrant le passage. C’était le même fou que le peuple appelait « le singe de Zarathoustra » : car il imitait un peu les manières de Zarathoustra et la chute de sa phrase. Il aimait aussi à emprunter au trésor de sa sagesse. Le fou cependant parlait ainsi à Zarathoustra :

« Ô Zarathoustra, c’est ici qu’est la grande ville : tu n’as rien à y chercher et tout à y

perdre. Pourquoi voudrais-tu patauger dans cette fange ? Aie donc pitié de tes jambes !

Crache plutôt sur la porte de la grande ville et – retourne sur tes pas ! Ici c’est l’enfer pour les pensées solitaires. Ici l’on fait cuire vivantes les grandes pensées et on les réduit en bouillie. Ici pourrissent tous les grands sentiments : ici on ne laisse cliqueter que les petits sentiments desséchés !

Ne sens-tu pas déjà l’odeur des abattoirs et des gargotes de l’esprit ? Les vapeurs des esprits abattus ne font-elles pas fumer cette ville ? Ne vois-tu pas les âmes suspendues comme des torchons mous et malpropres ? – et ils se servent de ces torchons pour faire des

journaux.

N’entends-tu pas ici l’esprit devenir jeu de mots ? il se fait jeu en de repoussants calembours ! – et c’est avec ces rinçures qu’ils font des journaux ! Ils se provoquent et ne savent pas à quoi. Ils s’échauffent et ne savent pas pourquoi. Ils font tinter leur fer-blanc et sonner leur or.

Ils sont froids et ils cherchent la chaleur dans l’eau-de-vie ; ils sont échauffés et cherchent la fraîcheur chez les esprits frigides ; l’opinion publique leur donne la fièvre et les rend tous ardents.

Tous les désirs et tous les vices ont élu domicile ici ; mais il y a aussi des vertueux, il y a ici beaucoup de vertus habiles et occupées : – beaucoup de vertus occupées, avec des doigts pour écrire, des culs-de-plomb et des ronds-de-cuir ornés de petites décorations et

pères de filles empaillées et sans derrières.

Il y a ici aussi beaucoup de piété, et beaucoup de courtisanerie dévote et de bassesses

devant le Dieu des armées.

Car c’est d’« en haut » que pleuvent les étoiles et les gracieux crachats ; c’est vers en

haut que vont les désirs de toutes les poitrines sans étoiles.

La lune a sa cour et la cour a ses satellites : mais le peuple mendiant et toutes les habiles vertus mendiantes élèvent des prières vers tout ce qui vient de la cour.

« Je sers, tu sers, nous servons » – ainsi prient vers le souverain toutes les vertus habiles : afin que l’étoile méritée s’accroche enfin à la poitrine étroite !

Mais la lune tourne autour de tout ce qui est terrestre : c’est ainsi aussi que le souverain tourne autour de ce qu’il y a de plus terrestre : – mais ce qu’il y a de plus terrestre, c’est l’or des épiciers.

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