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Brusquement, Catherine regarda autour d’elle.

Chaval l’avait conduite dans les décombres de Réquillart, et elle eut un recul frissonnant devant les ténèbres du hangar effondré.

– Oh ! non, oh ! non, murmura-t-elle, je t’en prie, laisse-moi !

La peur du mâle l’affolait, cette peur qui raidit les muscles dans un instinct de défense, même lorsque les filles veulent bien, et qu’elles sentent l’approche conquérante de l’homme. Sa virginité, qui n’avait rien à apprendre pourtant, s’épouvantait, comme à la menace d’un coup, d’une blessure dont elle redoutait la douleur encore inconnue.

– Non, non, je ne veux pas ! je te dis que je suis trop jeune... Vrai ! plus tard, quand je serai 251

faite au moins.

Il grogna sourdement :

– Bête ! rien à craindre alors... Qu’est-ce que ça te fiche ?

Mais il ne parla pas davantage. Il l’avait empoignée solidement, il la jetait sous le hangar.

Et elle tomba à la renverse sur les vieux cordages, elle cessa de se défendre, subissant le mâle avant l’âge, avec cette soumission héréditaire, qui, dès l’enfance, culbutait en plein vent les filles de sa race. Ses bégaiements effrayés s’éteignirent, on n’entendit plus que le souffle ardent de l’homme.

Étienne, cependant, avait écouté, sans bouger.

Encore une qui faisait le saut ! Et, maintenant qu’il avait vu la comédie, il se leva, envahi d’un malaise, d’une sorte d’excitation jalouse où monta de la colère. Il ne se gênait plus, il enjambait les poutres, car ces deux-là étaient bien trop occupés à cette heure, pour se déranger.

Aussi fut-il surpris, lorsqu’il eut fait une centaine de pas sur la route, de voir, en se tournant, qu’ils étaient debout déjà et qu’ils paraissaient, comme lui, revenir vers le coron. L’homme avait repris la 252

fille à la taille, la serrant d’un air de reconnaissance, lui parlant toujours dans le cou ; et c’était elle qui semblait pressée, qui voulait rentrer vite, l’air fâché surtout du retard.

Alors, Étienne fut tourmenté d’une envie, celle de voir leurs figures. C’était imbécile, il hâta le pas pour ne point y céder. Mais ses pieds se ralentissaient d’eux-mêmes, il finit, au premier réverbère, par se cacher dans l’ombre. Une stupeur le cloua, lorsqu’il reconnut au passage Catherine et le grand Chaval. Il hésitait d’abord : était-ce bien elle, cette jeune fille en robe gros bleu, avec ce bonnet ? était-ce le galopin qu’il avait vu en culotte, la tête serrée dans le béguin de toile ? Voilà pourquoi elle avait pu le frôler, sans qu’il la devinât. Mais il ne doutait plus, il venait de retrouver ses yeux, la limpidité verdâtre de cette eau de source, si claire et si profonde.

Quelle catin ! et il éprouvait un furieux besoin de se venger d’elle, sans motif, en la méprisant.

D’ailleurs, ça ne lui allait pas d’être en fille : elle était affreuse.

Lentement, Catherine et Chaval était passés.

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Ils ne se savaient point guettés de la sorte, lui la retenait pour la baiser derrière l’oreille, tandis qu’elle recommençait à s’attarder sous les caresses, qui la faisaient rire. Resté en arrière, Étienne était bien obligé de les suivre, irrité de ce qu’ils barraient le chemin, assistant quand même à ces choses dont la vue l’exaspérait. C’était donc vrai, ce qu’elle lui avait juré le matin : elle n’était encore la maîtresse de personne ; et lui qui ne l’avait pas crue, qui s’était privé d’elle pour ne pas faire comme l’autre ! et lui qui venait de se la laisser prendre sous le nez, qui avait poussé la bêtise jusqu’à s’égayer salement à les voir ! Cela le rendait fou, il serrait les poings, il aurait mangé cet homme, dans un de ces besoins de tuer où il voyait rouge.

Pendant une demi-heure, la promenade dura.

Lorsque Chaval et Catherine approchèrent du Voreux, ils ralentirent encore leur marche, ils s’arrêtèrent deux fois au bord du canal, trois fois le long du terri, très gais maintenant, s’amusant à de petits jeux tendres. Étienne devait s’arrêter lui aussi, faire les mêmes stations, de peur d’être aperçu. Il s’efforçait de n’avoir plus qu’un regret 254

brutal : ça lui apprendrait à ménager les filles, par bonne éducation. Puis, après le Voreux, libre enfin d’aller dîner chez Rasseneur, il continua de les suivre, il les accompagna au coron, demeura là, debout dans l’ombre, pendant un quart d’heure, à attendre que Chaval laissât Catherine rentrer chez elle. Et, lorsqu’il fut bien sûr qu’ils n’étaient plus ensemble, il marcha de nouveau, il poussa très loin sur la route de Marchiennes, piétinant, ne songeant à rien, trop étouffé et trop triste pour s’enfermer dans une chambre.

Une heure plus tard seulement, vers neuf heures, Étienne retraversa le coron, en se disant qu’il fallait manger et se coucher, s’il voulait être debout le matin à quatre heures. Le village dormait déjà, tout noir dans la nuit. Pas une lueur ne glissait des persiennes closes, les longues façades s’alignaient, avec le sommeil pesant des casernes qui ronflent. Seul, un chat se sauva au travers des jardins vides. C’était la fin de la journée, l’écrasement des travailleurs tombant de la table au lit, assommés de fatigue et de nourriture.

