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– Ni vous à ma demande ! s’écria l’abbé.

Soyez donc maudit comme les autres insensés qui n’ont pas voulu me croire ! Vous ne voulez pas de mon or, je le garderai ; vous me refusez la liberté, Dieu me l’enverra. Allez, je n’ai plus rien à dire. »

Et l’abbé, rejetant sa couverture, ramassa son morceau de plâtre, et alla s’asseoir de nouveau au milieu de son cercle, où il continua ses lignes et ses calculs.

« Que fait-il là ? dit l’inspecteur en se retirant.

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– Il compte ses trésors », reprit le gouverneur.

Faria répondit à ce sarcasme par un coup d’œil empreint du plus suprême mépris.

Ils sortirent. Le geôlier ferma la porte derrière eux.

« Il aura, en effet, possédé quelques trésors, dit l’inspecteur en remontant l’escalier.

– Ou il aura rêvé qu’il les possédait, répondit le gouverneur, et le lendemain il se sera réveillé fou.

– En effet, dit l’inspecteur avec la naïveté de la corruption ; s’il eût été réellement riche, il ne serait pas en prison. »

Ainsi finit l’aventure pour l’abbé Faria. Il demeura prisonnier, et, à la suite de cette visite, sa réputation de fou réjouissant s’augmenta encore.

Caligula ou Néron, ces grands chercheurs de trésors, ces désireurs de l’impossible, eussent prêté l’oreille aux paroles de ce pauvre homme et lui eussent accordé l’air qu’il désirait, l’espace qu’il estimait à un si haut prix, et la liberté qu’il 309

offrait de payer si cher. Mais les rois de nos jours, maintenus dans la limite du probable, n’ont plus l’audace de la volonté ; ils craignent l’oreille qui écoute les ordres qu’ils donnent, l’œil qui scrute leurs actions ; ils ne sentent plus la supériorité de leur essence divine ; ils sont des hommes couronnés, voilà tout. Jadis, ils se croyaient, ou du moins se disaient fils de Jupiter, et retenaient quelque chose des façons du dieu leur père : on ne contrôle pas facilement ce qui se passe au-delà des nuages ; aujourd’hui, les rois se laissent aisément rejoindre. Or, comme il a toujours répugné au gouvernement despotique de montrer au grand jour les effets de la prison et de la torture ; comme il y a peu d’exemples qu’une victime des inquisitions ait pu reparaître avec ses os broyés et ses plaies saignantes, de même la folie, cet ulcère né dans la fange des cachots à la suite des tortures morales, se cache presque toujours avec soin dans le lieu où elle est née, ou, si elle en sort, elle va s’ensevelir dans quelque hôpital sombre, où les médecins ne reconnaissent ni l’homme ni la pensée dans le débris informe que leur transmet le geôlier fatigué.

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L’abbé Faria, devenu fou en prison, était condamné, par sa folie même, à une prison perpétuelle.

Quant à Dantès, l’inspecteur lui tint parole. En remontant chez le gouverneur, il se fit présenter le registre d’écrou. La note concernant le prisonnier était ainsi conçue :

Bonapartiste enragé : a pris une partactive au retour de l’île d’Elbe.

EDMOND DANTÈS.

À tenir au plus grand secret et sous la plusstricte surveillance.

Cette note était d’une autre écriture et d’une encre différente que le reste du registre, ce qui prouvait qu’elle avait été ajoutée depuis l’incarcération de Dantès.

L’accusation était trop positive pour essayer de la combattre. L’inspecteur écrivit donc au-dessous de l’accolade :

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« Rien à faire. »

Cette visite avait, pour ainsi dire, ravivé Dantès depuis qu’il était entré en prison, il avait oublié de compter les jours, mais l’inspecteur lui avait donné une nouvelle date et Dantès ne l’avait pas oubliée. Derrière lui, il écrivit sur le mur, avec un morceau de plâtre détaché de son plafond, 30 juillet 1816, et, à partir de ce moment, il fit un cran chaque jour pour que la mesure du temps ne lui échappât plus.

