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« – Taisez-vous donc, monsieur Homais, vous

ĂȘtes un impie, vous n’avez pas de religion !

« Le pharmacien répondit :

« – J’ai une religion, ma religion, et mĂȘme j’en ai plus qu’eux tous avec leurs momeries et leurs jongleries. J’adore Dieu, au contraire ! Je crois en l’Être suprĂȘme, Ă  un crĂ©ateur quel qu’il soit, peu m’importe, qui nous a placĂ©s ici-bas pour y remplir nos devoirs de citoyen et de pĂšre de famille ; mais je n’ai pas besoin d’aller dans une Ă©glise baiser des plats d’argent et engraisser de ma poche un tas de farceurs qui se nourrissent mieux que nous. Car on peut l’honorer aussi bien dans un bois, dans un champ, ou mĂȘme en contemplant la voĂ»te Ă©thĂ©rĂ©e, comme les anciens.

Mon Dieu, Ă  moi, c’est le Dieu de Socrate, de Franklin, de Voltaire et de BĂ©ranger ! Je suis pour la Profession de foi du vicaire savoyard et les immortels principes de 89 ! Aussi je n’admets pas un bonhomme de Bon-Dieu qui se promĂšne dans

son parterre la canne Ă  la main, loge ses amis dans le ventre des baleines, meurt en poussant un 891

cri et ressuscite au bout de trois jours – choses absurdes en elles-mĂȘmes et complĂštement opposĂ©es, d’ailleurs, Ă  toutes les lois de la physique, ce qui nous dĂ©montre, en passant, que les prĂȘtres ont toujours croupi dans une ignorance turpide, oĂč ils s’efforcent d’engloutir avec eux les populations.

« Il se tut, cherchant des yeux un public autour de lui, car, dans son effervescence, le pharmacien, un moment, s’était cru en plein conseil municipal. Mais la maĂźtresse d’auberge ne l’écoutait plus. »

Qu’est-ce qu’il y a lĂ  ? Un dialogue, une scĂšne, comme il y en avait chaque fois que Homais avait occasion de parler des prĂȘtres.

Maintenant il y a quelque chose de mieux dans le dernier passage, page 2711 :

« Mais l’attention publique fut distraite par l’apparition de M. Bournisien, qui passait sous les halles avec les saintes huiles.

« Homais, comme il le devait à ses principes, 1 Page 535.

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compara les prĂȘtres Ă  des corbeaux qu’attire l’odeur des morts ; la vue d’un ecclĂ©siastique lui Ă©tait personnellement dĂ©sagrĂ©able, car la soutane le faisait rĂȘver au linceul, et il exĂ©crait l’une un peu par Ă©pouvante de l’autre. »

Notre vieil ami, celui qui nous a prĂȘtĂ© le catĂ©chisme, Ă©tait fort heureux de ce passage ; il nous disait : C’est d’une vĂ©ritĂ© frappante ; c’est bien le portrait du prĂȘtrophobe que « la soutane fait rĂȘver au linceul et qui exĂšcre l’une un peu par Ă©pouvante de l’autre ». C’était un impie, et il exĂ©crait la soutane, un peu par impiĂ©tĂ© peut-ĂȘtre, mais beaucoup plus parce qu’elle le faisait rĂȘver au linceul.

Permettez-moi de résumer tout ceci.

Je dĂ©fends un homme qui, s’il avait rencontrĂ© une critique littĂ©raire sur la forme de son livre, sur quelques expressions sur trop de dĂ©tails, sur un point ou sur un autre, aurait acceptĂ© cette critique littĂ©raire du meilleur cƓur du monde.

Mais se voir accusĂ© d’outrage Ă  la morale et Ă  la religion ! M. Flaubert n’en revient pas ; et il proteste ici devant vous avec tout l’étonnement et 893

toute l’énergie dont il est capable contre une telle accusation.

