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De l'antique Vénus le superbe fantôme Au-dessus de tes mers plane comme un arôme Et charge les esprits d'amour et de langueur.

Belle île aux myrtes verts, pleine de fleurs écloses, Vénérée à jamais par toute nation,

Où les soupirs des coeurs en adoration Roulent comme l'encens sur un jardin de roses Ou le roucoulement éternel d'un ramier!

- Cythère n'était plus qu'un terrain des plus maigres, Un désert rocailleux troublé par des cris aigres.

J'entrevoyais pourtant un objet singulier!

Ce n'était pas un temple aux ombres bocagères, Où la jeune prêtresse, amoureuse des fleurs, Allait, le corps brûlé de secrètes chaleurs, Entre-bâillant sa robe aux brises passagères; Mais voilà qu'en rasant la côte d'assez près Pour troubler les oiseaux avec nos voiles blanches, Nous vîmes que c'était un gibet à trois branches, Du ciel se détachant en noir, comme un cyprès.

© "https://athena.unige.ch/" Baudelaire, Les Fleurs du Mal, p. 93 / 106

De féroces oiseaux perchés sur leur pâture Détruisaient avec rage un pendu déjà mûr, Chacun plantant, comme un outil, son bec impur Dans tous les coins saignants de cette pourriture; Les yeux étaient deux trous, et du ventre effondré Les intestins pesants lui coulaient sur les cuisses, Et ses bourreaux, gorgés de hideuses délices, L'avaient à coups de bec absolument châtré.

Sous les pieds, un troupeau de jaloux quadrupèdes, Le museau relevé, tournoyait et rôdait; Une plus grande bête au milieu s'agitait Comme un exécuteur entouré de ses aides.

Habitant de Cythère, enfant d'un ciel si beau, Silencieusement tu souffrais ces insultes En expiation de tes infâmes cultes

Et des péchés qui t'ont interdit le tombeau.

Ridicule pendu, tes douleurs sont les miennes!

Je sentis, à l'aspect de tes membres flottants, Comme un vomissement, remonter vers mes dents Le long fleuve de fiel des douleurs anciennes; Devant toi, pauvre diable au souvenir si cher, J'ai senti tous les becs et toutes les mâchoires Des corbeaux lancinants et des panthères noires Qui jadis aimaient tant à triturer ma chair.

- Le ciel était charmant, la mer était unie; Pour moi tout était noir et sanglant désormais, Hélas! et j'avais, comme en un suaire épais, Le cœur enseveli dans cette allégorie.

Dans ton île, ô Vénus! je n'ai trouvé debout Qu'un gibet symbolique où pendait mon image...

- Ah! Seigneur! donnez-moi la force et le courage De contempler mon cœur et mon corps sans dégoût!

CXVII L'Amour et le Crâne

Vieux cul-de-lampe

© "https://athena.unige.ch/" Baudelaire, Les Fleurs du Mal, p. 94 / 106

L'Amour est assis sur le crâne

De l'Humanité,

Et sur ce trône le profane,

Au rire effronté,

Souffle gaiement des bulles rondes

Qui montent dans l'air,

Comme pour rejoindre les mondes

Au fond de l'éther.

Le globe lumineux et frêle

Prend un grand essor,

Crève et crache son âme grêle

Comme un songe d'or.

J'entends le crâne à chaque bulle

Prier et gémir:

- "Ce jeu féroce et ridicule,

Quand doit-il finir?

Car ce que ta bouche cruelle

Eparpille en l'air,

Monstre assassin, c'est ma cervelle, Mon sang et ma chair!"

REVOLTE

CXVIII Le Reniement de Saint Pierre Qu'est-ce que Dieu fait donc de ce flot d'anathèmes Qui monte tous les jours vers ses chers Séraphins?

Comme un tyran gorgé de viande et de vins, Il s'endort au doux bruit de nos affreux blasphèmes.

Les sanglots des martyrs et des suppliciés Sont une symphonie enivrante sans doute, Puisque, malgré le sang que leur volupté coûte, Les cieux ne s'en sont point encore rassasiés!

- Ah! Jésus, souviens-toi du Jardin des Olives!

Dans ta simplicité tu priais à genoux Celui qui dans son ciel riait au bruit des clous

© "https://athena.unige.ch/" Baudelaire, Les Fleurs du Mal, p. 95 / 106

Que d'ignobles bourreaux plantaient dans tes chairs vives, Lorsque tu vis cracher sur ta divinité La crapule du corps de garde et des cuisines, Et lorsque tu sentis s'enfoncer les épines Dans ton crâne où vivait l'immense Humanité; Quand de ton corps brisé la pesanteur horrible Allongeait tes deux bras distendus, que ton sang Et ta sueur coulaient de ton front pâlissant, Quand tu fus devant tous posé comme une cible, Rêvais-tu de ces jours si brillants et si beaux Où tu vins pour remplir l'éternelle promesse, Où tu foulais, monté sur une douce ânesse, Des chemins tout jonchés de fleurs et de rameaux, Où, le cœur tout gonflé d'espoir et de vaillance, Tu fouettais tous ces vils marchands à tour de bras, Où tu fus maître enfin? Le remords n'a-t-il pas Pénétré dans ton flanc plus avant que la lance?

- Certes, je sortirai, quant à moi, satisfait D'un monde où l'action n'est pas la sœur du rêve; Puissé-je user du glaive et périr par le glaive!

Saint Pierre a renié Jésus... il a bien fait!

CXIX Abel et Caïn

I

Are sens