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cette facture acquittĂ©e qu’elle avait fait voir Ă  Bovary) : c’était une convention entre elles deux.

Le loueur de livres rĂ©clama trois ans d’abonnement ; la mĂšre Rolet rĂ©clama le port d’une vingtaine de lettres ; et comme Charles demandait des explications, elle eut la dĂ©licatesse de rĂ©pondre :

– Ah ! je ne sais rien ! c’était pour ses affaires.

À chaque dette qu’il payait, Charles croyait en avoir fini. Il en survenait d’autres, continuellement.

Il exigea l’arriĂ©rĂ© d’anciennes visites. On lui montra les lettres que sa femme avait envoyĂ©es.

Alors il fallut faire des excuses.

FĂ©licitĂ© portait maintenant les robes de Madame ; non pas toutes, car il en avait gardĂ© quelques-unes, et il les allait voir dans son cabinet de toilette, oĂč il s’enfermait. Comme elle Ă©tait Ă  peu prĂšs de sa taille, souvent, lorsqu’elle sortait de la chambre, Charles, en l’apercevant par derriĂšre, Ă©tait saisi d’une illusion, et s’écriait :

« Oh ! reste ! reste ! »

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Mais, Ă  la PentecĂŽte, elle dĂ©campa d’Yonville, enlevĂ©e par ThĂ©odore, et en volant tout ce qui restait de la garde-robe.

Ce fut vers cette Ă©poque que madame veuve

Dupuis eut l’honneur de lui faire part du

« mariage de M. LĂ©on Dupuis, son fils, notaire Ă  Yvetot, avec mademoiselle LĂ©ocadie LebƓuf, de Bondeville ». Charles, parmi les fĂ©licitations qu’il lui adressa, Ă©crivit cette phrase : « Comme ma pauvre femme aurait Ă©tĂ© heureuse ! »

Un jour qu’errant sans but dans la maison il Ă©tait montĂ© jusqu’au grenier, il sentit sous sa pantoufle une boulette de papier fin. Il l’ouvrit et il lut : « Du courage, Emma ! du courage ! Je ne veux pas faire le malheur de votre existence. »

C’était la lettre de Rodolphe, tombĂ©e Ă  terre entre des caisses, qui Ă©tait restĂ©e lĂ , et que le vent de la lucarne venait de pousser vers la porte. Et Charles demeura tout immobile et bĂ©ant Ă  cette mĂȘme place oĂč jadis, encore plus pĂąle que lui, Emma, dĂ©sespĂ©rĂ©e, avait voulu mourir.

Enfin, il dĂ©couvrit un petit R au bas de la seconde page. Qu’était-ce ? il se rappela les 697

assiduitĂ©s de Rodolphe, sa disparition soudaine et l’air contraint qu’il avait eu en la rencontrant depuis, deux ou trois fois. Mais le ton respectueux de la lettre l’illusionna. Ils se sont peut-ĂȘtre aimĂ©s platoniquement, se dit-il.

D’ailleurs, Charles n’était pas de ceux qui descendent au fond des choses : il recula devant les preuves, et sa jalousie incertaine se perdit dans l’immensitĂ© de son chagrin.

On avait dĂ», pensait-il, l’adorer. Tous les hommes, Ă  coup sĂ»r, l’avaient convoitĂ©e. Elle lui en parut plus belle ; et il en conçut un dĂ©sir permanent, furieux, qui enflammait son dĂ©sespoir et qui n’avait pas de limites, parce qu’il Ă©tait maintenant irrĂ©alisable.

Pour lui plaire, comme si elle vivait encore, il adopta ses prĂ©dilections, ses idĂ©es. Il s’acheta des bottes vernies, il prit l’usage des cravates blanches. Il mettait du cosmĂ©tique Ă  ses moustaches, il souscrivit comme elle des billets Ă  ordre. Elle le corrompait par delĂ  le tombeau.

Il fut obligĂ© de vendre l’argenterie piĂšce Ă  piĂšce, ensuite il vendit les meubles du salon.

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Tous les appartements se dégarnirent ; mais la chambre, sa chambre à elle, était restée comme autrefois.

AprĂšs son dĂźner, Charles montait lĂ . Il poussait devant le feu la table ronde, et il approchait son fauteuil. Il s’asseyait en face. Une chandelle brĂ»lait dans un des flambeaux dorĂ©s. Berthe, prĂšs de lui, enluminait des estampes. Il souffrait, le pauvre homme, Ă  la voir si mal vĂȘtue, avec ses brodequins sans lacet et l’emmanchure de ses blouses dĂ©chirĂ©e jusqu’aux hanches, car la femme de mĂ©nage n’en prenait guĂšre de souci.

