"Unleash your creativity and unlock your potential with MsgBrains.Com - the innovative platform for nurturing your intellect." » » "Le Comte de Monte-Cristo" de Alexandre DumasđŸ”đŸ“šđŸ“œïž

Add to favorite "Le Comte de Monte-Cristo" de Alexandre DumasđŸ”đŸ“šđŸ“œïž

Select the language in which you want the text you are reading to be translated, then select the words you don't know with the cursor to get the translation above the selected word!




Go to page:
Text Size:

L’üle de Monte-Cristo grandissait à l’horizon.

Edmond rendit le bĂątiment Ă  son maĂźtre et alla s’étendre Ă  son tour dans son hamac : mais, malgrĂ© sa nuit d’insomnie, il ne put fermer l’Ɠil un seul instant.

Deux heures aprĂšs, il remonta sur le pont ; le 541

bĂątiment Ă©tait en train de doubler l’üle d’Elbe. On Ă©tait Ă  la hauteur de Mareciana et au-dessus de l’üle plate et verte de la Pianosa. On voyait s’élancer dans l’azur du ciel le sommet flamboyant de Monte-Cristo.

DantĂšs ordonna au timonier de mettre la barre Ă  bĂąbord, afin de laisser la Pianosa Ă  droite ; il avait calculĂ© que cette manƓuvre devrait raccourcir la route de deux ou trois nƓuds.

Vers cinq heures du soir, on eut la vue complĂšte de l’üle. On en apercevait les moindres dĂ©tails, grĂące Ă  cette limpiditĂ© atmosphĂ©rique qui est particuliĂšre Ă  la lumiĂšre que versent les rayons du soleil Ă  son dĂ©clin.

Edmond dĂ©vorait des yeux cette masse de rochers qui passait par toutes les couleurs crĂ©pusculaires, depuis le rose vif jusqu’au bleu foncĂ© ; de temps en temps, des bouffĂ©es ardentes lui montaient au visage ; son front s’empourprait, un nuage pourpre passait devant ses yeux.

Jamais joueur dont toute la fortune est en jeu n’eut, sur un coup de dĂ©s, les angoisses que ressentait Edmond dans ses paroxysmes 542

d’espĂ©rance.

La nuit vint : à dix heures du soir on aborda ; la Jeune-Amélie était la premiÚre au rendez-vous.

DantĂšs, malgrĂ© son empire ordinaire sur lui-mĂȘme, ne put se contenir : il sauta le premier sur le rivage ; s’il l’eĂ»t osĂ© comme Brutus, il eĂ»t baisĂ© la terre.

Il faisait nuit close ; mais Ă  onze heures la lune se leva du milieu de la mer, dont elle argenta chaque frĂ©missement ; puis ses rayons, Ă  mesure qu’elle se leva, commencĂšrent Ă  se jouer, en blanches cascades de lumiĂšre, sur les roches entassĂ©es de cet autre PĂ©lion.

L’üle Ă©tait familiĂšre Ă  l’équipage de la Jeune-AmĂ©lie : c’était une de ses stations ordinaires.

Quant Ă  DantĂšs, il l’avait reconnue Ă  chacun de ses voyages dans le Levant, mais jamais il n’y Ă©tait descendu.

Il interrogea Jacopo.

« OĂč allons-nous passer la nuit ? demanda-t-il.

– Mais Ă  bord de la tartane, rĂ©pondit le marin.

– Ne serions-nous pas mieux dans les grottes ?

543

– Dans quelles grottes ?

– Mais dans les grottes de l’üle.

– Je ne connais pas de grottes », dit Jacopo.

Une sueur froide passa sur le front de DantĂšs.

« Il n’y a pas de grottes Ă  Monte-Cristo ?

demanda-t-il.

– Non. »

DantĂšs demeura un instant Ă©tourdi ; puis il songea que ces grottes pouvaient avoir Ă©tĂ© comblĂ©es depuis par un accident quelconque, ou mĂȘme bouchĂ©es, pour plus grandes prĂ©cautions, par le cardinal Spada.

Le tout, dans ce cas, Ă©tait donc de retrouver cette ouverture perdue. Il Ă©tait inutile de la chercher pendant la nuit. DantĂšs remit donc l’investigation au lendemain. D’ailleurs, un signal arborĂ© Ă  une demi-lieue en mer, et auquel la Jeune-AmĂ©lie rĂ©pondit aussitĂŽt par un signal pareil, indiqua que le moment Ă©tait venu de se mettre Ă  la besogne.

