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– Voyons, dit Dantùs, que m’apprenez-vous d’abord ? J’ai hñte de commencer, j’ai soif de science.

– Tout ! » dit l’abbĂ©.

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En effet, dĂšs le soir, les deux prisonniers arrĂȘtĂšrent un plan d’éducation qui commença de s’exĂ©cuter le lendemain. DantĂšs avait une mĂ©moire prodigieuse, une facilitĂ© de conception extrĂȘme : la disposition mathĂ©matique de son esprit le rendait apte Ă  tout comprendre par le calcul, tandis que la poĂ©sie du marin corrigeait tout ce que pouvait avoir de trop matĂ©riel la dĂ©monstration rĂ©duite Ă  la sĂ©cheresse des chiffres ou Ă  la rectitude des lignes ; il savait dĂ©jĂ , d’ailleurs, l’italien et un peu de romaĂŻque, qu’il avait appris dans ses voyages d’Orient. Avec ces deux langues, il comprit bientĂŽt le mĂ©canisme de toutes les autres, et, au bout de six mois, il commençait Ă  parler l’espagnol, l’anglais et l’allemand.

Comme il l’avait dit Ă  l’abbĂ© Faria, soit que la distraction que lui donnait l’étude lui tĂźnt lieu de libertĂ©, soit qu’il fĂ»t, comme nous l’avons vu dĂ©jĂ , rigide observateur de sa parole, il ne parlait plus de fuir, et les journĂ©es s’écoulaient pour lui rapides et instructives. Au bout d’un an, c’était un autre homme.

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Quant Ă  l’abbĂ© Faria, DantĂšs remarqua que, malgrĂ© la distraction que sa prĂ©sence avait apportĂ©e Ă  sa captivitĂ©, il s’assombrissait tous les jours. Une pensĂ©e incessante et Ă©ternelle paraissait assiĂ©ger son esprit ; il tombait dans de profondes rĂȘveries, soupirait involontairement, se levait tout Ă  coup, croisait les bras et se promenait sombre autour de sa prison.

Un jour, il s’arrĂȘta tout Ă  coup au milieu d’un de ces cercles cent fois rĂ©pĂ©tĂ©s qu’il dĂ©crivait autour de sa chambre, et s’écria :

« Ah ! s’il n’y avait pas de sentinelle !

– Il n’y aura de sentinelle qu’autant que vous le voudrez bien, reprit DantĂšs qui avait suivi sa pensĂ©e Ă  travers la boĂźte de son cerveau comme Ă  travers un cristal.

– Ah ! je vous l’ai dit, reprit l’abbĂ©, je rĂ©pugne Ă  un meurtre.

– Et cependant ce meurtre, s’il est commis, le sera par l’instinct de notre conservation, par un sentiment de dĂ©fense personnelle.

– N’importe, je ne saurais.

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– Vous y pensez, cependant ?

– Sans cesse, sans cesse, murmura l’abbĂ©.

– Et vous avez trouvĂ© un moyen, n’est-ce pas ? dit vivement DantĂšs.

– Oui, s’il arrivait qu’on pĂ»t mettre sur la galerie une sentinelle aveugle et sourde.

– Elle sera aveugle, elle sera sourde, rĂ©pondit le jeune homme avec un accent de rĂ©solution qui Ă©pouvanta l’abbĂ©.

– Non, non ! s’écria-t-il ; impossible. »

DantĂšs voulut le retenir sur ce sujet, mais l’abbĂ© secoua la tĂȘte et refusa de rĂ©pondre davantage.

Trois mois s’écoulĂšrent.

« Êtes-vous fort ? » demanda un jour l’abbĂ© Ă  DantĂšs.

DantÚs, sans répondre, prit le ciseau, le tordit comme un fer à cheval et le redressa.

« Vous engageriez-vous Ă  ne tuer la sentinelle qu’à la derniĂšre extrĂ©mitĂ© ?

– Oui, sur l’honneur.

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– Alors, dit l’abbĂ©, nous pourrons exĂ©cuter notre dessein.

– Et combien nous faudra-t-il de temps pour l’exĂ©cuter ?

– Un an, au moins.

– Mais nous pourrions nous mettre au travail ?

– Tout de suite.

– Oh ! voyez donc, nous avons perdu un an, s’écria DantĂšs.

– Trouvez-vous que nous l’ayons perdu ? dit l’abbĂ©.

– Oh ! pardon, pardon, s’écria Edmond rougissant.