Mais elle Ă©tait si douce, si gentille, et sa petite tĂȘte se penchait si gracieusement en laissant retomber sur ses joues roses sa bonne chevelure blonde, qu’une dĂ©lectation infinie l’envahissait, plaisir tout mĂȘlĂ© d’amertume comme ces vins mal faits qui sentent la rĂ©sine. Il raccommodait ses joujoux, lui fabriquait des pantins avec du carton, ou recousait le ventre dĂ©chirĂ© de ses poupĂ©es.

Puis, s’il rencontrait des yeux la boĂźte Ă  ouvrage, un ruban qui traĂźnait ou mĂȘme une Ă©pingle restĂ©e dans une fente de la table, il se prenait Ă  rĂȘver, et il avait l’air si triste, qu’elle devenait triste 699

comme lui.

Personne Ă  prĂ©sent ne venait les voir ; car Justin s’était enfui Ă  Rouen, oĂč il est devenu garçon Ă©picier, et les enfants de l’apothicaire frĂ©quentaient de moins en moins la petite, M.

Homais ne se souciant pas, vu la diffĂ©rence de leurs conditions sociales, que l’intimitĂ© se prolongeĂąt.

L’aveugle, qu’il n’avait pu guĂ©rir avec sa pommade, Ă©tait retournĂ© dans la cĂŽte du Bois-Guillaume, oĂč il narrait aux voyageurs la vaine tentative du pharmacien, Ă  tel point que Homais, lorsqu’il allait Ă  la ville, se dissimulait derriĂšre les rideaux de l’ Hirondelle, afin d’éviter sa rencontre. Il l’exĂ©crait ; et, dans l’intĂ©rĂȘt de sa propre rĂ©putation, voulant s’en dĂ©barrasser Ă  toute force, il dressa contre lui une batterie cachĂ©e, qui dĂ©celait la profondeur de son intelligence et la scĂ©lĂ©ratesse de sa vanitĂ©. Durant six mois consĂ©cutifs, on put donc lire dans le Fanal de Rouen des entrefilets ainsi conçus :

« Toutes les personnes qui se dirigent vers les fertiles contrées de la Picardie auront remarqué 700

sans doute, dans la cĂŽte du Bois-Guillaume, un misĂ©rable atteint d’une horrible plaie faciale. Il vous importune, vous persĂ©cute et prĂ©lĂšve un vĂ©ritable impĂŽt sur les voyageurs. Sommes-nous encore Ă  ces temps monstrueux du moyen Ăąge, oĂč il Ă©tait permis aux vagabonds d’étaler par nos places publiques la lĂšpre et les scrofules qu’ils avaient rapportĂ©es de la croisade ? »

Ou bien :

« MalgrĂ© les lois contre le vagabondage, les abords de nos grandes villes continuent Ă  ĂȘtre infestĂ©s par des bandes de pauvres. On en voit qui circulent isolĂ©ment, et qui, peut-ĂȘtre, ne sont pas les moins dangereux. À quoi songent nos Ă©diles ? »

Puis Homais inventait des anecdotes :

« Hier, dans la cĂŽte du Bois-Guillaume, un cheval ombrageux... » Et suivait le rĂ©cit d’un accident occasionnĂ© par la prĂ©sence de l’aveugle.

Il fit si bien, qu’on l’incarcĂ©ra. Mais on le relĂącha. Il recommença, et Homais aussi recommença. C’était une lutte. Il eut la victoire ; 701

car son ennemi fut condamné à une réclusion perpétuelle dans un hospice.

Ce succĂšs l’enhardit ; et dĂšs lors il n’y eut plus dans l’arrondissement un chien Ă©crasĂ©, une grange incendiĂ©e, une femme battue, dont aussitĂŽt il ne fĂźt part au public, toujours guidĂ© par l’amour du progrĂšs et la haine des prĂȘtres. Il Ă©tablissait des comparaisons entre les Ă©coles primaires et les frĂšres ignorantins, au dĂ©triment de ces derniers, rappelait la Saint-BarthĂ©lemy Ă  propos d’une allocation de cent francs faite Ă  l’église, et dĂ©nonçait des abus, lançait des boutades. C’était son mot. Homais sapait ; il devenait dangereux.

Cependant il Ă©touffait dans les limites Ă©troites du journalisme, et bientĂŽt il lui fallut le livre, l’ouvrage ! Alors il composa une « Statistique gĂ©nĂ©rale du canton d’Yonville, suivie d’observations climatologiques », et la statistique le poussa vers la philosophie. Il se prĂ©occupa des grandes questions : problĂšme social, moralisation des classes pauvres, pisciculture, caoutchouc, chemins de fer, etc. Il en vint Ă  rougir d’ĂȘtre un 702

Are sens

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