Les jours s’écoulèrent, puis les semaines, puis les mois : Dantès attendait toujours, il avait commencé par fixer à sa liberté un terme de quinze jours. En mettant à suivre son affaire la moitié de l’intérêt qu’il avait paru éprouver, l’inspecteur devait avoir assez de quinze jours.

Ces quinze jours écoulés, il se dit qu’il était absurde à lui de croire que l’inspecteur se serait occupé de lui avant son retour à Paris ; or, son retour à Paris ne pouvait avoir lieu que lorsque sa tournée serait finie, et sa tournée pouvait durer un mois ou deux ; il se donna donc trois mois au lieu de quinze jours. Les trois mois écoulés, un autre 312

raisonnement vint à son aide, qui fit qu’il s’accorda six mois, mais ces six mois écoulés, en mettant les jours au bout les uns des autres, il se trouvait qu’il avait attendu dix mois et demi.

Pendant ces dix mois, rien n’avait été changé au régime de sa prison ; aucune nouvelle consolante ne lui était parvenue ; le geôlier interrogé était muet, comme d’habitude. Dantès commença à douter de ses sens, à croire que ce qu’il prenait pour un souvenir de sa mémoire n’était rien autre chose qu’une hallucination de son cerveau, et que cet ange consolateur qui était apparu dans sa prison y était descendu sur l’aile d’un rêve.

Au bout d’un an, le gouverneur fut changé, il avait obtenu la direction du fort de Ham ; il emmena avec lui plusieurs de ses subordonnés et, entre autres, le geôlier de Dantès. Un nouveau gouverneur arriva ; il eût été trop long pour lui d’apprendre les noms de ses prisonniers, il se fit représenter seulement leurs numéros. Cet horrible hôtel garni se composait de cinquante chambres ; leurs habitants furent appelés du numéro de la chambre qu’ils occupaient, et le malheureux jeune homme cessa de s’appeler de son prénom 313

d’Edmond ou de son nom de Dantès, il s’appela le n° 34.

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Le numéro 34 et le numéro 27

Dantès passa tous les degrés du malheur que subissent les prisonniers oubliés dans une prison.

Il commença par l’orgueil, qui est une suite de l’espoir et une conscience de l’innocence ; puis il en vint à douter de son innocence, ce qui ne justifiait pas mal les idées du gouverneur sur l’aliénation mentale ; enfin il tomba du haut de son orgueil, il pria, non pas encore Dieu, mais les hommes ; Dieu est le dernier recours. Le malheureux, qui devrait commencer par le Seigneur, n’en arrive à espérer en lui qu’après avoir épuisé toutes les autres espérances.

Dantès pria donc qu’on voulût bien le tirer de son cachot pour le mettre dans un autre, fût-il plus noir et plus profond. Un changement, même désavantageux, était toujours un changement, et 315

procurerait à Dantès une distraction de quelques jours. Il pria qu’on lui accordât la promenade, l’air, des livres, des instruments. Rien de tout cela ne lui fut accordé ; mais n’importe, il demandait toujours. Il s’était habitué à parler à son nouveau geôlier, quoiqu’il fût encore, s’il était possible, plus muet que l’ancien ; mais parler à un homme, même à un muet, était encore un plaisir. Dantès parlait pour entendre le son de sa propre voix : il avait essayé de parler lorsqu’il était seul, mais alors il se faisait peur.

Souvent, du temps qu’il était en liberté, Dantès s’était fait un épouvantail de ces chambrées de prisonniers, composées de vagabonds, de bandits et d’assassins, dont la joie ignoble met en commun des orgies inintelligibles et des amitiés effrayantes. Il en vint à souhaiter d’être jeté dans quelqu’un de ces bouges, afin de voir d’autres visages que celui de ce geôlier impassible qui ne voulait point parler ; il regrettait le bagne avec son costume infamant, sa chaîne au pied, sa flétrissure sur l’épaule. Au moins, les galériens étaient dans la société de leurs semblables, ils respiraient l’air, ils voyaient le ciel ; les galériens 316

étaient bien heureux.

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