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Me SĂ©nard. – S’il n’y en a pas lĂ -dedans, oĂč donc y en a-t-il ? Dans vos dĂ©coupures, Ă©videmment. Mais voici l’ouvrage tout entier, que le tribunal le juge, et il verra que le sentiment religieux y est si fortement empreint, que l’accusation de scepticisme est une vraie calomnie. Et maintenant, monsieur l’avocat 861

impĂ©rial me permettra-t-il de lui dire que ce n’était pas la peine d’accuser l’auteur de scepticisme avec tant de fracas ? Poursuivons :

« Le dimanche Ă  la messe, quand elle relevait sa tĂȘte, elle apercevait le doux visage de la Vierge parmi les tourbillons bleuĂątres de l’encens qui montait. Alors un attendrissement la saisit, elle se sentit molle et tout abandonnĂ©e, comme un duvet d’oiseau qui tournoie dans la tempĂȘte, et ce fut sans en avoir conscience qu’elle s’achemina vers l’église, disposĂ©e Ă  n’importe quelle dĂ©votion, pourvu qu’elle y absorbĂąt son Ăąme et que l’existence entiĂšre y disparut. »

Ceci, messieurs, est le premier appel Ă  la religion, pour retenir Emma sur la pente des passions. Elle est tombĂ©e, la pauvre femme, puis repoussĂ©e du pied par l’homme auquel elle s’est abandonnĂ©e. Elle est presque morte, elle se relĂšve, elle se ranime ; et vous allez voir maintenant ce qui est Ă©crit (numĂ©ro du 15

novembre 1856, p. 5481) :

« Un jour qu’au plus fort de sa maladie elle 1 Pages 355 et 356.

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s’était crue agonisante, elle avait demandĂ© la communion ; et Ă  mesure que l’on faisait dans sa chambre les prĂ©paratifs pour le sacrement, que l’on disposait en autel la commode encombrĂ©e de sirops, et que FĂ©licitĂ© semait par terre des fleurs de dahlia, Emma sentait quelque chose de fort pesant sur elle, qui la dĂ©barrassait de ses douleurs, de toute perception, de tout sentiment.

Sa chair allĂ©gĂ©e ne pesait plus, une autre vie commençait ; il lui sembla que son ĂȘtre, montant vers Dieu... (Vous voyez dans quelle langue M.

Flaubert parle des choses religieuses.) « Il lui sembla que son ĂȘtre, montant vers Dieu, allait s’anĂ©antir dans cet amour, comme un encens allumĂ© qui se dissipe en vapeur. On aspergea d’eau bĂ©nite les draps du lit ; le prĂȘtre retira du saint ciboire la blanche hostie : et ce fut en dĂ©faillant d’une joie cĂ©leste qu’elle avança les lĂšvres pour accepter le corps du Sauveur qui se prĂ©sentait. »

J’en demande pardon Ă  M. l’avocat impĂ©rial,

j’en demande pardon au tribunal, j’interromps ce passage, mais j’ai besoin de dire que c’est l’auteur qui parle, et de vous faire remarquer dans 863

quels termes il s’exprime sur le mystĂšre de la communion ; j’ai besoin, avant de reprendre cette lecture, que le tribunal saisisse la valeur littĂ©raire empruntĂ©e Ă  ce tableau ; j’ai besoin d’insister sur ces expressions qui appartiennent Ă  l’auteur :

« Et ce fut en dĂ©faillant d’une joie cĂ©leste qu’elle avança les lĂšvres pour accepter le corps du Sauveur qui se prĂ©sentait. Les rideaux de son alcĂŽve se bombaient mollement autour d’elle en façon de nuĂ©es, et les rayons des deux cierges brillant sur la commode lui parurent ĂȘtre des gloires Ă©blouissantes. Alors elle laissa retomber sa tĂȘte, croyant entendre dans les espaces le chant des harpes sĂ©raphiques, et apercevoir en un ciel d’azur, sur un trĂŽne d’or, au milieu des saints tenant des palmes vertes, Dieu le pĂšre, tout Ă©clatant de majestĂ©, et qui d’un signe faisait descendre vers la terre des anges aux ailes de flammes, pour l’emporter dans leurs bras. »

Il continue :

« Cette vision splendide demeura dans sa mĂ©moire comme la chose la plus belle qu’il fut possible de rĂȘver ; si bien qu’à prĂ©sent elle 864

s’efforçait d’en ressaisir la sensation qui continuait cependant, mais d’une maniùre moins exclusive et avec une douceur aussi profonde.

