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Maheu, resté muet depuis les enchères, parut s’éveiller. Il répéta :

– Les maîtres... Ah ! foutu sort ! ce ne serait pas trop tôt !

282

II

C’était le dernier dimanche de juillet, le jour de la ducasse de Montsou. Dès le samedi soir, les bonnes ménagères du coron avaient lavé leur salle à grande eau, un déluge, des seaux jetés à la volée sur les dalles et contre les murs ; et le sol n’était pas encore sec, malgré le sable blanc dont on le semait, tout un luxe coûteux pour ces bourses de pauvre. Cependant, la journée s’annonçait très chaude, un de ces lourds ciels, écrasants d’orage, qui étouffent en été les campagnes du Nord, plates et nues, à l’infini.

Le dimanche bouleversait les heures du lever, chez les Maheu. Tandis que le père, à partir de cinq heures, s’enrageait au lit, s’habillait quand même, les enfants faisaient jusqu’à neuf heures la grasse matinée. Ce jour-là, Maheu alla fumer une pipe dans son jardin, finit par revenir manger une tartine tout seul, en attendant. Il passa ainsi la 283

matinée, sans trop savoir à quoi : il raccommoda le baquet qui fuyait, colla sous le coucou un portrait du prince impérial qu’on avait donné aux petits. Cependant, les autres descendaient un à un, le père Bonnemort avait sorti une chaise pour s’asseoir au soleil, la mère et Alzire s’étaient mises tout de suite à la cuisine. Catherine parut, poussant devant elle Lénore et Henri qu’elle venait d’habiller ; et onze heures sonnaient, l’odeur du lapin qui bouillait avec des pommes de terre emplissait déjà la maison, lorsque Zacharie et Jeanlin descendirent les derniers, les yeux bouffis, bâillant encore.

Du reste, le coron était en l’air, allumé par la fête, dans le coup de feu du dîner, qu’on hâtait pour filer en bandes à Montsou. Des troupes d’enfants galopaient, des hommes en bras de chemise traînaient des savates, avec le déhanchement paresseux des jours de repos. Les fenêtres et les portes, grandes ouvertes au beau temps, laissaient voir la file des salles, toutes débordantes, en gestes et en cris, du grouillement des familles. Et, d’un bout à l’autre des façades, ça sentait le lapin, un parfum de cuisine riche, qui 284

combattait ce jour-là l’odeur invétérée de l’oignon frit.

Les Maheu dînèrent à midi sonnant. Ils ne menaient pas grand vacarme, au milieu des bavardages de porte à porte, des voisinages mêlant les femmes, dans un continuel remous d’appels, de réponses, d’objets prêtés, de mioches chassés ou ramenés d’une claque. D’ailleurs, ils étaient en froid depuis trois semaines avec leurs voisins, les Levaque, au sujet du mariage de Zacharie et de Philomène. Les hommes se voyaient, mais les femmes affectaient de ne plus se connaître. Cette brouille avait resserré les rapports avec la Pierronne. Seulement, la Pierronne, laissant à sa mère Pierron et Lydie, était partie de grand matin pour passer la journée chez une cousine, à Marchiennes ; et l’on plaisantait, car on la connaissait, la cousine : elle avait des moustaches, elle était maître-porion au Voreux. La Maheude déclara que ce n’était guère propre, de lâcher sa famille, un dimanche de ducasse.

Outre le lapin aux pommes de terre, qu’ils 285

engraissaient dans le carin depuis un mois, les Maheu avaient une soupe grasse et le bœuf. La paie de quinzaine était justement tombée la veille.

Ils ne se souvenaient pas d’un pareil régal. Même à la dernière Sainte-Barbe, cette fête des mineurs où ils ne font rien de trois jours, le lapin n’avait pas été si gras ni si tendre. Aussi les dix paires de mâchoires, depuis la petite Estelle dont les dents commençaient à pousser, jusqu’au vieux Bonnemort en train de perdre les siennes, travaillaient d’un tel cœur, que les os eux-mêmes disparaissaient. C’était bon, la viande ; mais ils la digéraient mal, ils en voyaient trop rarement.

Tout y passa, il ne resta qu’un morceau de bouilli pour le soir. On ajouterait des tartines, si l’on avait faim.

Ce fut Jeanlin qui disparut le premier. Bébert l’attendait, derrière l’école. Et ils rôdèrent longtemps avant de débaucher Lydie, que la Brûlé voulait retenir près d’elle, décidée à ne pas sortir. Quand elle s’aperçut de la fuite de l’enfant, elle hurla, agita ses bras maigres, pendant que Pierron, ennuyé de ce tapage, s’en allait flâner tranquillement, d’un air de mari qui s’amuse sans 286

remords, en sachant que sa femme, elle aussi, a du plaisir.