Vous n’ĂȘtes pas de ceux qui condamnent des

livres sur quelque lignes, vous ĂȘtes de ceux qui jugent avant tout la pensĂ©e, les moyens de mise en Ɠuvre, et qui vous poserez cette question par laquelle j’ai commencĂ© ma plaidoirie, et par laquelle je la finis : La lecture d’un tel livre donne-t-elle l’amour du vice, inspire-t-elle l’horreur du vice ? L’expiation si terrible de la faute ne pousse-t-elle pas, n’excite-t-elle pas Ă  la vertu ? La lecture de ce livre ne peut pas produire sur vous une impression autre que celle qu’elle a produite sur nous, Ă  savoir : que ce livre est excellent dans son ensemble, et que les dĂ©tails en sont irrĂ©prochables. Toute la littĂ©rature classique nous autorisait Ă  des peintures et Ă  des scĂšnes bien autres que celles que nous nous sommes permises. Nous aurions pu, sous ce rapport, la prendre pour modĂšle, nous ne l’avons pas fait ; nous nous sommes imposĂ© une sobriĂ©tĂ© dont vous nous tiendrez compte. Que s’il Ă©tait possible que, par un mot ou par un autre, M. Flaubert eĂ»t dĂ©passĂ© la mesure qu’il s’était imposĂ©e, je 894

n’aurais pas seulement Ă  vous rappeler que c’est une premiĂšre Ɠuvre, mais j’aurais Ă  vous dire qu’alors mĂȘme qu’il se serait trompĂ©, son erreur serait sans dommage pour la morale publique. Et le faisant venir en police correctionnelle – lui, que vous connaissez maintenant un peu par son livre, lui que vous aimez dĂ©jĂ  un peu, j’en suis sĂ»r, et que vous aimeriez davantage si vous le connaissiez davantage – il est bien assez, il est dĂ©jĂ  trop cruellement puni. À vous maintenant de statuer. Vous avez jugĂ© le livre dans son ensemble et dans ses dĂ©tails ; il n’est pas possible que vous hĂ©sitiez !

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Jugement

Le tribunal a consacrĂ© une partie de l’audience de la huitaine derniĂšre aux dĂ©bats d’une poursuite exercĂ©e contre MM. LĂ©on Laurent-Pichat et Auguste-Alexis Pillet, le premier gĂ©rant, le second imprimeur du recueil pĂ©riodique la Revue de Paris, et M. Gustave Flaubert, homme de lettres, tous trois prĂ©venus :

1° Laurent-Pichat, d’avoir, en 1856, en publiant dans les n° des 1er et 15 dĂ©cembre de la Revue de Paris des fragments d’un roman intitulĂ©

Madame Bovaryet, notamment, divers fragments contenus dans les pages 73, 77, 78, 272, 273, commis les dĂ©lits d’outrage Ă  la morale publique et religieuse et aux bonnes mƓurs ; 2° Pillet et Flaubert d’avoir, Pillet en imprimant pour qu’ils fussent publiĂ©s, Flaubert en Ă©crivant et remettant Ă  Laurent-Pichat pour ĂȘtre publiĂ©s, les fragments du roman intitulĂ©Madame Bovary, sus-dĂ©signĂ©s, 896

aidĂ© et assistĂ©, avec connaissance, Laurent-Pichat dans les faits qui ont prĂ©parĂ©, facilitĂ© et consommĂ© les dĂ©lits sus-mentionnĂ©s, et de s’ĂȘtre ainsi rendus complices de ces dĂ©lits prĂ©vus par les articles 1er et 8 de la loi du 17 mai 1819, et 59

et 60 du Code pénal.

M. Pinard, substitut, a soutenu la prévention.

Le tribunal, aprĂšs avoir entendu la dĂ©fense prĂ©sentĂ©e par Me SĂ©nard pour M. Flaubert, Me Desmarest pour M. Pichat et Me Faverie pour l’imprimeur, a remis Ă  l’audience de ce jour (7

février) le prononcé du jugement, qui a été rendu en ces termes :

« Attendu que Laurent-Pichat, Gustave

Flaubert et Pillet sont inculpĂ©s d’avoir commis les dĂ©lits d’outrage Ă  la morale publique et religieuse et aux bonnes mƓurs ; le premier, comme auteur, en publiant dans le recueil pĂ©riodique intitulĂ© la Revue de Paris, dont il est directeur gĂ©rant, et dans les numĂ©ros des 1er et 15

octobre, 1er et 15 novembre, 1er et 15 décembre 1856, un roman intitulé Madame Bovary,

