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Maheu approuva de la tête.

– Et cause donc à ces messieurs de l’affaire de ton père. Le médecin s’entend avec la Direction...

N’est-ce pas ? vieux, que le médecin se trompe, que vous pouvez encore travailler ?

Depuis dix jours, le père Bonnemort, les pattes engourdies comme il disait, restait cloué sur une chaise. Elle dut répéter sa question, et il grogna :

– Bien sûr que je travaillerai. On n’est pas fini parce qu’on a mal aux jambes. Tout ça, c’est des histoires qu’ils inventent pour ne pas me donner la pension de cent quatre-vingts francs.

La Maheude songeait aux quarante sous du 333

vieux, qu’il ne lui rapporterait peut-être jamais plus, et elle eut un cri d’angoisse.

– Mon Dieu ! nous serons bientôt tous morts, si ça continue.

– Quand on est mort, dit Maheu, on n’a plus faim.

Il ajouta des clous à ses souliers et se décida à partir. Le coron des Deux-Cent-Quarante ne devait être payé que vers quatre heures. Aussi les hommes ne se pressaient-il pas, s’attardant, filant un à un, poursuivis par les femmes qui les suppliaient de revenir tout de suite. Beaucoup leur donnaient des commissions, pour les empêcher de s’oublier dans les estaminets.

Chez Rasseneur, Étienne était venu aux nouvelles. Des bruits inquiétants couraient, on disait la Compagnie de plus en plus mécontente des boisages. Elle accablait les ouvriers d’amendes, un conflit paraissait fatal. Du reste, ce n’était là que la querelle avouée, il y avait dessous toute une complication, des causes secrètes et graves.

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Justement, lorsque Étienne arriva, un camarade qui buvait une chope, au retour de Montsou, racontait qu’une affiche était collée chez le caissier ; mais il ne savait pas bien ce qu’on lisait sur cette affiche. Un second entra, puis un troisième ; et chacun apportait une histoire différente. Il semblait certain, cependant, que la Compagnie avait pris une résolution.

– Qu’est-ce que tu en dis, toi ? demanda Étienne, en s’asseyant près de Souvarine, à une table, où, pour unique consommation, se trouvait un paquet de tabac.

Le machineur ne se pressa point, acheva de rouler une cigarette.

– Je dis que c’était facile à prévoir. Ils vont vous pousser à bout.

Lui seul avait l’intelligence assez déliée pour analyser la situation. Il l’expliquait de son air tranquille. La Compagnie, atteinte par la crise, était bien forcée de réduire ses frais, si elle ne voulait pas succomber ; et, naturellement, ce seraient les ouvriers qui devraient se serrer le ventre, elle rognerait leurs salaires, en inventant 335

un prétexte quelconque. Depuis deux mois la houille restait sur le carreau de ses fosses, presque toutes les usines chômaient. Comme elle n’osait chômer aussi, effrayée devant l’inaction ruineuse du matériel, elle rêvait un moyen terme, peut-être une grève, d’où son peuple de mineurs sortirait dompté et moins payé. Enfin, la nouvelle caisse de prévoyance l’inquiétait, devenait une menace pour l’avenir, tandis qu’une grève l’en débarrasserait, en la vidant, lorsqu’elle était peu garnie encore.

Rasseneur s’était assis près d’Étienne, et tous deux écoutaient d’un air consterné. On pouvait causer à voix haute, il n’y avait plus là que madame Rasseneur, assise au comptoir.

– Quelle idée ! murmura le cabaretier.

Pourquoi tout ça ? La Compagnie n’a aucun intérêt à une grève, et les ouvriers non plus. Le mieux est de s’entendre.

C’était fort sage. Il se montrait toujours pour les revendications raisonnables. Même, depuis la rapide popularité de son ancien locataire, il outrait ce système du progrès possible, disant 336

qu’on n’obtenait rien, lorsqu’on voulait tout avoir d’un coup. Dans sa bonhomie d’homme gras, nourri de bière, montait une jalousie secrète, aggravée par la désertion de son débit, où les ouvriers du Voreux entraient moins boire et l’écouter ; et il en arrivait ainsi parfois à défendre la Compagnie, oubliant sa rancune d’ancien mineur congédié.

– Alors, tu es contre la grève ? cria madame Rasseneur, sans quitter le comptoir.

Et, comme il répondait oui, énergiquement, elle le fit taire.

– Tiens ! tu n’as pas de cœur, laisse parler ces messieurs !

Étienne songeait, les yeux sur la chope qu’elle lui avait servie. Enfin, il leva la tête.