Son Ăąme, courbaturĂ©e d’orgueil, se reposait enfin dans l’humilitĂ© chrĂ©tienne ; et, savourant le plaisir d’ĂȘtre faible, Emma contemplait en elle-mĂȘme la destruction de sa volontĂ©, qui devait faire aux envahissements de la grĂące une large entrĂ©e. Il existait donc Ă  la place du bonheur des fĂ©licitĂ©s plus grandes, un autre amour au-dessus de tous les amours, sans intermittences ni fin, et qui s’accroĂźtrait Ă©ternellement ! Elle entrevit, parmi les illusions de son espoir, un Ă©tat de puretĂ© flottant au-dessus de la terre, se confondant avec le ciel et oĂč elle soupira d’ĂȘtre. Elle voulut devenir une sainte. Elle acheta des chapelets ; elle porta des amulettes ; elle souhaitait avoir dans sa chambre, au chevet de sa couche, un reliquaire enchĂąssĂ© d’émeraudes, pour le baiser tous les soirs. »

VoilĂ  des sentiments religieux ! Et si vous vouliez vous arrĂȘter un instant sur la pensĂ©e principale de l’auteur, je vous demanderais de tourner la page et de lire les trois lignes suivantes 865

du deuxiÚme alinéa1 :

« Elle s’irrita contre les prescriptions du culte ; l’arrogance des Ă©crits polĂ©miques lui dĂ©plut par leur acharnement Ă  poursuivre des gens qu’elle ne connaissait pas, et des contes profanes relevĂ©s de la religion lui parurent Ă©crits dans une telle ignorance du monde, qu’ils l’écartĂšrent insensiblement des vĂ©ritĂ©s dont elle attendait la preuve. »

Voilà le langage de M. Flaubert. Maintenant, s’il vous plaüt, arrivons à une autre scùne, à la

scĂšne de l’extrĂȘme-onction. Oh ! monsieur l’avocat impĂ©rial, combien vous vous ĂȘtes trompĂ© quand, vous arrĂȘtant aux premiers mots, vous avez accusĂ© mon client de mĂȘler le sacrĂ© au profane, quand il s’est contentĂ© de traduire ces belles formules de l’extrĂȘme-onction, au moment oĂč le prĂȘtre touche tous les organes de nos sens, au moment oĂč, selon l’expression du Rituel, il dit : Per istam unctionem, et suam piissimam misericordiam, indulgeat tibi Dominus quidquid deliquisti.

1 Page 358.

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Vous avez dit : il ne faut pas toucher aux choses saintes. De quel droit travestissez-vous ces saintes paroles : « Que Dieu, dans sa sainte misĂ©ricorde, vous pardonne toutes les fautes que vous avez commises par la vue, par le goĂ»t, par l’ouĂŻe, etc. ? »

Tenez, je vais vous lire le passage incriminĂ©, et ce sera toute ma vengeance. J’ose dire ma vengeance, car l’auteur a besoin d’ĂȘtre vengĂ©.

Oui, il faut que M. Flaubert sorte d’ici, non seulement acquittĂ©, mais vengĂ© ! vous allez voir de quelles lectures il est nourri. Le passage incriminĂ© est Ă  la page 2711 du n° du 15

décembre ; il est ainsi conçu :

« Pùle comme une statue, et les yeux rouges

comme des charbons, Charles, sans pleurer, se tenait en face d’elle, au pied du lit, tandis que le prĂȘtre, appuyĂ© sur un genou, marmottait des paroles basses... »

Tout ce tableau est magnifique, et la lecture en est irrésistible ; mais tranquillisez-vous, je ne la prolongerai pas outre mesure. Voici maintenant 1 Page 536.

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l’incrimination :

« Elle tourna sa figure lentement, et parut saisie de joie Ă  voir tout Ă  coup l’étole violette, sans doute retrouvant au milieu d’un apaisement extraordinaire la voluptĂ© perdue de ses premiers Ă©lancements mystiques, avec des visions de bĂ©atitude Ă©ternelle qui commençaient.

