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Combla-t-il sur ta chair inerte et complaisante L'immensité de son désir?

Réponds, cadavre impur! et par tes tresses roides Te soulevant d'un bras fiévreux,

Dis-moi, tête effrayante, a-t-il sur tes dents froides Collé les suprêmes adieux?

- Loin du monde railleur, loin de la foule impure, Loin des magistrats curieux,

Dors en paix, dors en paix, étrange créature, Dans ton tombeau mystérieux;

Ton époux court le monde, et ta forme immortelle Veille près de lui quand il dort;

© "https://athena.unige.ch/" Baudelaire, Les Fleurs du Mal, p. 89 / 106

Autant que toi sans doute il te sera fidèle, Et constant jusques à la mort.

CXI Femmes damnées

Comme un bétail pensif sur le sable couchées, Elles tournent leurs yeux vers l'horizon des mers, Et leurs pieds se cherchent et leurs mains rapprochées Ont de douces langueurs et des frissons amers.

Les unes, cœurs épris des longues confidences, Dans le fond des bosquets où jasent les ruisseaux, Vont épelant l'amour des craintives enfances Et creusent le bois vert des jeunes arbrisseaux; D'autres, comme des sœurs, marchent lentes et graves A travers les rochers pleins d'apparitions, Où saint Antoine a vu surgir comme des laves Les seins nus et pourprés de ses tentations; Il en est, aux lueurs des résines croulantes, Qui dans le creux muet des vieux antres païens T'appellent au secours de leurs fièvres hurlantes, O Bacchus, endormeur des remords anciens!

Et d'autres, dont la gorge aime les scapulaires, Qui, recélant un fouet sous leurs longs vêtements, Mêlent, dans le bois sombre et les nuits solitaires, L'écume du plaisir aux larmes des tourments.

O vierges, ô démons, ô monstres, ô martyres, De la réalité grands esprits contempteurs, Chercheuses d'infini dévotes et satyres, Tantôt pleines de cris, tantôt pleines de pleurs, Vous que dans votre enfer mon âme a poursuivies, Pauvres sœurs, je vous aime autant que je vous plains, Pour vos mornes douleurs, vos soifs inassouvies, Et les urnes d'amour dont vos grands cœurs sont pleins.

CXII Les Deux Bonnes Soeurs

La Débauche et la Mort sont deux aimables filles,

© "https://athena.unige.ch/" Baudelaire, Les Fleurs du Mal, p. 90 / 106

Prodigues de baisers et riches de santé, Dont le flanc toujours vierge et drapé de guenilles Sous l'éternel labeur n'a jamais enfanté.

Au poète sinistre, ennemi des familles, Favori de l'enfer, courtisan mal renté, Tombeaux et lupanars montrent sous leurs charmilles Un lit que le remords n'a jamais fréquenté.

Et la bière et l'alcôve en blasphèmes fécondes Nous offrent tour à tour, comme deux bonnes sœurs, De terribles plaisirs et d'affreuses douceurs.

Quand veux-tu m'enterrer, Débauche aux bras immondes?

O Mort, quand viendras-tu, sa rivale en attraits, Sur ses myrtes infects enter tes noirs cyprès?

CXIII La Fontaine de Sang

Il me semble parfois que mon sang coule à flots, Ainsi qu'une fontaine aux rythmiques sanglots.

Je l'entends bien qui coule avec un long murmure, Mais je me tâte en vain pour trouver la blessure.

A travers la cité, comme dans un champ clos, Il s'en va, transformant les pavés en îlots, Désaltérant la soif de chaque créature, Et partout colorant en rouge la nature.

J'ai demandé souvent à des vins captieux D'endormir pour un jour la terreur qui me mine; Le vin rend l'œil plus clair et l'oreille plus fine!

J'ai cherché dans l'amour un sommeil oublieux; Mais l'amour n'est pour moi qu'un matelas d'aiguilles Fait pour donner à boire à ces cruelles filles!

CXIV Allégorie

C'est une femme belle et de riche encolure, Qui laisse dans son vin traîner sa chevelure.

Les griffes de l'amour, les poisons du tripot, Tout glisse et tout s'émousse au granit de sa peau.

© "https://athena.unige.ch/" Baudelaire, Les Fleurs du Mal, p. 91 / 106

Elle rit à la Mort et nargue la Débauche, Ces monstres dont la main, qui toujours gratte et fauche, Dans ses jeux destructeurs a pourtant respecté De ce corps ferme et droit la rude majesté.

Elle marche en déesse et repose en sultane; Elle a dans le plaisir la foi mahométane, Et dans ses bras ouverts, que remplissent ses seins, Elle appelle des yeux la race des humains.

Elle croit, elle sait, cette vierge inféconde Et pourtant nécessaire à la marche du monde, Que la beauté du corps est un sublime don Qui de toute infamie arrache le pardon.

Elle ignore l'Enfer comme le Purgatoire, Et quand l'heure viendra d'entrer dans la Nuit noire Elle regardera la face de la Mort,

Ainsi qu'un nouveau-né, - sans haine et sans remords.

CXV La Béatrice

Dans des terrains cendreux, calcinés, sans verdure, Comme je me plaignais un jour à la nature, Et que de ma pensée, en vaguant au hasard, J'aiguisais lentement sur mon cœur le poignard, Je vis en plein midi descendre sur ma tête Un nuage funèbre et gros d'une tempête, Qui portait un troupeau de démons vicieux, Semblables à des nains cruels et curieux.

A me considérer froidement ils se mirent, Et, comme des passants sur un fou qu'ils admirent, Je les entendis rire et chuchoter entre eux, En échangeant maint signe et maint clignement d'yeux:

- "Contemplons à loisir cette caricature Et cette ombre d'Hamlet imitant sa posture, Le regard indécis et les cheveux au vent.

N'est-ce pas grand'pitié de voir ce bon vivant, Ce gueux, cet histrion en vacances, ce drôle, Parce qu'il sait jouer artistement son rôle, Vouloir intéresser au chant de ses douleurs Les aigles, les grillons, les ruisseaux et les fleurs, Et même à nous, auteurs de ces vieilles rubriques, Réciter en hurlant ses tirades publiques?"

J'aurais pu (mon orgueil aussi haut que les monts

© "https://athena.unige.ch/" Baudelaire, Les Fleurs du Mal, p. 92 / 106

Domine la nuée et le cri des démons) Détourner simplement ma tête souveraine, Si je n'eusse pas vu parmi leur troupe obscène, Crime qui n'a pas fait chanceler le soleil!

La reine de mon cœur au regard nonpareil Qui riait avec eux de ma sombre détresse Et leur versait parfois quelque sale caresse.

CXVI Un Voyage à Cythère

Mon coeur, comme un oiseau, voltigeait tout joyeux Et planait librement à l'entour des cordages; Le navire roulait sous un ciel sans nuages; Comme un ange enivré d'un soleil radieux.

Quelle est cette île triste et noire? - C'est Cythère, Nous dit-on, un pays fameux dans les chansons Eldorado banal de tous les vieux garçons.

Regardez, après tout, c'est une pauvre terre.

- Ile des doux secrets et des fêtes du cœur!

Are sens