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« Oh ! oui donc, Ă  ces yeux d’abord, comme

au plus noble et au plus vif des sens ; Ă  ces yeux, pour ce qu’ils ont vu, regardĂ© de tendre, de trop perfide en d’autres yeux, de trop mortel ; pour ce qu’ils ont lu et relu d’attachant et de trop chĂ©ri ; pour ce qu’ils ont versĂ© de vaines larmes sur les biens fragiles et sur les crĂ©atures infidĂšles ; pour 871

le sommeil qu’ils ont tant de fois oubliĂ©, le soir en y songeant !

« À l’ouĂŻe aussi, pour ce qu’elle a entendu et s’est laissĂ© dire de trop doux, de trop flatteur et enivrant ; pour ce son que l’oreille dĂ©robe lentement aux paroles trompeuses ; pour ce qu’elle y boit de miel cachĂ© !

« À cet odorat ensuite, pour les trop subtils et voluptueux parfums des soirs de printemps au fond des bois, pour les fleurs reçues le matin et tous les jours, respirĂ©es avec tant de complaisance !

« Aux lĂšvres, pour ce qu’elles ont prononcĂ© de trop confus ou de trop avouĂ© ; pour ce qu’elles n’ont pas rĂ©pliquĂ© en certains moments ou ce qu’elles n’ont pas rĂ©vĂ©lĂ© Ă  certaines personnes, pour ce qu’elles ont chantĂ© dans la solitude de trop mĂ©lodieux et de trop plein de larmes ; pour leur murmure inarticulĂ©, pour leur silence !

« Au cou au lieu de la poitrine, pour l’ardeur du dĂ©sir selon l’expression consacrĂ©e (propter ardorem libidinis) ; oui, pour la douleur des affections, des rivalitĂ©s, pour le trop d’angoisse 872

des humaines tendresses, pour les larmes qui suffoquent un gosier sans voix, pour tout ce qui fait battre un cƓur ou ce qui le ronge !

« Aux mains aussi, pour avoir serrĂ© une main qui n’était pas saintement liĂ©e ; pour avoir reçu des pleurs trop brĂ»lants ; pour avoir peut-ĂȘtre commencĂ© d’écrire, sans l’achever, quelque rĂ©ponse non permise !

« Aux pieds, pour n’avoir pas fui, pour avoir suffi aux longues promenades solitaires, pour ne pas s’ĂȘtre lassĂ©s assez tĂŽt au milieu des entretiens qui sans cesse recommençaient ! »

Vous n’avez pas poursuivi cela. VoilĂ  deux hommes qui, chacun dans leur sphĂšre, ont pris la mĂȘme chose, et qui ont, Ă  chacun des sens, ajoutĂ© le pĂ©chĂ©, la faute. Est-ce que vous auriez voulu leur interdire de traduire la formule du rituel : Quidquid deliquisti per oculos, per aurem, etc. ?

M. Flaubert a fait ce qu’a fait M. Sainte-Beuve, sans pour cela ĂȘtre un plagiaire. Il a usĂ© du droit, qui appartient Ă  tout Ă©crivain, d’ajouter Ă  ce qu’a dit un autre Ă©crivain, de complĂ©ter un sujet. La derniĂšre scĂšne du roman de Madame

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Bovarya Ă©tĂ© faite comme toute l’étude de ce type, avec les documents religieux. M. Flaubert a fait la scĂšne de l’extrĂȘme-onction avec un livre que lui avait prĂȘtĂ© un vĂ©nĂ©rable ecclĂ©siastique de ses amis, qui a lu cette scĂšne, qui en a Ă©tĂ© touchĂ© jusqu’aux larmes, et qui n’a pas imaginĂ© que la majestĂ© de la religion pĂ»t en ĂȘtre offensĂ©e. Ce livre est intitulĂ© : Explication historique, dogmatique, morale, liturgique et canonique du catĂ©chisme, avec la rĂ©ponse aux objections tirĂ©es des sciences contre la religion, par M. l’AbbĂ© Ambroise Guillois, curĂ© de Notre-Dame-du-PrĂ©, au Mans, 6e Ă©dition, etc., ouvrage approuvĂ© par son Éminence le cardinal Gousset, NN. SS. les ÉvĂȘques et ArchevĂȘques du Mans, de Tours, de Bordeaux, de Cologne, etc., tome 3e, imprimĂ© au Mans par Charles Monnoyer, 1851. Or, vous allez voir dans ce livre, comme vous avez vu tout Ă  l’heure dans Bossuet, les principes et en quelque sorte le texte des passages qu’incrimine M. l’avocat impĂ©rial. Ce n’est plus maintenant M.