« Le prĂȘtre se releva pour prendre le crucifix ; alors elle allongea le cou comme quelqu’un qui a soif, et, collant ses lĂšvres sur le corps de l’Homme-Dieu, elle y dĂ©posa, de toute sa force expirante, le plus grand baiser d’amour qu’elle eut jamais donnĂ©. »

L’extrĂȘme-onction n’est pas encore

commencĂ©e ; mais on me reproche ce baiser. Je n’irai pas chercher dans sainte ThĂ©rĂšse, que vous connaissez peut-ĂȘtre, mais dont le souvenir est trop Ă©loignĂ© ; je n’irai pas mĂȘme chercher dans FĂ©nelon le mysticisme de madame Guyon, ni des mysticismes plus modernes dans lesquels je trouve bien d’autres raisons. Je ne veux pas demander Ă  ces Ă©coles, que vous qualifiez de christianisme sensuel, l’explication de ce baiser ; 868

c’est Ă  Bossuet, Ă  Bossuet lui-mĂȘme que je veux la demander :

« ObĂ©issez et tĂąchez au reste d’entrer dans les dispositions de JĂ©sus en communiant, qui sont des dispositions d’union, de jouissance et d’amour : tout l’Évangile le crie. JĂ©sus veut qu’on soit avec lui ; il veut jouir, il veut qu’on jouisse de lui. Sa sainte chair est le milieu de cette union et de cette chaste jouissance : il se donne. » Etc.

Je reprends la lecture du passage incriminé :

« Ensuite il rĂ©cita le Misereatur et l’ Indulgentiam, trempa son pouce droit dans l’huile et commença les onctions : d’abord sur les yeux, qui avaient tant convoitĂ© les somptuositĂ©s terrestres ; puis sur les narines, friandes de brises tiĂšdes et de senteurs amoureuses ; puis sur la bouche, qui s’était ouverte pour le mensonge, qui avait gĂ©mi d’orgueil et criĂ© dans la luxure ; puis sur les mains, qui se dĂ©lectaient aux contacts suaves, et enfin sur la plante des pieds, si rapides autrefois quand elle courait Ă  l’assouvissance de ses dĂ©sirs, et qui maintenant ne marcheraient 869

plus.

« Le curĂ© s’essuya les doigts, jeta dans le feu les brins de coton trempĂ©s d’huile, et revint s’asseoir prĂšs de la moribonde pour lui dire qu’à prĂ©sent elle devait joindre ses souffrances Ă  celles de JĂ©sus-Christ, et s’abandonner Ă  la misĂ©ricorde divine.

« En faisant ses exhortations. il essaya de lui mettre dans la main un cierge bĂ©ni, symbole des gloires cĂ©lestes dont elle allait ĂȘtre tout Ă  l’heure environnĂ©e. Mais Emma, trop faible, ne put fermer les doigts, et le cierge, sans M.

Bournisien, serait tombé par terre.

« Cependant elle n’était plus aussi pĂąle, et son visage avait une expression de sĂ©rĂ©nitĂ©, comme si le sacrement l’eĂ»t guĂ©rie.

« Le prĂȘtre ne manqua point d’en faire l’observation ; et il expliqua mĂȘme Ă  Bovary que le Seigneur, quelquefois, prolongeait l’existence des personnes lorsqu’il le jugeait convenable pour leur salut. Et Charles se rappela un jour, oĂč ainsi, prĂšs de mourir, elle avait reçu la communion, il ne fallait peut-ĂȘtre pas se 870

désespérer, pensait-il. »

Maintenant, quand une femme meurt, et que le prĂȘtre va lui donner l’extrĂȘme-onction ; quand on fait de cela une scĂšne mystique et que nous traduisons avec une fidĂ©litĂ© scrupuleuse les paroles sacramentelles, on dit que nous touchons aux choses saintes. Nous avons portĂ© une main tĂ©mĂ©raire aux choses saintes, parce que au deliquisti per oculos, per os, per aurem, per manus et per pedes, nous avons ajoutĂ© le pĂ©chĂ© que chacun de ces organes avait commis. Nous ne sommes pas les premiers qui ayons marchĂ© dans cette voie. M. Sainte-Beuve, dans un livre que vous connaissez, met aussi une scĂšne d’extrĂȘme-onction, et voici comment il s’exprime :

Are sens