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Chez Rasseneur, dans la salle éclairée, un machineur et deux ouvriers du jour buvaient des chopes. Mais, avant de rentrer, Étienne s’arrêta, jeta un dernier regard aux ténèbres. Il retrouvait la même immensité noire que le matin, lorsqu’il était arrivé par le grand vent. Devant lui, le Voreux s’accroupissait de son air de bête mauvaise, vague, piqué de quelques lueurs de lanterne. Les trois brasiers du terri brûlaient en l’air, pareils à des lunes sanglantes, détachant par instants les silhouettes démesurées du père Bonnemort et de son cheval jaune. Et, au-delà, dans la plaine rase, l’ombre avait tout submergé, Montsou, Marchiennes, la forêt de Vandame, la vaste mer de betteraves et de blé, où ne luisaient plus, comme des phares lointains, que les feux bleus des hauts fourneaux et les feux rouges des fours à coke. Peu à peu, la nuit se noyait, la pluie tombait maintenant, lente, continue, abîmant ce néant au fond de son ruissellement monotone ; tandis qu’une seule voix s’entendait encore, la respiration grosse et lente de la machine d’épuisement, qui jour et nuit soufflait.

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Troisième partie

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I

Le lendemain, les jours suivants, Étienne reprit son travail à la fosse. Il s’accoutumait, son existence se réglait sur cette besogne et ces habitudes nouvelles, qui lui avaient paru si dures au début. Une seule aventure coupa la monotonie de la première quinzaine, une fièvre éphémère qui le tint quarante-huit heures au lit, les membres brisés, la tête brûlante, rêvassant, dans un demi-délire, qu’il poussait sa berline au fond d’une voie trop étroite, où son corps ne pouvait passer. C’était simplement la courbature de l’apprentissage, un excès de fatigue dont il se remit tout de suite.

Et les jours succédaient aux jours, des semaines, des mois s’écoulèrent. Maintenant, comme les camarades, il se levait à trois heures, buvait le café, emportait la double tartine que madame Rasseneur lui préparait dès la veille.

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Régulièrement, en se rendant le matin à la fosse, il rencontrait le vieux Bonnemort qui allait se coucher, et en sortant l’après-midi, il se croisait avec Bouteloup qui arrivait prendre sa tâche. Il avait le béguin, la culotte, la veste de toile, il grelottait et il se chauffait le dos à la baraque, devant le grand feu. Puis venait l’attente, pieds nus, à la recette, traversée de furieux courants d’air. Mais la machine, dont les gros membres d’acier, étoilés de cuivre, luisaient là-haut, dans l’ombre, ne le préoccupait plus, ni les câbles qui filaient d’une aile noire et muette d’oiseau nocturne, ni les cages émergeant et plongeant sans cesse, au milieu du vacarme des signaux, des ordres criés, des berlines ébranlant les dalles de fonte. Sa lampe brûlait mal, ce sacré lampiste n’avait pas dû la nettoyer ; et il ne se dégourdissait que lorsque Mouquet les emballait tous, avec des claques de farceur qui sonnaient sur le derrière des filles. La cage se décrochait, tombait comme une pierre au fond d’un trou, sans qu’il tournât seulement la tête pour fuir le jour.

Jamais il ne songeait à une chute possible, il se retrouvait chez lui à mesure qu’il descendait dans 259

les ténèbres, sous la pluie battante. En bas, à l’accrochage, lorsque Pierron les avait déballés, de son air de douceur cafarde, c’était toujours le même piétinement de troupeau, les chantiers s’en allant chacun à sa taille, d’un pas traînard. Lui, désormais, connaissait les galeries de la mine mieux que les rues de Montsou, savait qu’il fallait tourner ici, se baisser plus loin, éviter ailleurs une flaque d’eau. Il avait pris une telle habitude de ces deux kilomètres sous terre, qu’il les aurait faits sans lampe, les mains dans les poches. Et, toutes les fois, les mêmes rencontres se produisaient, un porion éclairant au passage la face des ouvriers, le père Mouque amenant un cheval, Bébert conduisant Bataille qui s’ébrouait, Jeanlin courant derrière le train pour refermer les portes d’aérage, et la grosse Mouquette, et la maigre Lydie poussant leurs berlines.

À la longue, Étienne souffrait aussi beaucoup moins de l’humidité et de l’étouffement de la taille. La cheminée lui semblait très commode pour monter, comme s’il eût fondu et qu’il pût passer par des fentes, où il n’aurait point risqué une main jadis. Il respirait sans malaise les 260

poussières du charbon, voyait clair dans la nuit, suait tranquille, fait à la sensation d’avoir du matin au soir ses vêtements trempés sur le corps.

Du reste, il ne dépensait plus maladroitement ses forces, une adresse lui était venue, si rapide, qu’elle étonnait le chantier. Au bout de trois semaines, on le citait parmi les bons herscheurs de la fosse : pas un ne roulait sa berline jusqu’au plan incliné, d’un train plus vif, ni ne l’emballait ensuite, avec autant de correction. Sa petite taille lui permettait de se glisser partout, et ses bras avaient beau être fins et blancs comme ceux d’une femme, ils paraissaient en fer sous la peau délicate, tellement ils menaient rudement la besogne. Jamais il ne se plaignait, par fierté sans doute, même quand il râlait de fatigue. On ne lui reprochait que de ne pas comprendre la plaisanterie, tout de suite fâché, dès qu’on voulait taper sur lui. Au demeurant, il était accepté, regardé comme un vrai mineur, dans cet écrasement de l’habitude qui le réduisait un peu chaque jour à une fonction de machine.

Maheu surtout se prenait d’amitié pour Étienne, car il avait le respect de l’ouvrage bien 261

Are sens

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