Gustave Flaubert et Pillet, comme complices, 897

l’un en fournissant le manuscrit, et l’autre en imprimant ledit roman ;

« Attendu que les passages particuliĂšrement signalĂ©s du roman dont il s’agit, lequel renferme prĂšs de 300 pages, sont contenus, aux termes de l’ordonnance de renvoi devant le tribunal correctionnel, dans les pages 73, 77 et 78 (n° du 1er dĂ©cembre), et 271, 272 et 273 (n° du 15

décembre 1856) ;

« Attendu que les passages incriminés, envisagés abstractivement et isolément présentent effectivement soit des expressions, soit des images, soit des tableaux que le bon goût réprouve et qui sont de nature à porter atteinte à de légitimes et honorables susceptibilités ;

« Attendu que les mĂȘmes observations peuvent s’appliquer justement Ă  d’autres passages non dĂ©finis par l’ordonnance de renvoi et qui, au premier abord, semblent prĂ©senter l’exposition de thĂ©ories qui ne seraient pas moins contraires aux bonnes mƓurs, aux institutions, qui sont la base de la sociĂ©tĂ©, qu’au respect dĂ» aux cĂ©rĂ©monies les plus augustes du culte ;

898

« Attendu qu’à ces divers titres l’ouvrage dĂ©fĂ©rĂ© au tribunal mĂ©rite un blĂąme sĂ©vĂšre, car la mission de la littĂ©rature doit ĂȘtre d’orner et de rĂ©crĂ©er l’esprit en Ă©levant l’intelligence et en Ă©purant les mƓurs plus encore que d’imprimer le dĂ©goĂ»t du vice en offrant le tableau des dĂ©sordres qui peuvent exister dans la sociĂ©tĂ© ;

« Attendu que les prĂ©venus, et en particulier Gustave Flaubert, repoussent Ă©nergiquement l’inculpation dirigĂ©e contre eux, en articulant que le roman soumis au jugement du tribunal a un but Ă©minemment moral ; que l’auteur a eu principalement en vue d’exposer les dangers qui rĂ©sultent d’une Ă©ducation non appropriĂ©e au milieu dans lequel on doit vivre, et que, poursuivant cette idĂ©e, il a montrĂ© la femme, personnage principal de son roman, aspirant vers un monde et une sociĂ©tĂ© pour lesquels elle n’était pas faite, malheureuse de la condition modeste dans laquelle le sort l’aurait placĂ©e, oubliant d’abord ses devoirs de mĂšre, manquant ensuite Ă  ses devoirs d’épouse, introduisant

successivement dans sa maison l’adultĂšre et la ruine, et finissant misĂ©rablement par le suicide, 899

aprĂšs avoir passĂ© par tous les degrĂ©s de la dĂ©gradation la plus complĂšte et ĂȘtre descendue jusqu’au vol ;

« Attendu que cette donnĂ©e, morale sans doute dans son principe, aurait dĂ» ĂȘtre complĂ©tĂ©e dans ses dĂ©veloppements par une certaine sĂ©vĂ©ritĂ© de langage et par une rĂ©serve contenue, en ce qui touche particuliĂšrement l’exposition des tableaux et des situations que le plan de l’auteur lui faisait placer sous les yeux du public ;

« Attendu qu’il n’est pas permis, sous prĂ©texte de peinture de caractĂšre ou de couleur locale, de reproduire dans leurs Ă©carts les faits, dits et gestes des personnages qu’un Ă©crivain s’est donnĂ© mission de peindre ; qu’un pareil systĂšme, appliquĂ© aux Ɠuvres de l’esprit aussi bien qu’aux productions des beaux-arts, conduirait Ă  un rĂ©alisme qui serait la nĂ©gation du beau et du bon et qui, enfantant des Ɠuvres Ă©galement offensantes pour les regards et pour l’esprit, commettrait de continuels outrages Ă  la morale publique et aux bonnes mƓurs ;

« Attendu qu’il y a des limites que la 900

littĂ©rature, mĂȘme la plus lĂ©gĂšre, ne doit pas dĂ©passer, et dont Gustave Flaubert et co-inculpĂ©s paraissent ne s’ĂȘtre pas suffisamment rendu compte ;

Are sens