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Des quais froids de la Seine aux bords brûlants du Gange, Le troupeau mortel saute et se pâme, sans voir Dans un trou du plafond la trompette de l'Ange Sinistrement béante ainsi qu'un tromblon noir.

En tout climat, sous tout soleil, la Mort t'admire En tes contorsions, risible Humanité Et souvent, comme toi, se parfumant de myrrhe, Mêle son ironie à ton insanité!"

XCVIII L'Amour du Mensonge

Quand je te vois passer, ô ma chère indolente, Au chant des instruments qui se brise au plafond Suspendant ton allure harmonieuse et lente, Et promenant l'ennui de ton regard profond;

© "https://athena.unige.ch/" Baudelaire, Les Fleurs du Mal, p. 78 / 106

Quand je contemple, aux feux du gaz qui le colore, Ton front pâle, embelli par un morbide attrait, Où les torches du soir allument une aurore, Et tes yeux attirants comme ceux d'un portrait, Je me dis: Qu'elle est belle! et bizarrement fraîche!

Le souvenir massif, royale et lourde tour, La couronne, et son cœur, meurtri comme une pêche, Est mûr, comme son corps, pour le savant amour.

Es-tu le fruit d'automne aux saveurs souveraines?

Es-tu vase funèbre attendant quelques pleurs, Parfum qui fait rêver aux oasis lointaines, Oreiller caressant, ou corbeille de fleurs?

Je sais qu'il est des yeux, des plus mélancoliques, Qui ne recèlent point de secrets précieux; Beaux écrins sans joyaux, médaillons sans reliques, Plus vides, plus profonds que vous-mêmes, ô Cieux!

Mais ne suffit-il pas que tu sois l'apparence, Pour réjouir un cœur qui fuit la vérité?

Qu'importe ta bêtise ou ton indifférence?

Masque ou décor. salut! T'adore ta beauté.

XCIX

Je n'ai pas oublié, voisine de la ville, Notre blanche maison, petite mais tranquille; Sa Pomone de plâtre et sa vieille Vénus Dans un bosquet chétif cachant leurs membres nus, Et le soleil, le soir, ruisselant et superbe, Qui, derrière la vitre où se brisait sa gerbe Semblait, grand œil ouvert dans le ciel curieux, Contempler nos dîners longs et silencieux, Répandant largement ses beaux reflets de cierge Sur la nappe frugale et les rideaux de serge.

C

La servante au grand cœur dont vous étiez jalouse, Et qui dort son sommeil sous une humble pelouse, Nous devrions pourtant lui porter quelques fleurs.

© "https://athena.unige.ch/" Baudelaire, Les Fleurs du Mal, p. 79 / 106

Les morts, les pauvres morts, ont de grandes douleurs, Et quand Octobre souffle, émondeur des vieux arbres, Son vent mélancolique à l'entour de leurs marbres, Certe, ils doivent trouver les vivants bien ingrats, A dormir, comme ils font, chaudement dans leurs draps, Tandis que, dévorés de noires songeries, Sans compagnon de lit, sans bonnes causeries, Vieux squelettes gelés travaillés par le ver, Ils sentent s'égoutter les neiges de l'hiver Et le siècle couler, sans qu'amis ni famille Remplacent les lambeaux qui pendent à leur grille.

Lorsque la bûche siffle et chante, si le soir Calme, dans le fauteuil je la voyais s'asseoir, Si, par une nuit bleue et froide de décembre, Je la trouvais tapie en un coin de ma chambre, Grave, et venant du fond de son lit éternel Couver l'enfant grandi de son œil maternel, Que pourrais-je répondre à cette âme pieuse, Voyant tomber des pleurs de sa paupière creuse?

CI Brumes et Pluies

O fins d'automne, hivers, printemps trempés de boue, Endormeuses saisons! je vous aime et vous loue D'envelopper ainsi mon cœur et mon cerveau D'un linceul vaporeux et d'un vague tombeau.

Dans cette grande plaine où l'autan froid se joue, Où par les longues nuits la girouette s'enroue, Mon âme mieux qu'au temps du tiède renouveau Ouvrira largement ses ailes de corbeau.

Rien n'est plus doux au cœur plein de choses funèbres, Et sur qui dès longtemps descendent les frimas, O blafardes saisons, reines de nos climats, Que l'aspect permanent de vos pâles ténèbres,

- Si ce n'est, par un soir sans lune, deux à deux, D'endormir la douleur sur un lit hasardeux.

CII Rêve parisien

A Constantin Guys

© "https://athena.unige.ch/" Baudelaire, Les Fleurs du Mal, p. 80 / 106

I

De ce terrible paysage,

Tel que jamais mortel n'en vit,

Ce matin encore l'image,

Vague et lointaine, me ravit.

Le sommeil est plein de miracles!

Par un caprice singulier

J'avais banni de ces spectacles

Le végétal irrégulier,

Et, peintre fier de mon génie,

Je savourais dans mon tableau

L'enivrante monotonie

Are sens

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