– Chut ! dit l’abbĂ©, l’homme n’est jamais qu’un homme ; et vous ĂȘtes encore un des meilleurs que j’aie connus. Tenez, voici mon plan. »

L’abbĂ© montra alors Ă  DantĂšs un dessin qu’il avait tracĂ© : c’était le plan de sa chambre, de celle de DantĂšs et du corridor qui joignait l’une Ă  l’autre. Au milieu de cette galerie, il Ă©tablissait un 412

boyau pareil Ă  celui qu’on pratique dans les mines. Ce boyau menait les deux prisonniers sous la galerie oĂč se promenait la sentinelle ; une fois arrivĂ©s lĂ , ils pratiquaient une large excavation, descellaient une des dalles qui formaient le plancher de la galerie ; la dalle, Ă  un moment donnĂ©, s’enfonçait sous le poids du soldat, qui disparaissait englouti dans l’excavation ; DantĂšs se prĂ©cipitait sur lui au moment oĂč, tout Ă©tourdi de sa chute, il ne pouvait se dĂ©fendre, le liait, le bĂąillonnait, et tous deux alors, passant par une des fenĂȘtres de cette galerie, descendaient le long de la muraille extĂ©rieure Ă  l’aide de l’échelle de corde et se sauvaient.

DantĂšs battit des mains et ses yeux Ă©tincelĂšrent de joie ; ce plan Ă©tait si simple qu’il devait rĂ©ussir.

Le mĂȘme jour, les mineurs se mirent Ă  l’ouvrage avec d’autant plus d’ardeur que ce travail succĂ©dait Ă  un long repos, et ne faisait, selon toute probabilitĂ©, que continuer la pensĂ©e intime et secrĂšte de chacun d’eux.

Rien ne les interrompait que l’heure à laquelle 413

chacun d’eux Ă©tait forcĂ© de rentrer chez soi pour recevoir la visite du geĂŽlier. Ils avaient, au reste, pris l’habitude de distinguer, au bruit imperceptible des pas, le moment oĂč cet homme descendait, et jamais ni l’un ni l’autre ne fut pris Ă  l’improviste. La terre qu’ils extrayaient de la nouvelle galerie, et qui eĂ»t fini par combler l’ancien corridor, Ă©tait jetĂ©e petit Ă  petit, et avec des prĂ©cautions inouĂŻes, par l’une ou l’autre des deux fenĂȘtres du cachot de DantĂšs ou du cachot de Faria : on la pulvĂ©risait avec soin, et le vent de la nuit l’emportait au loin sans qu’elle laissĂąt de traces.

Plus d’un an se passa Ă  ce travail exĂ©cutĂ© avec un ciseau, un couteau et un levier de bois pour tous instruments ; pendant cette annĂ©e, et tout en travaillant, Faria continuait d’instruire DantĂšs, lui parlant tantĂŽt une langue, tantĂŽt une autre, lui apprenant l’histoire des nations et des grands hommes qui laissent de temps en temps derriĂšre eux une de ces traces lumineuses qu’on appelle la gloire. L’abbĂ©, homme du monde et du grand monde, avait en outre, dans ses maniĂšres, une sorte de majestĂ© mĂ©lancolique dont DantĂšs, grĂące 414

Ă  l’esprit d’assimilation dont la nature l’avait douĂ©, sut extraire cette politesse Ă©lĂ©gante qui lui manquait et ces façons aristocratiques que l’on n’acquiert d’habitude que par le frottement des classes Ă©levĂ©es ou la sociĂ©tĂ© des hommes supĂ©rieurs.

Au bout de quinze mois, le trou Ă©tait achevĂ© ; l’excavation Ă©tait faite sous la galerie ; on entendait passer et repasser la sentinelle, et les deux ouvriers, qui Ă©taient forcĂ©s d’attendre une nuit obscure et sans lune pour rendre leur Ă©vasion plus certaine encore, n’avaient plus qu’une crainte : c’était de voir le sol trop hĂątif s’effondrer de lui-mĂȘme sous les pieds du soldat.

On obvia Ă  cet inconvĂ©nient en plaçant une espĂšce de petite poutre, qu’on avait trouvĂ©e dans les fondations comme un support. DantĂšs Ă©tait occupĂ© Ă  la placer, lorsqu’il entendit tout Ă  coup l’abbĂ© Faria, restĂ© dans la chambre du jeune homme, oĂč il s’occupait de son cĂŽtĂ© Ă  aiguiser une cheville destinĂ©e Ă  maintenir l’échelle de corde, qui l’appelait avec un accent de dĂ©tresse.

DantĂšs rentra vivement, et aperçut l’abbĂ©, debout au milieu de la chambre, pĂąle, la sueur au front et 415

les mains crispées.

« Oh ! mon Dieu ! s’écria DantĂšs, qu’y a-t-il, et qu’avez-vous donc ?

– Vite, vite ! dit l’abbĂ©, Ă©coutez-moi. »

Are sens