Le vieux Bonnemort partit ensuite, et Maheu se décida à prendre l’air, après avoir demandé à la Maheude si elle le rejoindrait, là-bas. Non, elle ne pouvait guère, c’était une vraie corvée, avec les petits ; peut-être que oui tout de même, elle réfléchirait, on se retrouverait toujours. Lorsqu’il fut dehors, il hésita, puis il entra chez les voisins, pour voir si Levaque était prêt. Mais il trouva Zacharie qui attendait Philomène ; et la Levaque venait d’entamer l’éternel sujet du mariage, criait qu’on se fichait d’elle, qu’elle aurait une dernière explication avec la Maheude. Était-ce une existence, de garder les enfants sans père de sa fille, lorsque celle-ci roulait avec son amoureux ?

Philomène ayant tranquillement fini de mettre son bonnet, Zacharie l’emmena, en répétant que lui voulait bien, si sa mère voulait. Du reste, Levaque avait déjà filé, Maheu renvoya aussi la voisine à sa femme et se hâta de sortir.

Bouteloup, qui achevait un morceau de fromage, les deux coudes sur la table, refusa obstinément l’offre amicale d’une chope. Il restait à la maison, 287

en bon mari.

Peu à peu, cependant, le coron se vidait, tous les hommes s’en allaient les uns derrière les autres ; tandis que les filles, guettant sur les portes, partaient du côté opposé, au bras de leurs galants. Comme son père tournait le coin de l’église, Catherine, qui aperçut Chaval, se hâta de le rejoindre, pour prendre avec lui la route de Montsou. Et la mère demeurée seule, au milieu des enfants débandés, ne trouvait pas la force de quitter sa chaise, se versait un second verre de café brûlant, qu’elle buvait à petits coups. Dans le coron, il n’y avait plus que les femmes, s’invitant, achevant d’égoutter les cafetières, autour des tables encore chaudes et grasses du dîner.

Maheu flairait que Levaque était à l’Avantage, et il descendit chez Rasseneur, sans hâte. En effet, derrière le débit, dans le jardin étroit fermé d’une haie, Levaque faisait une partie de quilles avec des camarades. Debout, ne jouant pas, le père Bonnemort et le vieux Mouque suivaient la boule, tellement absorbés, qu’ils oubliaient même 288

de se pousser du coude. Un soleil ardent tapait d’aplomb, il n’y avait qu’une raie d’ombre, le long du cabaret ; et Étienne était là, buvant sa chope devant une table, ennuyé de ce que Souvarine venait de le lâcher pour monter dans sa chambre. Presque tous les dimanches, le machineur s’enfermait, écrivait ou lisait.

– Joues-tu ? demanda Levaque à Maheu.

Mais celui-ci refusa. Il avait trop chaud, il crevait déjà de soif.

– Rasseneur ! appela Étienne. Apporte donc une chope.

Et, se retournant vers Maheu :

– Tu sais, c’est moi qui paie.

Maintenant, tous se tutoyaient. Rasseneur ne se pressait guère, il fallut l’appeler à trois reprises ; et ce fut madame Rasseneur qui apporta de la bière tiède. Le jeune homme avait baissé la voix pour se plaindre de la maison : des braves gens sans doute, des gens dont les idées étaient bonnes ; seulement, la bière ne valait rien, et des soupes exécrables ! Dix fois déjà, il aurait changé 289

de pension, s’il n’avait pas reculé devant la course de Montsou. Un jour ou l’autre, il finirait par chercher au coron une famille.

– Bien sûr, répétait Maheu de sa voix lente, bien sûr, tu serais mieux dans une famille.

Mais des cris éclatèrent, Levaque avait abattu toutes les quilles d’un coup. Mouque et Bonnemort, le nez vers la terre, gardaient au milieu du tumulte un silence de profonde approbation. Et la joie d’un tel coup déborda en plaisanteries, surtout lorsque les joueurs aperçurent, par-dessus la haie, la face joyeuse de la Mouquette. Elle rôdait là depuis une heure, elle s’était enhardie à s’approcher, en entendant les rires.

– Comment ! tu es seule ? cria Levaque. Et tes amoureux ?

– Mes amoureux, je les ai remisés, répondit-elle avec une belle gaieté impudente. J’en cherche un.

Tous s’offrirent, la chauffèrent de gros mots.

Elle refusait de la tête, riait plus fort, faisait la 290

gentille. Son père, du reste, assistait à ce jeu, sans même quitter des yeux les quilles abattues.

– Va ! continua Levaque en jetant un regard vers Étienne, on se doute bien de celui que tu reluques, ma fille !... Faudra le prendre de force.

Étienne, alors, s’égaya. C’était en effet autour de lui que tournait la herscheuse. Et il disait non, amusé pourtant, mais sans avoir la moindre envie d’elle. Quelques minutes encore, elle resta plantée derrière la haie, le regardant de ses grands yeux fixes ; puis, elle s’en alla avec lenteur, le visage brusquement sérieux, comme accablée par le lourd soleil.

À demi-voix, Étienne avait repris de longues explications qu’il donnait à Maheu, sur la nécessité, pour les charbonniers de Montsou, de fonder une caisse de prévoyance.

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