Du métal, du marbre et de l'eau.
Babel d'escaliers et d'arcades,
C'était un palais infini
Plein de bassins et de cascades
Tombant dans l'or mat ou bruni;
Et des cataractes pesantes,
Comme des rideaux de cristal
Se suspendaient, éblouissantes,
A des murailles de métal.
Non d'arbres, mais de colonnades
Les étangs dormants s'entouraient
Où de gigantesques naïades,
Comme des femmes, se miraient.
Des nappes d'eau s'épanchaient, bleues, Entre des quais roses et verts,
Pendant des millions de lieues,
Vers les confins de l'univers:
C'étaient des pierres inouïes
Et des flots magiques, c'étaient
D'immenses glaces éblouies
Par tout ce qu'elles reflétaient!
Insouciants et taciturnes,
Des Ganges, dans le firmament,
© "https://athena.unige.ch/" Baudelaire, Les Fleurs du Mal, p. 81 / 106
Versaient le trésor de leurs urnes Dans des gouffres de diamant.
Architecte de mes féeries,
Je faisais, à ma volonté,
Sous un tunnel de pierreries
Passer un océan dompté;
Et tout, même la couleur noire,
Semblait fourbi, clair, irisé;
Le liquide enchâssait sa gloire
Dans le rayon cristallisé.
Nul astre d'ailleurs, nuls vestiges
De soleil, même au bas du ciel,
Pour illuminer ces prodiges,
Qui brillaient d'un feu personnel!
Et sur ces mouvantes merveilles
Planait (terrible nouveauté!
Tout pour l'œil, rien pour les oreilles!) Un silence d'éternité.
II