Le bĂątiment retardataire, rassurĂ© par le signal qui devait faire connaĂźtre au dernier arrivĂ© qu’il y 544

avait toute sĂ©curitĂ© Ă  s’aboucher, apparut bientĂŽt blanc et silencieux comme un fantĂŽme, et vint jeter l’ancre Ă  une encablure du rivage.

AussitÎt le transport commença.

DantĂšs songeait, tout en travaillant, au hourra de joie que d’un seul mot il pourrait provoquer parmi tous ces hommes s’il disait tout haut l’incessante pensĂ©e qui bourdonnait tout bas Ă  son oreille et Ă  son cƓur. Mais, tout au contraire de rĂ©vĂ©ler le magnifique secret, il craignait d’en avoir dĂ©jĂ  trop dit et d’avoir, par ses allĂ©es et venues, ses demandes rĂ©pĂ©tĂ©es, ses observations minutieuses et sa prĂ©occupation continuelle, Ă©veillĂ© les soupçons. Heureusement, pour cette circonstance du moins, que chez lui un passĂ© bien douloureux reflĂ©tait sur son visage une tristesse indĂ©lĂ©bile, et que les lueurs de gaietĂ© entrevues sous ce nuage n’étaient rĂ©ellement que des Ă©clairs.

Personne ne se doutait donc de rien, et lorsque le lendemain, en prenant un fusil, du plomb et de la poudre, DantĂšs manifesta le dĂ©sir d’aller tuer quelqu’une de ces nombreuses chĂšvres sauvages 545

que l’on voyait sauter de rocher en rocher, on n’attribua cette excursion de DantĂšs qu’à l’amour de la chasse ou au dĂ©sir de la solitude. Il n’y eut que Jacopo qui insista pour le suivre. DantĂšs ne voulut pas s’y opposer, craignant par cette rĂ©pugnance Ă  ĂȘtre accompagnĂ© d’inspirer quelques soupçons. Mais Ă  peine eut-il fait un quart de lieue, qu’ayant trouvĂ© l’occasion de tirer et de tuer un chevreau, il envoya Jacopo le porter Ă  ses compagnons, les invitant Ă  le faire cuire et Ă  lui donner lorsqu’il serait cuit, le signal d’en manger sa part en tirant un coup de fusil ; quelques fruits secs et un fiasco de vin de Monte-Pulciano devaient complĂ©ter l’ordonnance du repas.

DantĂšs continua son chemin en se retournant de temps en temps. ArrivĂ© au sommet d’une roche, il vit Ă  mille pieds au-dessous de lui ses compagnons que venait de rejoindre Jacopo et qui s’occupaient dĂ©jĂ  activement des apprĂȘts du dĂ©jeuner, augmentĂ©, grĂące Ă  l’adresse d’Edmond, d’une piĂšce capitale.

Edmond les regarda un instant avec ce sourire 546

doux et triste de l’homme supĂ©rieur.

« Dans deux heures, dit-il, ces gens-lĂ  repartiront, riches de cinquante piastres, pour aller, en risquant leur vie, essayer d’en gagner cinquante autres ; puis reviendront, riches de six cents livres, dilapider ce trĂ©sor dans une ville quelconque, avec la fiertĂ© des sultans et la confiance des nababs. Aujourd’hui, l’espĂ©rance fait que je mĂ©prise leur richesse, qui me paraĂźt la plus profonde misĂšre ; demain, la dĂ©ception fera peut-ĂȘtre que je serai forcĂ© de regarder cette profonde misĂšre comme le suprĂȘme bonheur...

Oh ! non, s’écria Edmond, cela ne sera pas ; le savant, l’infaillible Faria ne se serait pas trompĂ© sur cette seule chose. D’ailleurs autant vaudrait mourir que de continuer de mener cette vie misĂ©rable et infĂ©rieure. »

Ainsi DantĂšs, qui, il y a trois mois, n’aspirait qu’à la libertĂ©, n’avait dĂ©jĂ  plus assez de la libertĂ© et aspirait Ă  la richesse ; la faute n’en Ă©tait pas Ă  DantĂšs, mais Ă  Dieu, qui, en bornant la puissance de l’homme, lui a fait des dĂ©sirs infinis !