Sainte-Beuve, un artiste, un fantaisiste littĂ©raire que je cite ; Ă©coutez l’Église elle-mĂȘme.

« L’extrĂȘme-onction peut rendre la santĂ© du 874

corps si elle est utile pour la gloire de Dieu... » et le prĂȘtre dit que cela arrive souvent. Maintenant voici l’extrĂȘme-onction :

« Le prĂȘtre adresse au malade une courte exhortation, s’il est en Ă©tat de l’entendre, pour le disposer Ă  recevoir dignement le sacrement qu’il va lui administrer.

« Le prĂȘtre fait ensuite les onctions sur le malade avec le stylet, ou l’extrĂ©mitĂ© du pouce droit qu’il trempe chaque fois dans l’huile des infirmes. Ces onctions doivent ĂȘtre faites surtout aux cinq parties du corps que la nature a donnĂ©es Ă  l’homme comme les organes des sensations, savoir : aux yeux, aux oreilles, aux narines, Ă  la bouche et aux mains.

« À mesure que le prĂȘtre fait les onctions (nous avons suivi de point en point le Rituel, nous l’avons copiĂ©), il prononce les paroles qui y rĂ©pondent.

« Aux yeux, sur la paupiÚre fermée : Par cette onction sainte et par sa pieuse miséricorde, que Dieu vous pardonne tous les péchés que vous avez commis par la vue. Le malade doit, dans ce 875

moment, dĂ©tester de nouveau tous les pĂ©chĂ©s qu’il a commis par la vue : tant de regards indiscrets, tant de curiositĂ©s criminelles, tant de lectures qui ont fait naĂźtre en lui une foule de pensĂ©es contraires Ă  la foi et aux mƓurs. »

Qu’a fait M. Flaubert ? Il a mis dans la bouche du prĂȘtre, en rĂ©unissant les deux parties, ce qui doit ĂȘtre dans sa pensĂ©e et en mĂȘme temps dans la pensĂ©e du malade. Il a copiĂ© purement et simplement.

« Aux oreilles : Par cette onction sainte et par sa pieuse misĂ©ricorde, que Dieu vous pardonne tous les pĂ©chĂ©s que vous avez commis par le sens de l’ouĂŻe. Le malade doit, dans ce moment, dĂ©tester de nouveau toutes les fautes dont il s’est rendu coupable en Ă©coutant avec plaisir des mĂ©disances, des calomnies, des propos dĂ©shonnĂȘtes, des chansons obscĂšnes. »

« Aux narines : Par cette onction sainte et par sa grande misĂ©ricorde, que le Seigneur vous pardonne tous les pĂ©chĂ©s que vous avez commis par l’odorat. Dans ce moment, le malade doit dĂ©tester de nouveau tous les pĂ©chĂ©s qu’il a 876

commis par l’odorat, toutes les recherches raffinĂ©es et voluptueuses des parfums, toutes les sensualitĂ©s, tout ce qu’il a respirĂ© des odeurs de l’iniquitĂ©.

« À la bouche, sur les lĂšvres : Par cette onction sainte et par sa grande misĂ©ricorde, que le Seigneur vous pardonne tous les pĂ©chĂ©s que vous avez commis par le sens du goĂ»t et par la parole.

Le malade doit, dans ce moment, dĂ©tester de nouveau tous les pĂ©chĂ©s qu’il a commis, en profĂ©rant des jurements et des blasphĂšmes..., en faisant des excĂšs dans le boire et dans le manger...

« Sur les mains : Par cette onction sainte et par sa grande misĂ©ricorde, que le Seigneur vous pardonne tous les pĂ©chĂ©s que vous avez commis par le sens du toucher. Le malade doit, dans ce moment, dĂ©tester de nouveau tous les larcins, toutes les injustices dont il a pu se rendre coupable, toutes les libertĂ©s plus ou moins criminelles qu’il s’est permises... Les prĂȘtres reçoivent l’onction des mains en dehors, parce qu’ils l’ont dĂ©jĂ  reçue en dedans au moment de 877

leur ordination, et les autres malades en dedans.

« Sur les pieds : Par cette onction sainte et par sa grande misĂ©ricorde, que Dieu vous pardonne tous les pĂ©chĂ©s que vous avez commis par vos dĂ©marches. Le malade doit, dans ce moment, dĂ©tester de nouveau tous les pas qu’il a faits dans les voies de l’iniquitĂ©, tant de promenades scandaleuses, tant d’entrevues criminelles...

