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Et vous avez été spectateurs de tout cela ? Ô mes animaux, êtes-vous donc cruels, vous aussi ? Avez-vous voulu contempler ma grande douleur comme font les hommes ? Car l’homme est le plus cruel de tous les animaux.

C’est en assistant à des tragédies, à des combats de taureaux et à des crucifixions que,

jusqu’à présent, il s’est senti plus à l’aise sur la terre ; et lorsqu’il s’inventa l’enfer, ce fut, en vérité, son paradis sur la terre.

Quand le grand homme crie : – aussitôt le petit accourt à ses côtés ; et l’envie lui fait

pendre la langue hors de la bouche. Mais il appelle cela sa « compassion ».

Voyez le petit homme, le poète surtout – avec combien d’ardeur ses paroles accusent-

elles la vie ! Écoutez-le, mais n’oubliez pas d’entendre le plaisir qu’il y a dans toute accusation !

Ces accusateurs de la vie : la vie, d’une œillade, en a raison. « Tu m’aimes ? dit-elle, l’effrontée ; attends un peu, je n’ai pas encore le temps pour toi. »

L’homme est envers lui-même l’animal le plus cruel ; et, chez tous ceux qui s’appellent

pécheurs », « porteurs de croix » et « pénitents », n’oubliez pas d’entendre la volupté qui se mêle à leurs plaintes et à leurs accusations !

Et moi-même – est-ce que je veux être par là l’accusateur de l’homme ? Hélas ! mes animaux, le plus grand mal est nécessaire pour le plus grand bien de l’homme, c’est la seule chose que j’ai apprise jusqu’à présent, –

– le plus grand mal est la meilleure part de la force de l’homme, la pierre la plus dure pour le créateur suprême ; il faut que l’homme devienne meilleur et plus méchant : –

Je n’ai pas été attaché à cette croix, qui est de savoir que l’homme est méchant, mais j’ai crié comme personne encore n’a crié :

« Hélas ! Pourquoi sa pire méchanceté est-elle si petite ! Hélas ! pourquoi sa meilleure

bonté est-elle si petite ! »

Le grand dégoût de l’homme – c’est ce dégoût qui m’a étouffé et qui m’était entré dans le gosier ; et aussi ce qu’avait prédit le devin : « Tout est égal rien ne vaut la peine, le savoir étouffe ! »

Un long crépuscule se traînait en boitant devant moi, une tristesse fatiguée et ivre jusqu’à la mort, qui disait d’une voix coupée de bâillements :

« Il reviendra éternellement, l’homme dont tu es fatigué, l’homme petit » – ainsi bâillait

ma tristesse, traînant la jambe sans pouvoir s’endormir.

La terre humaine se transformait pour moi en caverne, son sein se creusait, tout ce qui

était vivant devenait pour moi pourriture, ossements humains et passé en ruines.

Mes soupirs se penchaient sur toutes les tombes humaines et ne pouvaient plus les

quitter ; mes soupirs et mes questions coassaient, étouffaient, rongeaient et se plaignaient jour et nuit :

– « Hélas ! L’homme reviendra éternellement ! L’homme petit reviendra

éternellement ! » –

Je les ai vus nus jadis, le plus grand et le plus petit des hommes : trop semblables l’un à l’autre, – trop humains, même le plus grand !

Trop petit le plus grand ! – Ce fut là ma lassitude de l’homme ! Et l’éternel retour, même du plus petit ! – Ce fut là ma lassitude de toute existence !

Hélas ! Dégoût ! Dégoût ! Dégoût ! » – Ainsi parlait Zarathoustra, soupirant et frissonnant, car il se souvenait de sa maladie. Mais alors ses animaux ne le laissèrent pas continuer.

« Cesse de parler, convalescent ! – ainsi lui répondirent ses animaux, mais sors d’ici, va

où t’attend le monde, semblable à un jardin.

Va auprès des rosiers, des abeilles et des essaims de colombes ! Va surtout auprès des

oiseaux chanteurs : afin d’apprendre leur chant !

Car le chant convient aux convalescents ; celui qui se porte bien parle plutôt. Et si celui qui se porte bien veut des chants, c’en seront d’autres cependant que ceux du

convalescent. »

– « Ô espiègles que vous êtes, ô serinettes, taisez-vous donc ! – répondit Zarathoustra

en riant de ses animaux. Comme vous savez bien quelle consolation je me suis inventée

pour moi-même en sept jours !

Qu’il me faille chanter de nouveau, c’est là la consolation que j’ai inventée pour moi,

c’est là la guérison. Voulez-vous donc aussi faire de cela une rengaine ? »

– « Cesse de parler, lui répondirent derechef ses animaux ; toi qui es convalescent, apprête-toi plutôt une lyre, une lyre nouvelle !

Car vois donc, Zarathoustra ! Pour tes chants nouveaux, il faut une lyre nouvelle.

Chante, ô Zarathoustra et que tes chants retentissent comme une tempête, guéris ton âme avec des chants nouveaux : afin que tu puisses porter ta grande destinée qui ne fut encore la destinée de personne !

Car tes animaux savent bien qui tu es, Zarathoustra, et ce que tu dois devenir : voici, tu es le prophète de l’éternel retour des choses, – ceci est maintenant ta destinée !

Qu’il faille que tu enseignes le premier cette doctrine, – comment cette grande destinée

ne serait-elle pas aussi ton plus grand danger et ta pire maladie !

Vois, nous savons ce que tu enseignes : que toutes les choses reviennent éternellement

et que nous revenons nous-mêmes avec elles, que nous avons déjà été là une infinité de fois et que toutes choses ont été avec nous.

Tu enseignes qu’il y a une grande année du devenir, un monstre de grande année : il faut

que, semblable à un sablier, elle se retourne sans cesse à nouveau, pour s’écouler et se vider à nouveau : – en sorte que toutes ces années se ressemblent entre elles, en grand et

aussi en petit, – en sorte que nous sommes nous-mêmes semblables à nous-mêmes, dans cette grande année, en grand et aussi en petit.

Are sens