Cependant par une route perdue entre deux 547

murailles de roches, suivant un sentier creusĂ© par le torrent et que, selon toute probabilitĂ©, jamais pied humain n’avait foulĂ©, DantĂšs s’était approchĂ© de l’endroit oĂč il supposait que les grottes avaient dĂ» exister. Tout en suivant le rivage de la mer et en examinant les moindres objets avec une attention sĂ©rieuse, il crut remarquer sur certains rochers des entailles creusĂ©es par la main de l’homme.

Le temps, qui jette sur toute chose physique son manteau de mousse, comme sur les choses morales son manteau d’oubli, semblait avoir respectĂ© ces signes tracĂ©s avec une certaine rĂ©gularitĂ©, et dans le but probablement d’indiquer une trace ; de temps en temps cependant, ces signes disparaissaient sous des touffes de myrtes, qui s’épanouissaient en gros bouquets chargĂ©s de fleurs, ou sous des lichens parasites. Il fallait alors qu’Edmond Ă©cartĂąt les branches ou soulevĂąt les mousses pour retrouver les signes indicateurs qui le conduisaient dans cet autre labyrinthe. Ces signes avaient, au reste, donnĂ© bon espoir Ă  Edmond. Pourquoi ne serait-ce pas le cardinal qui les aurait tracĂ©s pour qu’ils pussent, en cas d’une 548

catastrophe qu’il n’avait pas pu prĂ©voir si complĂšte, servir de guide Ă  son neveu ? Ce lieu solitaire Ă©tait bien celui qui convenait Ă  un homme qui voulait enfouir un trĂ©sor. Seulement, ces signes infidĂšles n’avaient-ils pas attirĂ© d’autres yeux que ceux pour lesquels ils Ă©taient tracĂ©s, et l’üle aux sombres merveilles avait-elle fidĂšlement gardĂ© son magnifique secret ?

Cependant, Ă  soixante pas du port Ă  peu prĂšs, il sembla Ă  Edmond, toujours cachĂ© Ă  ses compagnons par les accidents du terrain, que les entailles s’arrĂȘtaient ; seulement, elles n’aboutissaient Ă  aucune grotte. Un gros rocher rond posĂ© sur une base solide Ă©tait le seul but auquel elles semblassent conduire. Edmond pensa qu’au lieu d’ĂȘtre arrivĂ© Ă  la fin, il n’était peut-ĂȘtre, tout au contraire, qu’au commencement ; il prit en consĂ©quence le contre-pied et retourna sur ses pas.

Pendant ce temps, ses compagnons prĂ©paraient le dĂ©jeuner, allaient puiser de l’eau, Ă  la source, transportaient le pain et les fruits Ă  terre et faisaient cuire le chevreau. Juste au moment oĂč 549

ils le tiraient de sa broche improvisĂ©e, ils aperçurent Edmond qui, lĂ©ger et hardi comme un chamois, sautait de rocher en rocher : ils tirĂšrent un coup de fusil pour lui donner le signal. Le chasseur changea aussitĂŽt de direction, et revint tout courant Ă  eux. Mais au moment oĂč tous le suivaient des yeux dans l’espĂšce de vol qu’il exĂ©cutait, taxant son adresse de tĂ©mĂ©ritĂ©, comme pour donner raison Ă  leurs craintes, le pied manqua Ă  Edmond ; on le vit chanceler Ă  la cime d’un rocher, pousser un cri et disparaĂźtre.

Tous bondirent d’un seul Ă©lan, car tous aimaient Edmond, malgrĂ© sa supĂ©rioritĂ© ; cependant, ce fut Jacopo qui arriva le premier.

Il trouva Edmond Ă©tendu sanglant et presque sans connaissance : il avait dĂ» rouler d’une hauteur de douze ou quinze pieds. On lui introduisit dans la bouche quelques gouttes de rhum, et ce remĂšde qui avait dĂ©jĂ  eu tant d’efficacitĂ© sur lui, produisit le mĂȘme effet que la premiĂšre fois.

Edmond rouvrit les yeux, se plaignit de souffrir une vive douleur au genou, une grande 550

Are sens