L’onction des pieds se fait sur le dessus ou sous la plante, selon la commoditĂ© du malade, et aussi selon l’usage du diocĂšse oĂč l’on se trouve. La pratique la plus commune semble ĂȘtre de la faire Ă  la plante des pieds. »

Et enfin Ă  la poitrine (M. Sainte-Beuve a copiĂ©, nous ne l’avons pas fait parce qu’il s’agissait de la poitrine d’une femme). Propter ardorem libidinis, etc.

« À la poitrine : Par cette onction sainte et par sa grande misĂ©ricorde, que le Seigneur vous pardonne tous les pĂ©chĂ©s que vous avez commis par l’ardeur des passions. Le malade doit, en ce moment, dĂ©tester de nouveau toutes les mauvaises pensĂ©es, tous les mauvais dĂ©sirs 878

auxquels il s’est abandonnĂ©, tous les sentiments de haine, de vengeance qu’il a nourris dans son cƓur. »

Et nous pourrions, d’aprĂšs le Rituel, parler d’autre chose encore que de la poitrine, mais Dieu sait quelle sainte colĂšre nous aurions excitĂ©e chez le ministĂšre public, si nous avions parlĂ© des reins :

« Aux reins (ad lumbos) : Par cette sainte onction, et par sa grande miséricorde, que le Seigneur vous pardonne tous les péchés que vous avez commis par les mouvements déréglés de la chair. »

Si nous avions dit cela, de quelle foudre n’auriez-vous pas tentĂ© de nous accabler, monsieur l’avocat impĂ©rial ! et cependant le Rituel ajoute :

« Le malade doit, dans ce moment détester de nouveau tant de plaisirs illicites, tant de délectations charnelles... »

VoilĂ  le Rituel, et vous y avez vu l’article incriminĂ© ; il n’y a pas une raillerie, tout y est 879

sĂ©rieux et Ă©mouvant. Et je vous le rĂ©pĂšte, celui qui a donnĂ© Ă  mon client ce livre, et qui a vu mon client en faire l’usage qu’il en a fait, lui a serrĂ© la main avec des larmes. Vous voyez donc, monsieur l’avocat impĂ©rial, combien est tĂ©mĂ©raire – pour ne pas me servir d’une expression qui, pour ĂȘtre exacte, serait plus sĂ©vĂšre – l’accusation que nous avions touchĂ© aux choses saintes. Vous voyez maintenant que nous n’avons pas mĂȘlĂ© le profane au sacrĂ©, quand, Ă  chacun des sens, nous avons indiquĂ© le pĂ©chĂ© commis par ce sens, puisque c’est le langage de l’Église elle-mĂȘme.

Insisterai-je maintenant sur les autres dĂ©tails du dĂ©lit d’outrage Ă  la religion ? VoilĂ  que le ministĂšre public me dit : « Ce n’est plus la religion, c’est la morale de tous les temps que vous avez outragĂ©e ; vous avez insultĂ© la mort ! »

Comment ai-je insultĂ© la mort ? Parce qu’au moment oĂč cette femme meurt, il passe dans la rue un homme que, plus d’une fois, elle avait rencontrĂ© demandant l’aumĂŽne prĂšs de la voiture dans laquelle elle revenait des rendez-vous adultĂšres, l’aveugle qu’elle avait accoutumĂ© de 880

voir, l’aveugle qui chantait sa chanson pendant que la voiture montait lentement la cĂŽte, Ă  qui elle jetait une piĂšce de monnaie, et dont l’aspect la faisait frissonner. Cet homme passe dans la rue ; et, au moment oĂč la misĂ©ricorde divine pardonne ou promet le pardon Ă  la malheureuse qui expie ainsi par une mort affreuse les fautes de sa vie, la raillerie humaine lui apparaĂźt sous la forme de la chanson qui passe sous sa fenĂȘtre.

Mon Dieu ! vous trouvez qu’il y a lĂ  un outrage ; mais M. Flaubert ne fait que ce qu’ont fait Shakespeare et GƓthe, qui, Ă  l’instant suprĂȘme de la mort, ne manquent pas de faire entendre quelque chant, soit de plainte, soit de raillerie, qui rappelle Ă  celui qui s’en va dans l’éternitĂ© quelque plaisir dont il ne jouira plus, ou quelque faute Ă  expier.

Lisons :

« En effet, elle regarda tout autour d’elle lentement, comme quelqu’un qui se rĂ©veille d’un songe ; puis, d’une voix distincte, elle demanda son miroir ; elle resta penchĂ©e dessus quelque temps jusqu’au moment oĂč de grosses larmes lui 881

dĂ©coulĂšrent des yeux. Alors elle se renversa la tĂȘte en poussant un soupir et retomba sur l’oreiller.

« Sa poitrine aussitÎt se mit à haleter rapidement. »

Je ne puis pas lire, je suis comme Lamartine :

Are sens