– C’est bien possible, tout ce que le camarade raconte, et il faudra nous y résoudre, à cette grève, si l’on nous y force... Pluchart, justement, m’a écrit là-dessus des choses très justes. Lui aussi est contre la grève, car l’ouvrier en souffre autant que le patron, sans arriver à rien de décisif.

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Seulement, il voit là une occasion excellente pour déterminer nos hommes à entrer dans sa grande machine... D’ailleurs, voici sa lettre.

En effet, Pluchart, désolé des méfiances que l’Internationale rencontrait chez les mineurs de Montsou, espérait les voir adhérer en masse, si un conflit les obligeait à lutter contre la Compagnie.

Malgré ses efforts, Étienne n’avait pu placer une seule carte de membre, donnant du reste le meilleur de son influence à sa caisse de secours, beaucoup mieux accueillie. Mais cette caisse était encore si pauvre, qu’elle devait être vite épuisée, comme le disait Souvarine ; et, fatalement, les grévistes se jetteraient alors dans l’Association des travailleurs, pour que leurs frères de tous les pays leur vinssent en aide.

– Combien avez-vous en caisse ? demanda Rasseneur.

– À peine trois mille francs, répondit Étienne.

Et vous savez que la Direction m’a fait appeler avant-hier. Oh ! ils sont très polis, ils m’ont répété qu’ils n’empêchaient pas leurs ouvriers de créer un fonds de réserve. Mais j’ai bien compris 338

qu’ils en voulaient le contrôle... De toute manière, nous aurons une bataille de ce côté-là.

Le cabaretier s’était mis à marcher, en sifflant d’un air dédaigneux. Trois mille francs ! qu’est-ce que vous voulez qu’on fiche avec ça ? Il n’y aurait pas six jours de pain, et si l’on comptait sur des étrangers, des gens qui habitaient l’Angleterre, on pouvait tout de suite se coucher et avaler sa langue. Non, c’était trop bête, cette grève !

Alors, pour la première fois, des paroles aigres furent échangées entre ces deux hommes, qui, d’ordinaire, finissaient par s’entendre, dans leur haine commune du capital.

– Voyons, et toi, qu’en dis-tu ? répéta Étienne, en se tournant vers Souvarine.

Celui-ci répondit par un mot de mépris habituel.

– Les grèves ? des bêtises !

Puis, au milieu du silence fâché qui s’était fait, il ajouta doucement :

– En somme, je ne dis pas non, si ça vous 339

amuse : ça ruine les uns, ça tue les autres, et c’est toujours autant de nettoyé... Seulement, de ce train-là, on mettrait bien mille ans pour renouveler le monde. Commencez donc par me faire sauter ce bagne où vous crevez tous !

De sa main fine, il désignait le Voreux, dont on apercevait les bâtiments par la porte restée ouverte. Mais un drame imprévu l’interrompit : Pologne, la grosse lapine familière, qui s’était hasardée dehors, rentrait d’un bond, fuyant sous les pierres d’une bande de galibots ; et, dans son effarement, les oreilles rabattues, la queue retroussée, elle vint se réfugier contre ses jambes, l’implorant, le grattant, pour qu’il la prît. Quand il l’eut couchée sur ses genoux, il l’abrita de ses deux mains, il tomba dans cette sorte de somnolence rêveuse, où le plongeait la caresse de ce poil doux et tiède.

Presque aussitôt, Maheu entra. Il ne voulut rien boire, malgré l’insistance polie de madame Rasseneur, qui vendait sa bière comme si elle l’eût offerte. Étienne s’était levé, et tous deux partirent pour Montsou.

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Les jours de paie aux Chantiers de la Compagnie, Montsou semblait en fête, comme par les beaux dimanches de ducasse. De tous les corons arrivait une cohue de mineurs. Le bureau du caissier étant très petit, ils préféraient attendre à la porte, ils stationnaient par groupes sur le pavé, barraient la route d’une queue de monde renouvelée sans cesse. Des camelots profitaient de l’occasion, s’installaient avec leurs bazars roulants, étalaient jusqu’à de la faïence et de la charcuterie. Mais c’étaient surtout les estaminets et les débits qui faisaient une bonne recette, car les mineurs, avant d’être payés, allaient prendre patience devant les comptoirs, puis y retournaient arroser leur paie, dès qu’ils l’avaient en poche.

Encore se montraient-ils très sages, lorsqu’ils ne l’achevaient pas au Volcan.

À mesure que Maheu et Étienne avancèrent au milieu des groupes, ils sentirent, ce jour-là, monter une exaspération sourde. Ce n’était pas l’ordinaire insouciance de l’argent touché et écorné dans les cabarets. Des poings se serraient, des mots violents couraient de bouche en bouche.

Are sens