impatiente de le voir. Jâavais dĂ©cidĂ© de relĂ©guer au second plan mes doutes, mes angoisses.
Quand Olivier nous ouvrit la porte, FĂ©lix, moins discret quâun Ă©lĂ©phant dans un magasin de porcelaine, nous laissa en plan en gloussant comme une adolescente.
â Il va assurer lâanimation de ta soirĂ©e, tu sais ? annonçai-je Ă Olivier.
â Quâil se fasse plaisir !
Nous nous regardions dans les yeux.
â Merci de mâavoir invitĂ©e ce soir, je suis heureuse dâĂȘtre avec toi.
Et, sans réfléchir, je déposai un baiser sur sa joue.
â Tu me prĂ©sentes ?
Olivier nâeut pas besoin de faire les prĂ©sentations, tous ses amis avaient entendu parler de moi. Il fit celui qui Ă©tait gĂȘnĂ© pour la forme, car il mâenvoya un clin dâĆil. Leur accueil me toucha, ils faisaient tout pour que je me sente des leurs. FĂ©lix prit trĂšs vite ses aises, parlant avec tout le monde et enchaĂźnant les blagues. Olivier me servit un verre de vin blanc, et sâexcusa de ne pas pouvoir rester avec moi.
â Jâai encore Ă faire en cuisine.
Je dĂ©couvris son intĂ©rieur ; rien Ă voir avec un appartement de vieux garçon. Bien au contraire, il Ă©tait installĂ©. Ce nâĂ©tait ni le bordel, ni le minimalisme Ă outrance. CâĂ©tait chaleureux : le canapĂ© en tissu donnait envie de sây lover, les plantes vertes et les photos de famille et de copains rendaient lâensemble vivant et accueillant. Tout Ă lâimage dâOlivier : rassurant.
Je riais, je discutais avec des personnes de mon Ăąge, sympathiques, jâavais le sentiment dâĂȘtre redevenue une femme comme les autres. Je nâĂ©tais pas pendue aux basques de FĂ©lix, je ne me sentais pas en danger.
Ă demi-mot, je rassurai les curieux : « Oui, Olivier me plaĂźt ! Ce nâest quâune question de temps. »
CâĂ©tait un groupe dâamis soudĂ©s, pour lesquels le bonheur des uns et des autres reprĂ©sentait un vĂ©ritable intĂ©rĂȘt. Personne ne mâinterrogea sur ma vie privĂ©e, Olivier avait Ă©tĂ© discret.
Ma bonne humeur sâĂ©croula comme un chĂąteau de cartes au moment oĂč une femme sortit dâune piĂšce
â que je supposais ĂȘtre la chambre dâOlivier â avec un bĂ©bĂ© de six mois dans les bras. Elle rayonnait de fĂ©licitĂ© et de fatigue maternelle. Jâeus envie de mâenfuir en courant, en criant ; je me mis Ă lâĂ©cart, espĂ©rant quâelle ne me voie pas. Bien entendu, elle me repĂ©ra dans la seconde et sâapprocha de moi, un grand sourire aux lĂšvres.
â Diane, câest ça ? Je suis ravie de faire ta connaissance, Olivier nous parle tellement de toi.
Elle me fit la bise, lâodeur de Mustela me sauta au nez et me renvoya Ă la naissance de Clara.
Jâavais toujours aimĂ© les bĂ©bĂ©s et leur odeur â Colin me disait souvent : « Tu sniffes ta fille ! » Ă
lâĂ©poque de leur dĂ©part, nous songions Ă en fabriquer un second pour offrir Ă Clara un petit frĂšre ou une
petite sĆurâŠ
â Et je te prĂ©sente la prunelle de mes yeux, reprit-elle en dĂ©signant son bĂ©bĂ©. Je lui donnais le biberon quand tu es⊠Oh, mince, jâai oubliĂ© son doudou dans la chambre dâOlivier ! Je peux te la laisser deux secondes ?
Sans attendre ma rĂ©ponse, elle me mit sa fille dans les bras. Ma tĂȘte fut broyĂ©e dans un Ă©tau, mon sang se glaça. Je ne voyais plus cette petite fille, je me voyais moi, avec MA Clara dans les bras. Je sentais sa peau, sa minuscule main accrochĂ©e Ă mon doigt, je distinguais ses premiĂšres boucles blondes. Ă travers les gazouillis de ce bĂ©bĂ©, jâentendis le hurlement silencieux dans mon crĂąne. Ma respiration sâaccĂ©lĂ©ra.
Je tremblais si fort que jâallais la faire tomber si je la tenais une seconde de plus. Jâeus peur que ma douleur lui fasse mal.
â Diane⊠DianeâŠ
Je levai mes yeux embuĂ©s de larmes vers Olivier, qui mâappelait doucement.
â Je vais la prendre, dâaccord ?
Je hochai la tĂȘte. TĂ©tanisĂ©e, jâobservai Olivier sâoccuper de cette enfant comme sâil avait toujours fait ça.
Il la prit contre lui, lui parla et la tendit Ă celui que je devinai ĂȘtre son pĂšre. Puis il revint vers moi, et me prit par la taille.
â Jâai besoin de Diane en cuisine ! dit-il Ă la volĂ©e.
Avant de quitter la piÚce, je croisai le regard désolé de Félix. Mon ami était blanc comme neige.
Olivier nous enferma dans sa petite cuisine, ouvrit la fenĂȘtre, sortit un cendrier dâun placard et me tendit mon paquet de cigarettes, quâil avait dĂ» attraper sur le chemin sans que je mâen rende compte.
Jâen allumai une en tremblant, et en pleurant. Olivier respecta mon silence.
â Je suis dĂ©solĂ©e, lui dis-je.
â Ne dis pas nâimporte quoi, personne nâa rien remarquĂ©. Quand bien mĂȘme, ils nâont rien Ă dire.
Tu veux que jâaille chercher FĂ©lix ?
â NonâŠ
Je reniflai, il me tendit un mouchoir.
â Je ne suis plus normale⊠Je ne peux pas⊠je ne peux plus voir des enfants, des bĂ©bĂ©s⊠ça fait trop mal. Parce quâĂ chaque fois ça me rappelle quâon mâa pris ma fille, ma Clara, lâamour de ma vie⊠je nâaccepterai jamais ça⊠je ne pourrai jamais oublier⊠passer Ă autre choseâŠ
Je hoquetai. La crise de nerfs nâĂ©tait pas loin. Olivier sâapprocha de moi, essuya mes joues, et me prit contre lui. Je me sentis tout de suite mieux, jâĂ©tais en sĂ©curitĂ©, je le sentais tendre et doux. Il ne profitait pas de la situation. Petit Ă petit, je retrouvai une respiration normale. JâĂ©tais en confiance avec lui, mais